Matricule « 45.329 » à Auschwitz

Etienne Cardin : né en 1893 à Auvers (Manche) ; domicilié à Caen (Calvados) ; ajusteur SNCF ; syndicaliste, communiste ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz ; décédé à Auschwitz-Birkenau le 19 octobre 1942. 

Etienne Cardin est né le 12 janvier 1893 à Auvers (Manche) au village de la Godillerie, au domicile de ses parents. Il habite au 13, rue Montoir-Poisonnerie à Caen (Calvados), au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Augustine, Victoire Yvetot, 34 ans, ménagère et d’Etienne, Louis Cardin, 35 ans, journalier, son époux.

Au moment du conseil de révision, Etienne Cardin habite La Cambe (canton d’Isigny). Il travaille comme forgeron-ajusteur.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 75, a les cheveux châtain, les yeux bleus clair, le front moyen et le nez cave.
Il a un niveau d’instruction « n°2 » pour l’armée (sait lire et écrire). Conscrit de la classe 1913, Il est affecté au 2ème Dépôt des équipages de la flotte à compter du 2 novembre 1913. Il est nommé matelot de 1èreclasse-mécanicien le 1ernovembre 1918.
En 1918, les parents d’Eugène Cardin sont décédés.
Etienne Cardin épouse Yvonne, Désirée Chagny le 3 juin 1918, à Caen. Couturière, elle est née le 28 octobre 1900 à Caen.
Ils habitent tous deux au 37, rue de Vaugueux, quartier du Port.  Le couple a trois enfants : Roger, Gaston désiré, né le 16 septembre 1919 à Caen (1918-1987), Lucienne, Léonide, Marie née le 6 septembre 1926 à Crépon, Calvados (1926-2013) et Jackie, Auguste André le 26 mai 1929 à Crépon, près de Bayeux (1929-1983).
Mis en congé de démobilisation le 1er septembre 1919, « il se retire » au 37, rue du Jougarel à Caen. Le 6 novembre 1919, il habite Bretteville-sur-Odon, commune limitrophe de Caen.
En avril 1921, il travaille aux ateliers des chemins de fer de l’Etat (ancienne compagnie de l’Ouest) comme ajusteur. Il est à ce titre classé comme « Affecté spécial » dans la réserve militaire en cas de mobilisation. Il en est rayé en 1924 par changement de domicile et réaffecté au 1er Dépôt des équipages de la flotte… Puis à nouveau classé « AS ». En novembre 1924 il habite à Ryes à 5 km de Bayeux.
Son épouse Yvonne Chagny décède le 7 janvier 1932.
En mai 1932, il habite au 71, rue Saint-Pierre à Caen.
Devenu veuf, Etienne Cardin se remarie avec Jeanne, Henriette, Marie, le 6 octobre 1933 à Caen.
Blanchisseuse, elle est née le 6 novembre 1894 à Caen et y habite au 43, rue de Bras.
Lors du recensement de 1936, la famille habite au 148, rue d’Auge. Il est ajusteur à la SNCF.
Son fils Roger est également ajusteur. Puis ils déménagent au 132, rue d’Auge à Caen en juillet 1936.
Militant communiste actif, Etienne Cardin est très lié à Marguerite Buffard, secrétaire régionale du Parti communiste qui deviendra responsable FTP dans le Jura et à laquelle Paul Langevin rendit hommage.
Etienne Cardin est secrétaire général du syndicat des Métaux CGT de Caen (André Montagne «45912 » rescapé, dont le père était trésorier de ce même syndicat, l’a souvent rencontré à la Maison du peuple).
Il est également conseiller aux Prud’hommes.

Le 28 aout 1940 il est arrêté une première fois, emmené au siège de la Police militaire allemande (S.D.), rue Grusse, pour confrontation avec d’autres personnes arrêtées quelques jours avant (témoignage d’Ernest Varin, secrétaire de la Maison du Peuple de Caen, arrêté ce même jour)Emprisonné à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen (appelée également prison Beaulieu), il est libéré le 20 octobre 1940, peut-être en raison de son état de santé (cf sa lettre de juin 1941, ci-joint).

Lettre de juin 1941

Libéré, il toujours fiché comme communiste par la Préfecture du Calvados, qui trouvera dans ce fichier les futurs otages réclamés ultérieurement par l’Occupant.
Il rend visite – accompagné de sa fille Lucienne – à l’épouse d’un des deux militants fusillés le 9 décembre 1941 (1) à la Caserne du 43è Régiment d’Infanterie de Caen. « il apporte un peu de réconfort et de fraternité », rapporte sa fille Lucienne Chotin (témoignage du 2 février 2000).
Il se sent filé et se cache chez des camarades. « Mon mari se sachant traqué par la police française et par la Gestapo vivait caché chez des amis« .

Liste de la Préfecture

Il est arrêté à nouveau  dans la nuit du premier au 2 mai 1942 par la police française (le premier mai selon son fils Roger Cardin) : il figure sur la liste de 120 otages « communistes et Juifs » établie par les autorités allemandes. Son arrestation a lieu en représailles au déraillement de deux trains de permissionnaires allemands à Moult-Argences (38 morts et 41 blessés parmi les permissionnaires de la Marine allemande à la suite des sabotages par la Résistance, les 16 et 30 avril 1942, de la voie ferrée Maastricht-Cherbourg où circulaient deux trains militaires allemands. Des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande des occupants.
Lire dans le site : Le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados (avril-mai 1942) et la note du Préfet de Police de Paris à propos du sabotage de Moult-Argences : Collaboration de la Police français (note du Préfet de police, François Bard).
Emmené au commissariat de la rue Aubert, il y retrouve des militants qu’il connaît : des « JC » (Joseph Besnier et Raymond Guillard), des cégétistes (René Blin, François Stéphan).
Il est emmené de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen (dite également prison de Beaulieu), entassé avec d’autres militants arrêtés le même jour, au sous-sol dans des cellules exiguës.

Le « petit Lycée » de Caen

A la demande des autorités allemandes, Etienne Cardin et ses camarades sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée» de Caen occupé par la police allemande, où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés.
Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.  Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne le Frontstalag 122 (témoignage André Montagne). Etienne Cardin y est interné le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.

Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à leur déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942)  et «une déportation d’otages».  Depuis le camp de Compiègne, Etienne Cardin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Aushwitz-Birkenau.

Etienne Cardin est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45329 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Alors que la grande majorité des Caennais reste à Birkenau, Etienne Cardin fait partie des dix déportés Caennais qui retournent au camp principal (il s’agit d’Eugène Beaudouin, Etienne Cardin, Marcel Cimier, Jean Doktor, Robert Letellier, Maurice Legal, Charles Lelandais, André Montagne, Raphaël Pecker, Roger Pourvendier (cahier de Marcel Cimier, p. 23).
Avec Marcel Cimier, Léon Bigot, et Roger Pourvendier il est affecté au block 17 A et comme mécanicien au garage auto du personnel SS.  « Là nous avions une soupe améliorée et un travail peu fatigant » écrit Marcel Cimier. Mais ils en sont bientôt éjectés (le Kapo, un Droit commun polonais les remplace par des compatriotes).
Etienne Cardin meurt à Auschwitz le 19 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books
from Auschwitz
Tome 2 page 158).
La mention « Mort en déportation » est apposée sur son acte de décès (arrêté du 5 octobre 1987 paru au Journal Officiel du 13 novembre 1987). Cet arrêté porte néanmoins une mention erronée : décédé le 15 novembre 1942 à Auschwitz (Pologne). Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le blog l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
André Montagne, un des 8 rescapés caennais et calvadosiens du convoi du 6 juillet 1942 à destination d’Auschwitz a rédigé de nombreux témoignages concernant la mort de ses 72 camarades à l’intention de leurs familles. Il se souvenait de beaucoup d’entre eux. Voici ce qu’il écrit d’Etienne Cardin : « responsable à Caen de l’Union locale des syndicats CGT, je l’ai souvent rencontré au cours des mois qui ont précédé la guerre en accompagnant mon père, lui-même militant syndicaliste chassé de la S.M.N. pour avoir été l’un des meneurs de la grève historique du 30 novembre 1938. Décédé le 19 octobre 1942, il était âgé de 47 ans ».
En juin et en août 1946, sa fille Lucienne écrit, au nom de ses frères, trois lettres à André Montagne, afin de connaitre les circonstances de la mort de son père et sollicitant des conseils concernant les questions administratives.
Une plaque commémorative a été apposée le 26 août 1987 à la demande de  David Badache et André Montagne, deux des huit rescapés calvadosiens du convoi. Le nom d’Etienne Cardin est inscrit sur la stèle à la mémoire des caennais et calvadosiens arrêtés en mai 1942. Située esplanade Louvel, elle a été apposée à l’initiative de l’association « Mémoire Vive », de la municipalité de Caen et de l’atelier patrimoine du collège d’Evrecy. Elle est honorée chaque année.

  • Note 1 : Il s’agit peut-être de la date du 15 décembre et non de celle du 9. Nous n’avons en effet pas trouvé trace de cette exécution sur les différents sites ministériels ou associatifs. Par contre en représailles aux attentats d’octobre et de novembre 1941, le général commandant en chef des troupes d’Occupation décide de faire exécuter 100 juifs, communistes et anarchistes. Parmi ces cent otages fusillés le 15 décembre 1941 les 13 fusillés de Caen étaient des militants communistes, tous originaires de la Région parisienne, sauf Michel Farré, 20 ans, né à Mondeville et habitant à Colombelles. Aucun d’entre eux n’avait été condamné à mort. Ils purgeaient des peines de travaux forcés infligées par les sections spéciales de Vichy en raison de leur activité communiste.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Cassette audio d’André Montagne.
  • Témoignage de M. Varin, secrétaire de la Maison du Peuple de Caen.
  • Lettre d’un de ses fils (Roger) à André Montagne (20-3-1946) pour obtenir son témoignage sur la mort de son père.
  • Les Incompris, Cahier de Marcel Cimier, rescapé du convoi (p.23).
  • Lettres de sa fille, Madame Chotin (3 lettres en 1946) à André Montagne pour obtenir son témoignage sur la mort de son père.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains
    (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Archives en ligne de la Manche, état civil et registre matricule militaire.
  • « De Caen à Auschwitz« , page 26.
  • Recherches généalogiques (état civil, recensements, articles de presse) effectuées par Pierre Cardon

Notice biographique (modifiée en 2015, 2017 et 2023) rédigée en janvier 2001 à l’occasion de l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association « Mémoire Vive », par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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