Matricule « 45 709 » à Auschwitz

Gabriel Lacassagne © Musée de la Résistance Nationale
Rue Gabriel Lacassagne à Fontenay
Gabriel Lacassagne : né en1920 à Fontenay-sous-Bois (Seine / Val-de-Marne), où il est domicilié ; ajusteur ;  jeune communiste ; arrêté le 1er mai 1941, relaxé au procès ; arrêté comme otage communiste le 28 avril  1942 ; interné au  camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 15 mai 1943.

Gabriel Lacassagne, dit  «Lacass’» est né le 25 juillet 1920 au domicile de ses parents à Fontenay-sous-Bois (Seine / Val-de-Marne). Au moment de son arrestation, Gabriel Lacassagne habite chez ses parents au 15, rue Dalayrac à Fontenay-sous-Bois.
Il est le fils d’Antoinette Regaudie, 30 ans, née le 16 décembre 1889 à Darnets (Corrèze), sans profession (décédée en 1976) et d’Antoine Lacassagne, 35 ans, né le 31 juillet 1884 à Davignac (Corrèze) livreur en charbons, son époux (décédé en 1968).
Gabriel Lacassagne a une sœur aînée, Madeleine, Antoinette, née le 5 mai 1910 à Paris 13ème (décédée en 1972 à Fontenay). La famille s’installe à Fontenay au 15, rue Dalayrac en 1921. En 1936, leur père est commis-charbonnier à Fontenay.
Gabriel Lacassagne est ajusteur, « au salaire horaire de 9 francs », aux Etablissements « Hervieu », rue de Rosny à Fontenay, dont les bâtiments étaient encore utilisés par les services municipaux en 2009.
Il est adhérent au mouvement des Jeunesses communistes (du Parti communiste selon les RG).
Marceau Lannoy, déporté, rescapé du même convoi, le décrit comme « un grand garçon, boute-en-train« .

Le 13 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht occupent Créteil. Le 14 juin elles entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Les halles Roublot à Fontenay

Pendant l’Occupation, « Membre des Jeunesses communistes, il commence avec ses amis par lancer des drapeaux tricolores dans les fils électriques, pavoiser de nuit sur le marché Roublot, distribuer
des tracts dans les rues, coller de petits papillons sur les poteaux télégraphiques
» (Marceau Lannoy).

Le 1er mai 1941, Gabriel Lacassagne est arrêté, en même temps que son père Antoine (1), connu comme sympathisant communiste par les services de police, et que sa sœur aînée Madeleine, par trois inspecteurs de la Brigade spéciale des Renseignements généraux.

Registre journalier de la Brigade spéciale des RG, le premier mai 1941

Lire dans le site  La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.

Ces arrestations font suite à une série «d’enquêtes et de surveillances effectuées dans la commune de Fontenay-sous-Bois» menées par les inspecteurs de la BS «à la suite d’une certaine recrudescence de la propagande communiste clandestine» et qui établissent qu’Antoine Lacassagne «bien connu dans son entourage pour les sympathies qu’il professait avant les hostilités en faveur du Parti communiste ;  prenait une part active » à cette diffusion.

Dossier des Renseignements généraux

Lors de la perquisition, les inspecteurs saisissent environ 200 tracts et deux brochures (2). Lors des interrogatoires, son père reconnaît avoir connaissance de la présence de ces tracts dans une armoire de la maison et sa sœur avoue les y avoir placés après qu’un inconnu les lui ait confiés.

Pour sa part, Gabriel Lacassagne nie toute participation à une activité de propagande, dit ne pas avoir connaissance de ces tracts et s’étonne que sa sœur ait pu en rapporter.

Etat des scellés de perquisition : lire le détail en note 2

Inculpés
par le commissaire principal André Cougoule (chef de service), d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (interdisant le Parti communiste), ils sont conduits tous les trois au Dépôt de la Préfecture et mis à la disposition du Procureur.
Gabriel Lacassagne est incarcéré successivement à la Santé, le 2 mai 1941, puis à la Préfecture le 4 mai.
Le vendredi 2 mai 1941 la 12ème chambre du tribunal correctionnel de la Seine le relaxe, ainsi que sa sœur, faute d’éléments suffisants, alors que son père est condamné à 6 mois d’emprisonnement.

Mais le 28 avril 1942, Gabriel Lacassagne est à nouveau arrêté, comme otage communiste, à son domicile. Ce jour là une rafle est effectuée par l’occupant dans tout le département de la Seine. Lire dans le site La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942). Suivant cette politique des otages, les autorités d’occupation ordonnent l’exécution d’otages déjà internés et arrêtent 387 militants, dont la plupart avaient déjà été arrêtés une première fois par la police française pour « activité communiste » depuis l’interdiction du Parti communiste (26 septembre 1939)  et libérés à l’expiration de leur peine, voir relaxés comme Gabriel Lacassagne.
Il s’agit de représailles ordonnées à la suite d’une série d’attentats à Paris (le 20 avril un soldat de première classe est abattu au métro Molitor, deux soldats dans un autobus parisien, le 22 avril un militaire est blessé à Malakoff).
Gabriel Lacassagne est ensuite remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) en vue de sa déportation comme otage. Il y reçoit le matricule « 4003 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Gabriel Lacassagne est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »).
Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi.
Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Gabriel Lacassagne est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 709» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
A Birkenau, lorsque le convoi est scindé en deux, il fait partie des « 45000 » qui retournent à Auschwitz 1 en raison de leur qualification professionnelle.

Kommando de la Forge, archives de propagande allemande

Il est affecté au Block 16 et au Kommando Schmiedere, (« la Forge»). Il y travaille avec
Ferdinand Bigaré, Raymond Boudou, Eugène Charles, Marceau Lannoy, Jules Le Troadec et Victor Louarn. Selon Marceau Lannoy, il contracte le typhus.

Gabriel Lacassagne meurt le 15 mai 1943 d’après le certificat de décès établi au camp
d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 684). Ce certificat porte comme motif du décès : «Herzschwäche» (insuffisance cardiaque). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz».
Lire dans le site : Des causes de décès fictives.

Il est homologué «Déporté politique» (la carte a été adressée à son père).

Plaque au 15, rue Dalayrac
La plaque sur son immeuble à Fontenay

L’immeuble où il habitait porte une plaque honorant son nom.

En 1974, la municipalité, dont le maire est alors le communiste Louis Bayeurte – dont le père est mort à Mauthausen – donne son nom à rue de Fontenay-sous-Bois.
Gabriel Lacassagne est également honoré sur la plaque des victimes civiles, au carrefour des Martyrs de la Résistance.
Un arrêté ministériel du 6 mars 1992 paru au Journal Officiel du 16 avril 1992 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Gabriel Lacassagne.

  • Note 1 : Antoine Lacassagne est condamné à six mois de prison pour distribution de tracts par la 12è chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Il est écroué à la Maison d’arrêt de Fresnes le 23 mai. A la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, le préfet de police de Paris ordonne le 17 septembre son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940.
  • Note 2 : sept scellés : 70 tracts imprimés intitulés « vive l’union de la nation française » ; 40 tracts imprimés intitulés : « Peuple de France » ; 28 tracts imprimés intitulés : « Le Parti communiste avec la classe moyenne » ; 14 tracts imprimés intitulés « Lettre à un travailleur radical » ; 6 affichettes intitulées : « A bas la presse aux ordres du
    capitalisme 
    » et « Mères, réclamons un peu de joie pour nos petits » ; 1 brochure « L’Urss est-elle vraiment la patrie des travailleurs ? » ; 1 brochure  «  L’histoire du Parti communiste ».

Sources

  • Photo transmise à Roger Arnould par Jacques Damiani, ancien résistant et déporté à Dachau, président de l’association des déportés du Val de Marne (5 mars 1972).
  • Fiche d’état civil du Val de Fontenay, adressé par Loïc Damiani (mars 2012).
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris. Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), Procès verbaux des interrogatoires.
  • Témoignage de Marceau Lannoy sur Gabriel Lacassagne (ils étaient tous deux au Kommando « la Forge » à Auschwitz : enregistrement sur cassette recueilli par Claudine Cardon-Hamet).
  • Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Photo du 15, rue Dalayrac à Fontenay-sous-Bois © Google Maps.
  • Photo de la plaque © Loïc Damiani, conseiller municipal de Fontenay-sous-Bois.
  • Photo de Gabriel Lacassagne,© Musée de la Résistance Nationale, Champigny. Mes remerciements à Céline Heytens.
  • Archives de la Préfectures de police de Paris, dossiers Brigade spéciale des Renseignements généraux, registres journaliers.

Notice biographique mise en ligne en 2012, complétée en 2017, 2020 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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