Matricule « 45 575 » à Auschwitz
Elie Gaudefroy : né en 1892 à Paris 10ème ; domicilié à Paris 20ème ; biseauteur en glaces, agent TCRP ; arrêté pour distribution de tracts communistes le 10 ou 12 octobre 1940 ; condamné à 4 mois de prison (Fresnes) ; interné aux camp d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 16 août 1942.
Elie, Jean Gaudefroy est né le 11 décembre 1892 à Paris (10ème) à la maternité de l’hôpital Lariboisière.
Elie Gaudefroy habite 3, et 5, place Emile Landrin à Paris 20ème au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie-Claire, Ernestine Hoffmann, âgée de 40 ans, femme de ménage, et de Jules, Emile, Fernand Gaudefroy, 33 ans, camionneur, son époux. Ses parents habitent 29, rue du Maroc dans le 19ème.
Son registre militaire nous apprend qu’il mesure 1m 66, a les cheveux et les yeux châtains, le front vertical, le nez rectiligne et le visage plein. Au moment du conseil de révision, il habite au 109, boulevard de Charonne à Paris 19ème.
Il est maréchal ferrant. Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Recensé au titre de la classe 1912, il est appelé au service militaire le 8 octobre 1913 (la « 12 » est incorporée en octobre 1913), pour une durée de 3 ans, qui seront prolongés en raison du conflit. Il est affecté au 46ème Régiment d’Infanterie de ligne, caserné à Fontainebleau.
Après la déclaration de guerre, son régiment est engagé en 1914 dans la bataille de la Marne, puis dans le secteur de l’Argonne en 1915. En mars 1915, il est hospitalisé un mois à l’hôpital de Bar-le-Duc pour « typhoïde », puis un autre mois à ceux de Sarlat et Brive. Il retourne au 46ème régiment d’artillerie. En février 1916, il est hospitalisé deux mois et demis à Chalons pour « érésipèle » (érysipèle, affection bactérienne caractérisée par une inflammation de la peau), puis quatre mois et demi à l’hôpital d’Oléron, jusqu’au 27 juillet. Il retourne au front avec le 46ème régiment d’artillerie qui participe à la bataille de la Somme.
Puis c’est le secteur du chemin des Dames en 1917, et Noyon en 1918. Le 20 juin 1918, il est cité à l’ordre du régiment « s’est spontanément porté au secours de camarades blessés malgré la violence du bombardement, montrant ainsi un bel exemple de calme et de courage». Pour cette citation, il reçoit la Croix de guerre. Après l’armistice, il « passe » au 29èmeRégiment d’Artillerie Lourde le 24 juin 1919. Il est démobilisé le 25 août 1919, « certificat de bonne conduite accordé ».
Elie Gaudefroy épouse Berthe Marie Rafflé le 17 avril 1920 à Paris 20ème. Fleuriste, elle a 28 ans, née le 12 avril 1891 à Paris (11ème). Elle habite au 10, rue de Buzenval, chez ses parents. Elie Gaudefroy a 28 ans, il est domicilié au 109, boulevard de Charonne. Il travaille alors comme ouvrier biseauteur de glaces. Le couple habite alors au 10, rue de Buzenval (20ème).
Elie Gaudefroy est embauché le 6 novembre 1927 comme stagiaire « machiniste autobus » à la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP, la « TCRP »), au dépôt des Lilas. Recalé à l’examen de machiniste, il obtient néanmoins le titre de « receveur d’autobus ».
Le 27 août 1928, il est affecté au dépôt de Lagny (angle rue des Pyrénées / rue de Lagny dans le 20ème), qui à partir de 1932 devient exclusivement un dépôt d’autobus (les TN6 : lignes remisées 26, 29, 46, 56, 86). Son épouse Berthe Gaudefroy meurt le 20 avril 1932.
En 1935, il travaille à la TCRP. Ce travail lui vaut pour l’armée d’être classé « sans affectation » dans la réserve, comme « affecté spécial ».
A partir d’avril 1937, Elie Gaudefroy déménage pour un appartement aux 3, et 5, place Emile Landrin à Paris 20ème.
Veuf, il épouse en secondes noces Jeanne, Angèle, Albertine Hébert le 18 décembre 1937 à Paris 20ème. Veuve elle-même de F. Coquelin, elle a 46 ans, née à Airel (Manche) le 6 octobre 1891. Elle est comme Elie Gaudefroy, reçeveuse à la STCRP. Ils sont tous deux domiciliés au 3, et 5, place Emile Landrin. En avril 1939 Elie Gaudefroy est « réformé n° 2 » pour « tuberculose pulmonaire ».
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Elie Gaudefroy est arrêté par la police française, ainsi que son épouse et quatre autres militants, le 10 ou le 12 octobre 1940, pour distribution de tracts communistes. Inculpé le 12 octobre 1940 d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est incarcéré à la Santé en attente de jugement.
Il est condamné le 2 décembre 1940 par la 12ème chambre correctionnelle de Paris à 4 mois de prison, qu’il purge à la Maison d’arrêt de Fresnes où il est écroué le 14 décembre.
L’ingénieur en chef du service du mouvement de la STCRP envoie au domicile d’Elie Gaudefroy, quelques jours après son arrestation, une lettre recommandée l’informant qu’en raison de son « absence injustifiée » depuis le 12 octobre 1940, il est considéré démissionnaire et rayé des cadres
de la compagnie.
A la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, le préfet de police de Paris Roger Langeron ordonne le 13 janvier 1941 l’internement administratif d’Elie Gaudefroy en application du décret du 18 septembre 1939 (1), ce dont il informe le président du conseil d’administration de la STCRP le 25 janvier.
Le 17 janvier 1941, Elie Gaudefroy, comme André Montagne (un autre agent de la STCRP), fait partie des 24 militants communistes conduits au CSS d’Aincourt en Seine-et-Oise (aujourd’hui dans le Val d’Oise), ouvert spécialement, en octobre 1940 pour y enfermer les communistes arrêtés. Lire dans le site : Le camp d’Aincourt).
Le 6 septembre 1941, il est transféré avec 148
autres détenus d’Aincourt au CIA de Rouillé (2).
Lire dans le site : le-camp-de-Rouillé .
Le 14 octobre 1941, le commandant du camp de Rouillé demande au préfet de police de Paris les dossiers concernant les 149 internés venant d’Aincourt, dont celui d’Elie Gaudefroy, « pour lesquels » écrit-il « je n’ai aucun document ».
Dans le document ci-contre, la préfecture de police de Paris répond : « meneur communiste actif. Condamné le 2. 12. 1940 à 4 mois de prison pour infraction au décret du 26.9.1939 ».
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (le Frontstallag 122).
Le nom d’Elie Gaudefroy (n° 84 de la liste) y figure et c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il arrive au camp allemand de Royallieu à Compiègne le 22 mai 1942. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Elie Gaudefroy est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Elie Gaudefroy est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 575» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (4) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Il meurt à Auschwitz le 16 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 372).
Un arrêté ministériel du 9 septembre 1992, paru au Journal Officiel du 8 novembre 1992, porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès d’Elie Gaudefroy, avec comme mention « décédé le 17 août 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Il convient de souligner que vingt-six autres «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz le 17 août (c’est le début d’une grande épidémie de typhus au camp principal, qui entraîne la désinfection des blocks, s’accompagnant d’importantes sélections et du transfert du camp des femmes) et il est vraisemblable que le ministère des Anciens combattants ait retenu cette date à partir des témoignages des rescapés (jugement du 28 juin 1948). Lire : 80 % des 45000 meurent dans les 6 premiers mois, pages 126 à 129 in Triangles rouges à Auschwitz.
Lire l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
Elie Gaudefroy est homologué comme « Déporté politique ».
Au centre bus de Lagny, 18 rue des Pyrénées, une première plaque était inaugurée solennellement le 25 août 1946, en présence de M. Langevin, directeur général de la CMP, et de Jean Thomasson, représentant
le Comité de Libération du métropolitain, en présence de 11 drapeaux d’associations, syndicats et partis politiques. A l’appel de chaque nom, un machiniste répond symboliquement. La plaque est dédiée « Aux agents des dépôts de Lagny, Saint-Mandé, Bastille morts pour la France ».
Les noms d’Elie Gaudefroy et de Victor Jardin, du dépôt de Saint-Mandé, lui aussi déporté à Auschwitz, y sont honorés.
La plaque a été refaite en 1967. On trouvera dans l’ouvrage «Le deuil en hommage : Monuments et plaques commémoratives de la RATP», de Noëlle Gérôme, de nombreuses informations et documents sur les commémorations d’après-guerre, dont une photographie de la cérémonie pré-citée.
- Note 1 : Le décret du 18 novembre 1939 donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, des « individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy le 3 septembre 1940.
- Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
- Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
- Note 4 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- © Archives en ligne de l’état civil de Paris.
- © « Archives définitives » de la RATP, à la Maison de la RATP, dossier personnel d’Elie Gaudefroy. Remerciements à Mme Laurence Loy et Mr. Thiriau.
- © Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives de la Préfecture de police de Paris / BA 2374
- Circulaire d’application du décret-loi du 18 novembre 1939.
- Camp de Rouillé : archives départementales de la Vienne et Liste d’otages XLT 42 (CDJC).
- © Site Internet Mémorial-GenWeb.
- © Site Internet Lesmortsdanslescamps.com
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / © collection André Montagne.
- Liste des détenus ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz (BAVCC. Ausch 3/T3).
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Dans les registres des morts d’Auschwitz, il figure sous le nom de Gondefroy. Archives du CDJC (XLI-42). «Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz» (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
- © Photo de la plaque commémorative in site du patrimoine des communes Topic-Topos, attribuée sans doute à tort à la ville de Lagny sur
Marne. - Registres matricules militaires de la Seine.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com