Matricule «45 743» à Auschwitz

Roger Le Bras : né en 1906 à Paris 18ème, où il  habite ; garçon de café, menuisier à l'A.P.; communiste, secrétaire national du Secours rouge ; arrêté le 16 mai 1941, condamné à sept mois de prison ; prisons de Fresnes et de Clairvaux ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 15 septembre 1942.

Roger, Jean, Le Bras est né le 4 mai 1906 à Paris (18ème). Il  habite au 200 rue Championnet Paris (18ème), quartier des Grandes carrières, au moment de son arrestation.
Roger Le Bras est le fils de Marie-Louise Cloarec, 26 ans, ménagère et de Jean François Le Bras, 30 ans, employé, son époux.
Il a une sœur aînée, Marguerite, Jeanne (1903-1991) et un frère cadet René, Auguste (1914-1995).
Après avoir été garçon de café jusqu’en 1937, profession indiquée lors de son inscription sur les listes électorales, il travaille comme ouvrier menuisier à l’Assistance publique de Paris (on ignore dans quel établissement hospitalier, sa femme ne le précise pas, mais il s’agit peut-être de l’hôpital Bichat, à deux rues de chez lui).
Il épouse Georgette, Louise Bajot, brodeuse, le 25 juin 1936 à Paris 18ème (le frère de Roger Le Bras est l’un des témoins). Elle est âgée de 34 ans, née à Paris 12ème, le 5 mai 1902. Elle habite  au 111, rue Damrémont à Paris 18ème où ils sont tous les deux domiciliés . Elle décrit son mari : « petit, mince, brun ». Militant actif du Parti communiste, Roger Le Bras est responsable du CDH de son quartier (Comités de défense de l’Humanité) et vend jusqu’en septembre 1939 l’Humanité dimanche avenue de Saint-Ouen.
Il est adhérent à la CGT, et Secrétaire national du Secours Rouge.

En juin 1940, un triangle de direction clandestin du Parti communiste fonctionne depuis plusieurs mois dans le 18ème. Il est composé de Spilers, Guilleminot et Maurice Rioux. Avec le retour de l’armée de plusieurs militants, le triangle est modifié et constitué de Laprade, Armand Schkolnic et Maurice Rioux jusqu’au soir du 26 novembre 1940 où Laprade et Schkolnic sont arrêtés (Armand Schkolnic est déporté comme Juif à Auschwitz dans le convoi du 5 juin 1942). Lire dans le site la notice le concernant et le témoignage de Georges Guinchan qui le retrouve à Auschwitz peu avant son décès : Des militants communistes arrêtés comme tels, sont déportés comme otages juifs. Gustave Depriester devient alors le responsable politique du quartier des « Grandes Carrières », au sein d’un triangle de direction clandestin composé de Maurice Rioux et Alex Le Bihan.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Témoignage d’Alex Le Bihan

Alex Le Bihan prend la responsabilité du triangle clandestin à suite de l’arrestation de Gustave Depriester le 29 novembre 1940.
Alex Le Bihan qui sera arrêté le 16 mai 1942 et déporté à Sachsenhausen le 8 mai 1943 a témoigné à deux reprises (en 1981 et 1991) des circonstances de l’arrestation de Roger Le Bras devenu un des membres de son triangle.
« Je lui avais interdit ou conseillé de ne pas distribuer des tracts qui étaient périmés, mais il s’en est quand même chargé. Le 16 mai 1941, il a commencé à les distribuer tout seul en les glissant sous les portes. Il en a glissé un sous l’entrée du 226, rue Championnet au moment où un inspecteur de police qui n’était pas en service allait promener son chien. Il a été suivi par celui-ci, qui a fait appel à deux agents du 17ème arrondissement qui étaient au carrefour avenue de Saint-Ouen-rue Balaguy (rue Guy Moquet aujourd’hui) pour qu’ils l’arrêtent ».

Arrêté le 16 mai 1941, Roger Le Bras est inculpé d’infraction au décret-loi du 26 septembre 1939. Il est conduit au dépôt de la Préfecture de police le 20 mai. Le 26 mai, il comparaît devant la 12ème chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Il est condamné à sept mois de prison.
Le 9 juin, il est transféré à la Maison d’arrêt de Fresnes : il y est inscrit sous le numéro d’écrou n° 8459.

La Maison centrale de Clairvaux

Le 20 juin 1941 il est à nouveau transféré, cette fois à la Maison centrale de Clairvaux (Aube).
Lire dans le site : La Maison centrale de Clairvaux.
Sur ordre des autorités d’Occupation (13 février 1942), le Préfet de l’Aube le fait transférer avec d’autres détenus de Clairvaux – dont Frédéric Ginolin, René Paillole, Charles Véron – au camp allemand de Royallieu à Compiègne, le Frontstalag 122.
Il est transféré avec ses camarades à Compiègne le 23 février 1942.
Affecté au bâtiment A 8, Roger Le Bras y porte le matricule 3637. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». 

Depuis le camp de Compiègne, Roger Le Bras est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Roger Le Bras est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 743» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Menuisier, Roger Le Bras est vraisemblablement affecté à Auschwitz I, c’est ce que plusieurs rescapés ont dit à son épouse (dans sa lettre du 23 juin 1945).

Dessin de Franz Reisz, 1946

Roger Le Bras meurt à Auschwitz le 15 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 127 «sous le nom de Bras Le et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat
d’Auschwitz-Birkenau
). Un arrêté ministériel du 2 août 1993, paru au Journal Officiel du 17 septembre 1993, porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de Roger Lebras. Cet acte porte néanmoins une autre date, voisine « décédé le 6 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne)».

Lettre de Georgette Le Bras

Le 23 juin 1945, alors que les premiers survivants rentrent de déportation Georgette Le Bras s’adresse à l’un d’eux dont elle a appris qu’il était dans le même convoi que son mari « je vous supplie de me donner des précisions, même si je devais apprendre de mauvaises nouvelles. N’ayant jamais eu aucune nouvelles de mon mari depuis juillet 1942, je me rends compte de ce que je peux apprendre, mais je préfère connaître la vérité, même s’il doit apparaître qu’il a beaucoup souffert ».
Roger Le Bras est déclaré « Mort pour la France » le 19 juillet 1947.
Il est homologué comme Sergent à titre posthume avec prise de rang au 1er mai 1941(arrêté paru au JO du 9 octobre 1949) au titre de la Résistance intérieure française, RIF) et comme Déporté Résistant (DIR), comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. Service historique de la Défense, Vincennes  GR 16 P 347667.

Sources

  • Lettre de Mme Georgette Le Bras (23 juin 1945) adressé à un rescapé du convoi, malheureusement non identifié. Mais on sait que tous les rescapés du convoi se sont fait un devoir de répondre à de telles lettres.
  • Témoignages d’Alex Le Bihan (responsable FNDIRP du 18èmearrondissement) en 1981 (lettre à Roger Arnould) et 1991 (Lettre à Claudine Cardon-Hamet), et de R. Dray de Marseille.
  • Extrait n°2470 de l’acte de décès, état civil de la Mairie du 18ème.
  • Archives  du tribunal correctionnel de la Seine.
  • Archives en ligne de Paris, recensement de 1936 et listes électorales.
  • Archives départementales du Val-de-Marne, Maison d’arrêt de Fresnes
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *