Sa fiche au camp de Mauthausen, matricule 117 190

Matricule « 46 028 » à Auschwitz    Rescapé

Jean Quadri : né à Nice (Alpes-Maritimes) en 1912, dit "Jeannot-le-Parisien" ; domicilié à Nice et à Paris 9ème ; arrêté le 25 octobre 1940, condamné à 3 mois de prison au fort de Sisteron, évadé ; arrêté le 3 janvier 1942, Maison d’arrêt de Poissy ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Mauthausen, Melk, Ebensee ; rescapé.

Jean Quadri est né à Nice (Alpes-Maritimes) le 13 mars 1912, « Jeannot-le-Parisien » a une adresse à Nice (26 boulevard de Cessole) et une autre à Paris (hôtel Silvia, rue Frochot, dans le 9ème arrondissement).
Il est le fils de Lucia Cerfogli, 24 ans, ménagère, née à Sertola (province de Modène, Italie) et de Mauricio Quadri, 30 ans, plâtrier, né à Citta di Castello (province de Pérouse, Italie).
Jean Quadri est plâtrier de métier. Il est très grand pour l’époque (1m 79).
Son frère Vincent est maçon, connu pour être secrétaire des Jeunesses communistes du quartier dit du « Passage à niveau » à Nice. Résistant, il sera arrêté comme communiste par la Milice à Nice le 5 mars 1944. Il ne parlera pas, mais décédera peu après la Libération des suites des tortures qui lui furent infligées.
Si Jean Quadri est manifestement lié à la pègre niçoise (1), il l’est également avec le clan politique médeciniste (2). Il n’a subi aucune condamnation avant l’Occupation.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…)

Après la défaite française, des policiers de Nice arrêtent Jean Quadri le 25 octobre 1940, et il est enfermé à la Citadelle de Sisteron (Alpes de Haute-Provence), transformé en camp d’internement par décret du 18 novembre 1939, puis en Centre de Séjour (Wikipédia).
Son dossier mentionne qu’il est condamné à trois mois de prison le 7 janvier 1941, ce que Jean Quadri a contesté à la Libération.
Il réussit à s’évader de Sisteron en janvier 1941, le même mois que Jean Pollo, et peut-être en même temps que lui.
S’ensuit alors une période au cours de laquelle il dira être en mission à Paris pour le réseau Combat à partir d’avril 1941.
Plusieurs personnes ont témoigné de son appartenance à la Résistance intérieure française, au sein du réseau Combat : ainsi, M. T. Vial, maréchal des Logis au S.R. déclare avoir reçu de lui une livraison d’armes à l’hôtel Silvia, rue Frochot (9ème). D’autres attestations figurent dans son dossier « statut » aux ACVG : Jean-Bernard Erligs atteste que plusieurs personnes ont été cachées et hébergées par Jean Quadri, qui les a « aidées à franchir la ligne de démarcation« . Déclarations de M. Théodore Vial (S.R.) et du capitaine Paul.

Au cours d’une vérification d’identité, Jean Quadri est arrêté à nouveau, rue Fontaine, à Paris, le 3 janvier 1942.
Il est emmené au Dépôt de la Préfecture, puis à Poissy le 23 janvier. Ramené au Dépôt, Jean Quadri en est extrait le 5 mai 1942 avec treize autres internés administratifs de la police judiciaire, classés comme « indésirables » (3), pour être conduit avec 33 internés à la gare du Nord.  

Ils sont mis à la disposition des autorités allemandes et internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le jour même, en tant qu’otages. Il est remis aux Allemands à leur demande, le 5 mai 1942 et interné à Compiègne.
Il est déporté comme « otage asocial ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Sa famille effectue des démarches auprès de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés afin d’obtenir de ses nouvelles (mention au DAVCC, « dossier Brinon » : Fernand Brinon (dit marquis de Brinon) représente le gouvernement français auprès du Haut-Commandement allemand dans le Paris de l’Occupation).

Depuis le camp de Compiègne Jean Quadri est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000» (1170 déportés immatriculés à Auschwitz dans la série des matricules « 45.000 » et « 46.000 », d’où le nom « convoi des 45000 » que les rescapés se sont donné). Ce convoi d’otages composé, pour l’essentiel, d’un millier de communistes (responsables politiques du parti et syndicalistes de la CGT) et d’une cinquantaine d’otages juifs , faisait partie des mesures de représailles allemandes destinées à combattre, en France, les Judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Jean Quadri a raconté comment, après avoir avec plusieurs camarades réussi à percer un passage dans le plancher du wagon avec des lames de ressorts provenant de leurs sommiers à Compiègne, Marcel Claus le plus mince d’entre eux, se faufile sur la voie en gare de Metz.
Mais hélas, il est repéré, comme Jean Antoine Corticchiato et ramené par les sentinelles allemandes dans le wagon de queue du convoi. Lire dans le site Les évadés du train du 6 juillet 1942.

Jean Quadri est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 028» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.  Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jean Quadri, plâtrier de métier, fait partie de ceux-là.

Témoignage d’Abel Buisson

« Mon camarade de travail pendant plus d’un an au Neubau, comme maçon, et après le Block 11, magasinier. Evacuation ensemble par la route et le train à Mauthausen le 25 janvier, libérés ensemble à Ebensee
par la 3ème armée américaine. Abel Buisson
».
Il est affecté au Kommando « Neubau » (maçonnerie, entretien des édifices neufs), où il verra arriver Abel Buisson qu’il ne quittera plus jusqu’à leur libération.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Ils sont témoins de l’horreur au quotidien, décrite minutieusement par René Maquenhen :  lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz.

Ils ne sont en effet plus que 220 survivants en décembre 1942 et 150 environ en mars 1943. Ils sont tous confrontés quotidiennement à l’horreur et à la mort.
Jean Quadri, comme les autres détenus « Triangles rouges » français d’Auschwitz reçoit en juillet 1943 l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments (en application d’une directive de la Gestapo datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus des KL ( Konzentrationslager) en provenance d’Europe occidentale la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres). Ce droit leur est signifié le 4 juillet 1943.
Lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français.

Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi-totalité des Français survivants. Lire l’article du site »les 45000 au block 11.
Le 12 décembre, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.
Jean Quadri et Abel buisson travaillent alors comme magasiniers.
Le 3 août 1944, Jean Quadri est à nouveau placé en “quarantaine”, au Block 10, avec les trois quarts des “45000” d’Auschwitz pour être transférés vers d’autres camps (ce qu’ils ignorent). Lire dans le site , « les itinéraires suivis par les survivants ».

Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz.  Une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.

Un groupe de 31 est transféré le 28 août pour Flossenbürg, un autre groupe de 30 pour Sachsenhausen le 29 août 1944. Un troisième groupe de 30 quitte Auschwitz pour Gross-Rosen le 7 septembre.
Jean Quadri et Abel Buisson partagent le sort du dernier groupe évacué d’Auschwitz vers Mauthausen le 18 janvier 1945 (André Boulandet, Abel Buisson, Raymond Cornu, Jean Corticchiato, Marcel Guilbert, Georges Guinchan, André Montagne, Aimé Oboeuf, Jean Pollo, Jules Polosecki, Jean Quadri, André Rousseau).

Libération du camp d’Ebensee
Sa fiche au Kommando de Melk

Il y reçoit le matricule « 117 190 », puis est affecté avec Abel Buisson et 6 autres 45 000 au Kommando extérieur de Melk le 25 janvier et à celui d’Ebensee le 29 janvier (aménagement d’usines souterraines, province de Salzbourg), où la 3° Armée US libère les déportés le 6 mai, « à 14 heures 30 » écrit Abel Buisson. Il est rapatrié le 26 mai à Paris (Hôtel Lutétia).

Jean Quadri revient habiter à Nice au 6, boulevard Masséna, puis au 10 bis, avenue Malaussena. Il a terriblement maigri (à peine 49 kg pour son presqu’un mètre quatre vingt). Ses amis ont du mal à croire ce qu’il a vécu dans les camps.
Il s’installe comme restaurateur à Nice où il ouvre deux établissements,  “L’Aéro Bar”, près
de la Gare, ouvert jour et nuit, et “Le Venise”, restaurant sur le port.

Témoignage d’Abel Buisson

 » Arrivé à Nice, il a repris son restaurant. Il passait de temps en temps à Bagnolet et moi à Nice. Un ami sincère qui a aidé beaucoup le reste des 45000. Abel Buisson ».

Jean Quadri est homologué comme « Déporté
politique
 » le 26 avril 1966, après l’annulation du rejet de 1962.

Le 18 décembre 1972, à Nice, il épouse Enny Corry van Doornik, dite Corine. Le couple a une fille, Sabrine, qui naît le 4 mai 1964.
Il a témoigné comme la plupart des survivants de la mort de ses camarades, comme avec Roger Abada, celle de Charles Garré.
Il a gardé le contact avec ses anciens camarades de déportation. Membre de l’Amicale de Mauthausen, il envoyait régulièrement des dons pour l’aide aux plus démunis.

Lettre de Corinne Quadri

Jean Quadri meurt le 5 juin 1984 à Nice. A sa demande, il est incinéré à Orange (Vaucluse).  Il avait 72 ans.
Plusieurs « 45 000 » ont témoigné de la solidarité qu’il a su exercer à l’égard de ses compagnons de déportation, tels Georges Autret, Abel Buisson, Georges Gourdon.
André Montagne, qui, a la demande de Corinne Quadri son épouse, a prévenu chacun de leurs camarades encore vivants en 1984 écrit « ce bon camarade que nous venons de perdre et qui s’était si
parfaitement conduit à Auschwitz. Tous ceux d’entre nous qui demeuraient en rapport avec lui depuis notre retour du camp savent combien Jeannot était resté fidèle aux « 45 000 » d’Auschwitz et au souvenir de leur combat et de leur solidarité pour survivre. Nous ne l’oublierons pas ».

  • Note 1 : Si l’on en croit l’enquête de police du 2 février 1962 qui conduit d’abord au rejet de l’attribution du titre de Déporté Politique (rejet qui sera annulé en 1966), Jean Quadri serait « de moralité douteuse« , et « ne travaillerait pas depuis mai 1939« .
    Toujours selon le même rapport de police, il serait copropriétaire d’une maison de tolérance située à Dunkerque. A propos de cet immeuble, on peut noter que Jean Antoine Corticciato également arrêté dans le 9ème est selon les certificats du réseau Combat, envoyé en mission à Dunkerque en 1941.
    Des dates d’arrestation sont portées au dossier : le 25 août 1934, il est

    Lettre d’André Montagne à Roger Arnould

    appréhendé, mais relâché presqu’aussitôt. Lors de la campagne électorale de 1935, les RG notent qu’il est mêlé à des troubles « en faveur de son candidat » qui est vraisemblablement Jean Médecin. Le 20 octobre 1938 Jean Quadri est suspecté dans une affaire où sont impliqués des gangsters parisiens notoires, sans suite judiciaire connue.

  • Note 2 : Jean Médecin, maire de Nice depuis 1928, conseiller général en 1931, député en
    1932. « Républicain, démocrate, indépendant et modéré, il siégera dans le groupe des Indépendants de Gauche, puis se rapprochera du centre avec le parti politique local qu’il créera : le Rassemblement des Indépendants. Il n’y a qu’en 1936, qu’à la suite du succès du Front Populaire, il rejoindra très brièvement le PPF (…). A la Libération il rejoint l’UDSR, puis le Parti radical indépendant, et s’oppose au gaullisme, y préférant même la gauche la plus radicale comme le PCF (Wikipedia). A son retour des camps, Jean Quadri s’est impliqué dans ses campagnes électorales et dans celles de son fils, Jacques Médecin.
  • Note 3 : « Indésirables » : des militants communistes (dont plusieurs anciens des Brigades Internationales) et des « droits communs ». La
    plupart des « Droits communs » déportés dans le convoi du 6 juillet sont apparentés ou proches des milieux communistes.

Sources

  • Dossier « statut » aux archives des ACVG (Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté).
  • Lettre de sa veuve à André Montagne.
  • Lettre d’André Montagne (6 juillet 1984). Témoignages auprès de Roger Arnould, documentaliste à la FNDIRP.
  • Témoignage d’Abel Buisson, Photo de Jean Quadri.
  • A propos de Vincent Quadri : « Sur la corde raide, entre résistance et collaboration. Un Juif hongrois en France occupée » par Riadh Ben Khalifa.
  • © Monument Mauthausen III.
  • Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon

Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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