Matricule « 45 497 » à Auschwitz
Edouard Dufour : né en 1899 à Choisy-le-Roi (Seine / Val-de-Marne), où il est domicilié ; chauffeur, ébéniste, cimentier ; sympathisant ou communiste (RG) ; arrêté le 14 novembre 1940, condamné à 6 mois de prison (maison centrale de Fresnes), interné aux camps d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 9 août 1942
Edouard Dufour est né le 19 février 1899 à Choisy-le-Roi (Seine / Val-de-Marne) au 12, rue des Gondoles. Au moment de son arrestation, il est domicilié dans un logement au 11, rue des Gondoles (rue des Fusillés depuis décembre 1944), en face du petit pavillon de ses parents, à Choisy-le-Roi.
Il est le fils de Julie Soumy, 23 ans, née le 1er juin 1875 à Pradeix / Saint-Hilaire-le Château (Creuse), sans profession et de Léonard Dufour, 27 ans, né le 25 septembre 1871 à Saint-Dizier-Lereyne au Montabaro (Creuse). Son père est cultivateur, puis maçon et mouleur chez Ferry à Choisy, son époux.
Edouard a une sœur aînée, Marthe, née en 1897, et trois cadet.e.s, Marcel, né en 1901, Marie, née en 1904 et Julia, née en 1906. Leurs parents se sont mariés le 12 mars 1896 à Saint-Hilaire le Château (Creuse).
La famille vient habiter en région parisienne (recensement de 1901) au 12, rue des Gondoles à Choisy-le-Roi.
Leur père mobilisé d’août 1914 à mai 1915 décède chez lui le 14 juillet 1915 d’une tuberculose pulmonaire.
Les enfants deviennent pupilles de la Nation (24 juin 1920).
Le registre militaire d’Edouard (matricule n° 4152 du 3è bureau de la Seine) nous apprend qu’il mesure 1m 64, a les cheveux châtains, les yeux bleus, le front ordinaire, le nez rectiligne et le visage long.
Au moment du conseil de révision, il est indiqué comme chauffeur, puis ébéniste et habite chez ses parents au 12, rue des Gondoles à Vitry (Seine / Val-de-Marne).
Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Comme tous les jeunes hommes de sa classe, la « 1919 », il est mobilisé par anticipation en avril 1918 (en vertu du décret de mobilisation générale), le 16 avril 1918 au 4è Bataillon de Chasseurs à pieds. Après l’instruction militaire, il est envoyé au front le 30 août 1918.
Après l’Armistice, il est changé de régiment et passe au 25è Bataillon de Chasseurs à pieds le 13 avril 1919.
Il est nommé soldat de 1è classe le 25 octobre 1919. Du 24 octobre au 13 février 1920 il est avec son régiment en occupation des Pays Rhénans. Le 14 février 1920, il est affecté à la 20è section de secrétaire à l’Etat major, puis au 89è RI le 13 janvier 1921.
Il est démobilisé le 23 mars 1921, « certificat de bonne conduite accordé ».
En 1926, la famille vit au 12, rue des Gondoles. Marcel et Edouard sont cimentiers chez Lenoue, Marie et Julia sont cartonnières chez Loury.
Le 20 octobre 1927, il épouse, à Choisy-le-Roi, Marie, Victoria Soumy, remmailleuse (elle est née le 20 janvier 1898 à Paris 14è). Elle décèdera le 16 janvier 1993 à Culhat (Puy-de-Dôme) / information Laurence Blech).
Marie Dufour sera gérante d’une laiterie Hauser, avenue de Paris à Thiais en 1936, alors qu’Edouard est au chômage. Le couple habite un logement au 11, rue des Gondoles, en face du pavillon familial. et va adopter au décès de ses parents une nièce d’Edouard, Jacqueline, .née en 1934.
Edouard Dufour est cimentier de profession. Il sera également chauffeur. Il perd son travail en 1935.
Il est sympathisant communiste et fréquente « certains militants notoires de la région » selon un rapport de police.
D’avril 1939 jusqu’à sa mobilisation, il est manœuvre à la Société ouvrière française de Travaux publics, à Cachan.
Quelques jours après le décret de mobilisation générale du 3 septembre 1939, il est « rappelé à l’activité », le 19 septembre à la 22è Section d’Infirmiers militaires. Il est réformé n°2 le 11 novembre 1939 (pour séquelles de congestion pulmonaire).
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Pendant la guerre et le début de l’Occupation allemande, il est surveillé par les Renseignements généraux qui l’ont étiqueté « meneur communiste actif ».
Édouard Dufour, alors qu’il distribuait des tracts de la jeunesse communiste clandestine avec son neveu André Soumy, est arrêté le 14 novembre 1940 à 22 h 15 par des gardiens de la paix « en flagrant délit de distribution de tracts communistes ». Le rapport de police précise qu’il vient « de glisser un tract sous la porte du poste de police situé rue Chevreul, à Choisy-le-Roi. Fouillé, trouvé porteur d’une dizaine de tracts ronéotypés clandestinement et invitant à adhérer aux Jeunesses communistes. La perquisition effectuée le lendemain à son domicile… la découverte de 3 ou 4 brochures anciennes de propagande ». Inculpé par le commissaire de Choisy d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste), il est conduit au Dépôt de la Santé à la disposition du procureur. Il est condamné à six mois de prison par la 15è chambre pour « infraction au décret du 26-9-1939 » (interdiction du Parti communiste), qu’il va purger à la Maison centrale de Fresnes.
A la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, le préfet de police de Paris ordonne son internement administratif le 31 mars 1941, en application de la Loi du 3 septembre 1940 (1).
Il est ramené au Dépôt en attente d’un transfert. Celui-ci est rendu possible pour le camp d’Aincourt, alors saturé, car 54 internés de ce camp vont être transférés le même jour au camp de Châteaubriant, via la Maison centrale de Poissy.
Le 18 mars 1941, Édouard Dufour arrive au camp français d’Aincourt, avec six autres détenus (René LouisetLucien Preuilly, Eugène Guillaume, Henri Mathiaud, Louis Preuilly qui seront tous déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942. Seul le frère d’Henri Mathiaud, Raymond, qui figure sur cette liste ne le sera pas).
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
A la suite d’une demande de libération effectuée par Marie Dufour, De Brinon (délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés) fait suivre comme à chaque fois au Préfet de Seine-et-Oise… Lequel recueille l’avis du directeur du camp d’Aincourt.
Le commissaire Andrey, dont l’anticommunisme est bien connu, a émis très peu d’avis favorables, même s’il reconnait la plupart du temps « l’attitude correcte » de l’interné. Pour Edouard Dufour, Andrey répond le 6 août 1941 « Son attitude au centre a toujours été correcte. Toutefois, il n’a jamais participé volontairement à des corvées (…) Dufour est un élément communiste certain et je donne, à l’égard de sa libération, un avis défavorable ».
Le 6 septembre 1941, Edouard Dufour et 149 autres internés sont transférés au CSS de Rouillé (2) dans la Vienne.
Le camp ouvre à cette date pour désengorger Aincourt, surpeuplé.
Le 14 octobre, le directeur du camp demande au préfet de la Seine les dossiers des internés arrivés à Rouillé un mois auparavant, dont celui d’Edouard Dufour.
Ces dossiers lui sont envoyés par les Renseignements généraux (documents ici-reproduits, circulaire n°13.571.D) le 30 octobre (doc C-331.24).
Pour Edouard Dufour l’avis des RG est le même qu’à Aincourt.
On lit avec ses dates et lieu de naissance, adresse et date d’arrestation, comme cause de l’arrestation « meneur communiste actif. A été condamné à six mois de prison pour infraction
au décret du 26-9-1939 ».
Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (Frontstallag 122).
Le nom d’Edouard Dufour (n° 73 de la liste) y figure.
Le 22 mai 1942 c’est au sein d’un groupe de 168 internés (3) qu’il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi.
Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Edouard Dufour est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Edouard Dufour est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 497» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Edouard Dufour meurt à Auschwitz le 9 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 244 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec sa date de naissance et lieu de domicile et avec l’indication « glaubenslos » (athée).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Sur son acte de décès figurent les mentions « Mort pour la France » et « Mort en déportation » (l’arrêté du 14 février 1989, paru au JO du 24 mars 1989 mentionnait son décès au 6 juillet 1942. Il a été modifié sur avis du secrétariat d’Etat aux Anciens combattants le 28 octobre 1991 avec la date de l’état-civil d’Auschwitz).
Son nom est mentionné dans un article du bulletin municipal « Choisy Info » n°143 (avril 2011), consacré aux déportés de Choisy du convoi du 6 juillet 1942, avec une interview de Fernand Devaux .
- Note 1 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
- Note 2 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
- Note 3 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
Sources
- Archives municipales de Choisy-le-Roi : extraits de ses actes de naissance et de décès (novembre 1992).
- Archives en ligne de Choisy-le-Roy, recensements, élections.
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1992.
- Maison centrale de Fresnes, Archives départementales du Val de Marne.
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives de la police / BA 2374
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W. Dossier individuel.
- Archives de la Préfecture de police de Paris, cartons occupation allemande, Carnet B, BA 1774.
- Liste des militants communistes internés administrativement au CSS de Rouillé le 10 novembre 1941.Archives de la police /C – 331 – 24.
- Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation Juive Contemporaine XLI-42).
- Archives du Musée d’Auschwitz
- Listes de la FNDIRP.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Site Internet Legifrance.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- © Le CSS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
- Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Choisy-Infos, n° 143, avril 2011 (p 21 article de Claude Bardavid sur le convoi des 45000, où il cite Edouard Dufour et ses camarades choisyens déportés).
- Courriel et photos de madame © Laurence Blech (mars 2020). Edouard Dufour était un neveu de son arrière-grand-mère Françoise Dufour.
Notice biographique mise à jour en 2010, 2012, 2015, 2019, 2020 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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