Lettre jetée depuis le train
qui l’emporte à Auchwitz

Lucien Blochest né le 28 juin 1908 à Haguenau, situé actuellement dans le département du Bas-Rhin mais qui se trouvait  entre 1871 et 1918 en territoire allemand annexé (1). Il est le fils d’Anna Strauss et de Léo  Bloch, représentant de commerce, son époux (2) qui habitent au 10 rue des Bonnes gens à Strasbourg. Ceux-ci sont évacués en septembre 1939en Dordogne, au 13 rue Candillac à Bergerac, chez Mme Rosenstein, en « zone libre » entre 1940 et novembre 1942.

Lucien Bloch travaille depuis le 1er février 1939 comme maître d’hôtel à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac (attestation du 31 décembre 1940). 


Le 28 juin 1940, l‘armée allemande
entre dans Bordeaux, ville ouverte, et le 29 le gouvernement français quitte
Bordeaux et part s’installer à Vichy. Lucien Bloch se trouve alors séparé de ses parents par la ligne de démarcation, les départements de la côte atlantique faisant partie de la zone occupée. Il habite 
au 44 rue Nauville à Bordeaux chez Mme  Laroche.

Le 20 juillet 1941, il écrit à ses parents : « suis sans travail. Ai envoyé un mandat de 500 F« . Début août 1941, il effectue un voyage pour  trouver une embauche à Paris d’où il écrit à son père le 4 août : »Depuis quelques jours à Paris pour chercher du travail. Rencontré beaucoup d’Alsaciens bien installés. Vais faire des démarches pour rentrer en zone libre« .

Selon son père et sa
fiche au DAVCC (3), Lucien Bloch est arrêté le 22 septembre 1941 à 10 h 15 à Castillon-sur-Dordogne (aujourd’hui Castillon-la-Bataille en Gironde), pour
avoir tenté de franchir la ligne de démarcation : le poste frontière qui
sépare la zone occupée de la zone libre est situé sur le pont franchissant la Lidoire à Castillon. Il est condamné à 8 jours d’emprisonnement et à une amende par le Hauptmann
Kreiskommandant
de Mérignac et est écroué à Libourne le 23 septembre. Il est libérable le 2 octobre 1941 à 10 h.
Mais il est interné  au camp de Mérignac-Beau-Désert (4) selon sa fiche au DAVCC.

Son père
multiplie les démarches pour obtenir des nouvelles de son fils. Le 14 octobre, il s’adresse au Kreiskommandant
de Bordeaux enSchriftdeutsch (langue allemande),  puis  au maire de Bordeaux le 23 octobre, et enfin le 1ernovembre, àla Kreiskommandanturdu fort du Hâ mais sa lettre lui est retournée avec « mention inconnu ». Il s’adresse alors le 4 novembre,  à M. Cohen grand Rabbin à
Bordeaux, pour avoir un signe de viede son « malheureux fils » et le 5 novembre à Pierre Pucheu, ministre
secrétaire d’Etat à l’Intérieur au nom de lui et de sa femme à propos de son « seul et pauvre fils ». Le 6
novembre 1941, le chef du secrétariat particulier du Ministre de l’Intérieur écrit
à Léonce Bloch « pas de sanction très
sévère, détention et amende
 ».

Comme lui, deux autres habitants de Bordeaux, Louis Abel et Robert Levillon, furent  internés à Mérignac-Beau-Désert puis au Fort du Hâ avant d’être transférés, à la demande des autorités allemandes, au camp allemand de Royalieu à Compiègne (Front Stalag 122) mais à des dates différentes, en vue de leur  déportation comme otages. Louis Abel avait été arrêté pour « aide au passage de
la ligne de démarcation » et Robert Levillon pour «attitude anti-allemande et propagande gaulliste».

Lucien Bloch est transféré au camp de Compiègne le 9 mai 42 où il reçoit le matricule « 5526 ». Il écrit à son père qu’il y a retrouvé des Alsaciens. Il cite le nom de Sommer qui sera déporté avec lui.

Cf Article du
blog : Les wagons de la Déportation

Pour
comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux
articles du blog :La politique
allemande des otages (août 1941-octobre 1942)
et«une déportation
d’otages
».

Lorsqu’il a connaissance de son départ « vers l’Allemagne » il prépare une carte-lettre du camp de Compiègne adressée à son père. Il la jette depuis le train qui les emmène en déportation, comme l’ont fait ses compagnons de déportation. 

Carte-lettre timbrée  jetée le 6 juillet 1942 

voir le cachet de la poste

Lettre du train

On y lit : « Je pars en déportation en Allemagne. Penserai toujours à vous et bon courage et le moral est bon. Lucien. Merci pour la personne qui trouvera ce mot« . Ramassée – probablement par un cheminot – elle est postée le jour même. Lire dans le blog Les lettres jetées du train par les déportés

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Bloch est déporté
à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – , de cinquante  « otages juifs » et dune vingtaine d’ « otages asociaux » ( « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ceux-ci sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Lire dans le blog :Le
KL Aushwitz-Birkenau
 et le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.

Le 8 juillet 1942, Lucien Bloch est immatriculé à Auschwitz mais on ignore sous quel numéro. D’après la liste du convoi que j’ai pu – incomplètement – reconstituer et qui est  composée de 4 sous-lites alphabétiques, il existe trois numéros possibles. Soit lematricule « 45
258 » (première liste des otages politiques) soit, le « 46220 »
(deuxième liste des otages politiques), le plus vraisemblable. Sur la liste des 50 Juifs extraits du « camp des Juifs » de Compiègne, les seuls numéros non identifiés dans les « B », le placeraient après ChaimBlumenfeld et donc sans que l’ordre alphabétique ait été respecté. Toutefois une mauvaise transcription de son nom reste possible.
Voir dans le blog
la Liste des
déportés juifs du convoi
. Lucien Bloch 
doit apprendre à dire ce numéro en allemand et en polonais à toute demande de ses gardiens (SS ou Kapos). Ce sera désormais sa seule identité. 

Dessin de Franz Reisz, 1946

Ce  matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques
mois plus tard.

Lire dans le blog le récit de leur
premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp
principal, 8 juillet 1942.
 et 8 juillet 1942 :
Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale »
. Après l’enregistrement, il passe la
nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces).
Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka),
situé à 4 km du camp principal.  Ils sont interrogés sur
leurs professions le 13 juillet : les spécialistes dont ils ont
besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et sont ramenés à Auschwitz I
(approximativement la moitié), les autres restent à Birkenau où ils sont
employés pour le terrassement et le montage des baraques.  En mars 1943, il peut écrire à son père, par l’intermédiaire de l’UGIF(5). 

On ignore la date exacte de son décès. Son acte de décès, transmis à
Strasbourg en 1947, porte la mention décédé à Auschwitz-Birkenau en octobre 1944. Cette date a été fixée sur la base du témoignage, effectué devant notaire par un
ancien déporté d’Auschwitz, Jean Scheller, mécanicien à Wolfisheim. Celui-ci dit avoir bien connu Lucien Bloch dans l’un des camps d’Auschwitz (Birkenau-Ost est-il écrit) entre l’été 1943 et 1944. Selon lui, Lucien Bloch aurait été 
transféré depuis Auschwitz avec un groupe de 180 déportés en octobre 1944 pour
une destination inconnue. Jean Scheller avait ajouté : « et les
gardiens ont déclaré que toutes ces personnes ont été assassinées
 » (Umgelect).
La date du certificat de décès de 1947 correspond à la date de ce
départ. 
Ce témoignage manque de fiabilité. Y a-il eu confusion avec un autre déporté ? Ou Jean Scheller a-t-il été sollicité (par la famille peut-être) pour permettre de confirmer sa disparition afin d’établir pour lui un acte (officiel) de décès ? 

Sur sa fiche de renseignements comme « non rentré » au Ministère des Anciens Combattants (dossier au DAVCC), datée de mai 1947, est portée la mention « déporté politique et
racial ». Selon les recherches
effectuées auprès du ministère des ACVG, en octobre 1947, par l’UNC (Union des
combattants des deux guerres) à laquelle le père de Lucien Bloch est adhérent,
la préfecture de police avait répondu que Lucien Bloch était « inconnu au
service des affaires israélites 
». Ce qui est vraisemblablement dû au fait qu’il n’a été arrêté pour avoir été tenté de franchir la ligne de démarcation. Il y est fait mention d’une déportation en
Allemagne « depuis Compiègne le 7 août 1942« . Erreur de date ? Approximation de la véritable date de départ ? A
ucun convoi n’est parti de Compiègne au cours de l’année 1942 après celui du 6 juillet 1942. Et pour ce qui concerne les 43
convois raciaux 
de l’année 1942 à destination d’Auschwitz, tous sont partis de Drancy, Beaune-la Rolande et Pithiviers à l’exception des convois partis de Compiègne les 27 mars et 5 juin 1942.  

Son nom est inscrit le « Mur
des Noms » au Mémorial de la Shoah :  
dalle n° 11, colonne
n° 4, rangée n° 2
.

  • Note 1 :Bezirkspraesidium des Unter-Elsassqui correspond à la Préfecture du Bas-Rhin.
  • Note
    : Léo est le prénom porté en Schriftdeutsch sur
    le registre d’état civil d’Haguenau en 1908. C’est le prénom de
    Léon qui est inscrit dans un extrait de naissance envoyé à son père par la Mairie d’Haguenau le 7 mai
    1947, et celui de Léonce dans une demande qu’il adresse au ministère des ACVG le 27
    mai 1947. C’est également le prénom écrit par son fils sur sa carte datée du 6 juillet 1942.
  • Note 3: D’après la liste du convoi que j’ai pu mais incomplètement reconstituer, composée de 4 listes alphabétiques, il existe trois numéros possibles. Soit le matricule « 45 258 » (dans la première liste des otages politiques), soit le « 46 220 » (dans la deuxième liste des « otages communistes »). Sur la liste des 50 Juifs extraits du « camp des Juifs » de Compiègne, les seuls numéros non identifiés dans les « B », le placeraient après Chaim Blumenfeld et donc sans que l’ordre alphabétique ai été respecté. Toutefois une mauvaise transcription de son nom reste possible. Voir dans le blog la Liste des déportés juifs du convoi
  • Note
    3
     : Division des archives des
    victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la défense, Caen.
  • Note
    4
    : Le camp de Mérignac : à
    compter du 21 mars 1941, y sont transférés les prisonniers politiques arrêtés
    en application du décret relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus
    dangereux, pour la défense nationale ou la sécurité publique.
  • Note 5 : l’UGIF, Union générale des Israélites de France est
    créée – à la suite d’une demande des autorités allemandes – par la loi
    française, le 29 novembre 1941, auprès du « commissariat aux questions juives ».
    « La mission de l’UGIF est d’assurer
    la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment
    pour les questions d’assistance, de prévoyance et de reclassement social. Tous
    les Juifs demeurant en France sont tenus d’y adhérer, les autres
    associations juives ayant été dissoutes et leurs biens donnés à l’UGIF 
    ».
    (Wikipedia). Son rôle est très controversé. Aux deux extrêmes on lira les ouvrages
    de Maurice Rajsfus « Des Juifs dans la collaboration, L’U.G.I.F. 1941-1944,
    préface de Pierre Vidal-Naquet »
    , EDI, 1980 et Asher Cohen « Persécutions
    et sauvetages, Juifs et Français sous l’occupation et sous Vichy 
    » Ed. du
    Cerf 1993. 

Sources

  • Courriel
    de Madame Karen Taïeb (responsable du Service Archives du Mémorial dela Shoah) adressé àla Fondationpourla Mémoiredela Déportationà propos
    de Lucien Bloch.
  • Envoi de Mme Taieb de la photo de la carte-lettre de Compiègne et d’un récapitulatif des documents retrouvés dans le grenier de la famille Bloch à Strasbourg par la famille Scherrer qui les ont transmis au Mémorial de la Shoah.
  • Echange
    de courriels avec Arnaud Boulligny (responsable de l’équipe FMD Caen) :
    dossier « Mort en déportation » de Lucien Bloch conservé à Caen
    sous la cote 21 P 426.835.
  • Fichier
    national dela Divisiondes archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la
    défense, Caen.
  • Etat
    civil en ligne du Bas-Rhin. 
  • © Dessin de Franz Reisz,
    in « Témoignages sur Auschwitz »,
    ouvrage édité par l’Amicale des
    déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en juillet et août 2016, complétée en 2020 par
Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des
ouvrages « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942
dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005), et de Mille
otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000
», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 qui reproduit ma thèse
de doctorat. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce
blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette
biographie. Pour compléter ou corriger cette biographie, vous pouvez me faire
un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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