Matricule « 45 390 » à Auschwitz

François Compiène © René Compiène DR
Le 8 juillet 1942 à Auschwitz
François Compiène : né en 1904 au Creusot (Saône-et-Loire) ; domicilié à Romainville (Seine / Seine-St-Denis) ; chaudronnier, cheminot ; communiste ; arrêté le 3 juillet 1941 ; condamné à 6 mois de prison (Santé, centrale de Poissy, interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 20 septembre 1942.

François Compiène est né le 15 décembre 1904 au Creusot (Saône-et-Loire).
Au moment de son arrestation, il est domicilié 14, rue des Ormes à Romainville (Seine / Seine-St-Denis).
Il est le fils de Françoise Richard (1876-1944) et d’Edouard Compiène (1873-1948), son époux.
Il a trois sœurs et un frère (Emilie, 1897-1991, Eugénie, 1900-1998, Jeanne 1907-2007 et Jean 1910-1991).

Il épouse Francine Aulagne
, née le 1er juin 1905 à Calmels-et-le-Viala (Aveyron), femme de ménage. Le couple a un garçon, René, qui naît le 2 janvier 1930 à Saint-Maurice-de-Beynost (Ain).
Chaudronnier de métier, François Compiène travaille dans une tréfilerie à La Plaine Saint-Denis (sans doute à l’Usine Mouton de Saint-Denis). Il habite alors dans cette même ville au 61, rue de la Boulangerie. Sans doute a-t-il été embauché,  par la suite, aux chemins de fer (en effet à Auschwitz, il se déclare « Bahnarbeiter », travailleur aux chemins de fer, ce qui expliquerait la présence à son domicile, en  mai 1941, de tracts intitulés « La tribune des Cheminots »).

François Compiène est membre du Parti communiste. Cheminot, conscrit de 1924, il est vraisemblablement mobilisé sur son poste de travail lors de la déclaration de guerre en septembre 1939.

Jusqu’au 10 juin 1940 des troupes françaises (le 401è régiment d’artillerie de défense anti-aérienne), occupent le Fort de Romainville, qu’elles quittent sans combattre. Un détachement de la Luftwaffe l’occupe alors. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Pantin. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). En octobre 1940, le MBF, Commandement militaire allemand installé à Paris, décide de faire du Fort de Romainville un camp d’internement. Les détenus sont officiellement enregistrés à partir du 1er novembre 1940. 3900 femmes et 3100 hommes y furent interné.e.s avant d’être déporté.e.s. ( 40% de toutes les Résistantes françaises seront internées au Fort de Romainville avant leur déportation).

Suivant les instructions du régime de Vichy, et devant la recrudescence de distributions de tracts et d’inscription communistes dans l’Est parisien, la police surveille systématiquement les militants communistes connus de ses services avant-guerre.
Dès le début de l’Occupation, François Compiène milite activement dans la clandestinité. il a d’ailleurs déménagé au 14, rue des Ormes à Romainville : « Pour les besoins de ses activités clandestines (il assure notamment régulièrement la liaison entre Paris et la Province), il déménage pour s’installer 14, rue des Ormes à Romainville. Il occupe avec sa famille une habitation individuelle implantée sur un terrain comportant des locaux annexes permettant le stockage de matériel » (témoignage de René Compiène, son fils).

François Compiène est arrêté le 3 juillet 1941 par des inspecteurs du commissariat de la Gare (13è) à la consigne de la Gare d’Austerlitz « alors qu’il était porteur de deux valises contenant un lot important de tracts et brochures relatifs au Parti communiste ». Il est conduit à la Brigade spéciale des RG. Il y est interrogé par l’inspecteur principal adjoint « Le… » et deux inspecteurs « Ch… » et « Pe… ». Lire dans le site : La Brigade Spéciale des Renseignements généraux.

Registre de la BS1 4 juillet 1941

Lors de la perquisition à son domicile à Romainville, les inspecteurs de la BS saisissent dans son jardin un filet à provision contenant « un lot important de tracts, brochures, affichettes servant à la diffusion des mots d’ordre de la IIIè internationale» (Procès vernal d’arrestation). Suivant en cela les consignes de la direction clandestine du Parti communiste, François Compiène nie toute appartenance au Parti communiste lors de ses interrogatoires et déclare ne faire des transports que contre rétribution (« pour le gosse » dit-il) pour un « individu dont je ne connais pas le nom » (2). Il reste totalement évasif sur l’origine des tracts cachés dans son jardin et déclare que « l’individu » en question lui avait dit : « jeudi une femme ira chez toi porter du matériel».

C’est en fait son épouse qui imprime ces tracts clandestins (1), ce qu’il n’ignore pas. En jouant ce rôle, il écarte tout rapprochement avec elle. Francine Compiène sera arrêtée plus tard au début de 1943 (1). Inculpé, par le commissaire de police chef du service de la BS, d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste), François Compiène est conduit au Dépôt et  mis à la disposition du procureur.

Scellés des tracts trouvés dans le jardin (sac à provision)

Le 11 juillet 1941, François Compiène est condamné à 6 mois de prison par la 12è chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Il est écroué à la Santé le 5 juillet puis à  Poissy.

A la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement, il est envoyé au Dépôt de la Préfecture de police de Paris sur décision de François Bard, préfet de police de Paris. En application de la Loi du 3 septembre 1940 (3), le préfet ordonne son internement administratif le 26 mars 1942.

Le 16 avril 1942, à 5 h 50, il fait partie d’un groupe de 60 militants « détenus par les Renseignements généraux » est transféré de la permanence du Dépôt au camp de Séjour surveillé de Voves (Eure et Loir), convoyés par les gendarmes de la 61è brigade.
Ce camp (le Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le 5 janvier 1942 le Centre de séjour surveillé n° 15.

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. François Compiène figure sur la première liste.
Le 10 mai 1942 (4) il est transféré à la demande des autorités allemandes au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122). Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Dans le wagon qui l’emporte vers Auschwitz, il jette un mot pour sa famille.

Depuis le camp de Compiègne, François Compiène  est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

François Compiène le 8 juillet 1942 à Auschwitz

François Compiène est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 390» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute réquisition – sera désormais sa seule identité pour ses gardiens.
Sa photo d’immatriculation (4) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Certificat de décès d’Auschwitz
Registre des morts le 20 septembre (sixième matricule relevé)

François Compiène meurt à Auschwitz le 20 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 185). Ce certificat porte comme cause du décès «Fleckfieber» (Typhus). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Il convient de souligner que cent quarante-huit «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19, 20 ou 21 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp qui été enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste « sélection » interne des « inaptes au travail », opérée dans les blocks d’infirmerie.
Lire dans le site : Des causes de décès fictives.

Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Son acte de décès porte la mention « Mort pour la France ». Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué. François Compiène est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes  GR 16 P 139803P 394587.
Un arrêté ministériel du 12 novembre 1987 paru au Journal Officiel du 26 février 1988 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les actes et jugements déclaratifs de décès de François Compiène.
Son nom figure « en lettres d’or » sur une plaque de marbre dédiée par la municipalité de Romainville « aux Morts dans la Résistance ».

  • Francine Compiène, Photo Anthropométrique Préfecture

    Note 1 : Francine Compiène née Aulagne, le 1er juin 1905 à Calmels-et-le-Viala (Aveyron). Après l’arrestation de son mari, elle continue d’assurer dans l’entrepôt clandestin du 61, rue de Charonne la confection et le tirage sur ronéo du matériel clandestin communiste pour la région parisienne, au sein du groupe dirigé par Adèle Lecoq, une dirigeante en 1936, du Comité mondial des Femmes contre la guerre et le fascisme.  Elle fait équipe avec Mme Robin, femme de René Robin déporté à Auschwitz. (René Compiène). Elle est arrêtée le 7 janvier 1943 et envoyée au Dépôt le 15 janvier. Condamnée à un an de prison. Elle est écouée à la prison des Tourelles. Leur fils qui vient d’avoir 13 ans est confié à Mme Denise Ledevehat, 13, rue de la Charronnerie à Saint-Denis. Hospitalisée, Francine Compiène s’évade de l’hôpital Tenon le 13 juin 1944 en compagnie de 3 autres détenues, grâce à l’intervention de 4 militants armés (trois hommes sous les ordres du Lieutenant Michel Tagrine (22 ans) tué le 22 août 1944 place de la République.
    Francine Compiène  reprend ses activités sous le nom de Granjean dans le groupe de Michel Tagrine. Elle est homologuée comme Résistante au titre de la RIF. http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/m005a290a321835f. Elle est décédée le 11 octobre 1982.

  • Note 2 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy en 1941. La Loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 3 : Le directeur du camp de Voves a fait supprimer toutes les permissions de visite afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation. La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux. Il indique également ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
  • Note 4 :522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Mme Isabelle Denis, Archiviste de la Municipalité de Romainville (22/07/1988).
  • Archives de Saint-Denis (1988).
  • Documents transmis par son fils, René Compiène (photos et fiches d’Auschwitz en 2010).
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons « Occupation allemande », BA 2374.
  • Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris. Procès verbaux des interrogatoires.
  • Témoignage de Fernand Devaux, rescapé du convoi.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943 le décès des détenus immatriculés).
  • Archives de la Préfecture de police, Cartons occupation allemande, BA 2374. Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris. Procès verbaux des interrogatoires.
  • Témoignage de Fernand Devaux, rescapé.
  • Fiche journalière de décès du 20 IX 42 (in Death Books from Auschwitz), portant le numéro matricule de François Compiène et son n° de Block (le 20 est le block du Revier («l’hôpital »).
  • © Photo de wagon à Auschwitz, in Bulletin de l’Amicale des déportés tatoués du convoi du 27 avril 1944.

Notice biographique rédigée en janvier 2001 (modifiée en 2012, 2017 et 2019) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour compléter ou corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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