Un témoignage anonyme reçu à la FNDIRP en 1972.

Dans une lettre adressée à André Tollet le 21 novembre 1972 afin d’avoir des confirmations concernant Léon Lecomte surnommé « le Percepteur » à Compiègne, Roger Arnould, documentaliste à la FNDIRP,  lui cite un témoignage anonyme qu'il a reçu à la FNDIRP le 14 juin 1972, témoignage accompagné d’une photo (reproduite ci-contre), dont il pensait qu’il pouvait provenir de sa veuve, remariée en 1952. Il m'a également raconté cette arrestation, enregistrée sur cassette et il en a fait un article pittoresque qui paraît dans le « Patriote Résistant » n° 511 de mai 1982. Claudine Cardon-Hamet

« Concernant le convoi des « 45000 » d’Auschwitz, tu m’avais parlé un jour d’un nommé Lecomte, percepteur. Je viens de recevoir un témoignage anonyme, avec une petite photo, qui semble correspondre ; il s’agit de Lecomte Léon, de Paris Aise, il était fonctionnaire du ministère des finances (on ne dit pas percepteur) arrêté deux fois fin 1940 ou début 41 ; un an de prison, revient chez lui (rue de Joinville 19ème) mais on vient le reprendre et il se retrouve à Compiègne. Il avait 30 ans. Le témoin anonyme (je suppose sa veuve remariée) donne la relation suivante de sa première arrestation : « …sur sa première arrestation. Il collait des affiches dans une rue du 19ème  arrondissement, pris sur le fait par des agents du 19ème, il s’échappe et champion dans la course les distance facilement, mais les agents sifflent continuellement en le poursuivant. Il franchit le 10ème arrondissement où les autres agents (du 10ème) parvinrent à l’arrêter en lui lançant une pèlerine sur la tête. Il est emmené dans un commissariat du 10ème. Là devant lui, c’est la bagarre entre les agents du 19ème et du 10ème pour savoir qui aura la prime (de 20 F je crois) pour son arrestation !… C’était fin 1940« .

Roger Arnould en a fait un article pittoresque, paru dans le « Patriote Résistant », n° 511, mai 1982.

« Léon Lecomte habitait dans le quartier de la Villette, à Paris, un quartier qu’il connaissait bien pour y avoir milité durant les années du Front Populaire. Il était fonctionnaire des contributions indirectes et ses camarades l’appelaient familièrement “le percepteur”. Il avait une corde à son arc : champion de course à pied (demi-fond). Il avait été sélectionné à ce titre pour les Jeux Olympiques de 1936, mais il pratiquait surtout son sport favori dans le club local du 19ème de la FSGT. La guerre de 39, puis l’occupation, avait sans doute réduit son entraînement, il avait cependant gardé du muscle et du souffle, comme on va le voir.

Une nuit de novembre 1940, malgré le couvre-feu, il allait dans les rues de Crimée, de Flandre et avoisinantes, coller des papillons sur les murs, glisser des tracts sous les portes, dénonçant le pillage du pays et la collaboration, les causes des restrictions, enfin, appelant ceux qui refusaient l’occupation et la collaboration à agir, à s’unir. C’était l’aube de la Résistance.

Tout à coup, il fut surpris par une patrouille d’agents de police qui voulut l’appréhender. Le champion n’hésita pas un instant ; son salut n’était-il pas dans ses jambes ? Alors commença une poursuite folle dans le dédale des rues obscures qu’il connaissait bien. Les sifflets à roulettes retentissaient, mais en vain. Les agents ignoraient certes qu’ils avaient affaire à un sélectionné des Jeux Olympiques du quinze cents mètres. Aussi l’homme poursuivi gagnait du terrain. Tant et si bien qu’il parvint aux limites du 19ème arrondissement, du côté du boulevard de la Villette, pour entrer sur le territoire du 10ème arrondissement. Ses poursuivants, dont on entendait toujours les sifflets, ne pouvaient plus guère espérer l’atteindre.

C’est alors que le drame se produisit. Parvenu vers les rues de l’Aqueduc, rue Chaudron, en haut de la rue du Faubourg-Saint-Martin, il tomba brusquement sur une autre patrouille d’agents qui, alertée par les coups de sifflets, se trouva sur son chemin, en position de le capturer sans coup férir, en le coiffant de leurs pèlerines. Menottes aux mains, il fut conduit, sans ménagement, au commissariat de police du 10ème arrondissement le plus proche ; celui dont dépendaient les agents qui venaient de l’arrêter. Cependant, les agents du 19ème, ceux qui avaient engagé la poursuite, arrivèrent à leur tour au dit commissariat, à bout de souffle. Ils prétendaient reprendre le prisonnier. Alors, Lecomte, enchaîné, assista à une bien étrange bagarre entre agents dont il était l’enjeu. On se le disputait. Motif : il y avait une prime d’arrestation, à ce qu’il crut comprendre environ 2000 francs [de l’époque]. Ceux du 10ème ne voulant pas céder la prise à ceux du 19ème, c’est donc de ce commissariat que Lecomte prit le chemin du dépôt.

Dans les prisons et les camps, le récit de cette arrestation défraya la chronique. À Compiègne, en 1941, on disait : “Eh, Lecomte, raconte un peu comment tu t’es fait cravater”. Le champion racontait et tout le monde éclatait, de rire, mais aussi de dire son mépris envers les chasseurs de prime de Pétain ».

On aura noté que le « champion dans la course » du courrier anonyme reçu par la FNDIRP est devenu sous la plume de Roger Arnould un « sélectionné des jeux Olympiques du 1500 m », ce dont les archives des JO de Berlin n’ont pas gardé trace. Selon George Dudal, Léon Lecomte était spécialiste du 3000 m, spécialité qui n’était d’ailleurs pas au programme des J.O. de Berlin (on y pratiqua seulement le 3000m steeple). Par contre, en France la Fédération Sportive et Gymnique du travail lance le slogan : « Pas un sou, pas un homme pour les JO de Berlin ! » et lance une grande campagne pour envoyer des athlètes français à Barcelone. Il est donc probable que, sportif « travailliste » (c’est ainsi que sont nommés les adhérents de la FSGT en opposition au sport « fédéral »), Léon Lecomte ait été sélectionné pour les « Olympiades populaires » de Barcelone (6000 athlètes y sont inscrits qui appartiennent à 22 pays différents)organisées pour protester contre les JO de Berlin dont Hitler fait sa vitrine. Elles sont officiellement soutenues (mais pas financièrement) par le gouvernement français du Front populaire, qui n’aura pourtant pas pas été jusqu’à boycotter les JO de Berlin. Ces Olympiades populaires qui devaient se dérouler du 22 au 26 juillet n’auront pas lieu, car le 17 juillet, jour où les sportifs français quittent Paris, c’est aussi le début du « pronunciamento » militaire du général Emilio Mola. Les combats commencent dans Barcelone et si les troupes fidèles au Front populaire et les milices ouvrières repoussent les séditieux à Barcelone, c’est néanmoins le début de la guerre civile. Les Jeux sont annulés. La délégation française est rapatriée par deux bateaux venus de Marseille, affrétés par le gouvernement français  (mais les athlètes doivent payer leur passage !). Certains sportifs resteront à Barcelone et participeront aux combats contre le fascisme.

Pierre Cardon

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