Maxime Despouy

Récit de Maxime DESPOUY : son arrestation le 24 juin 1941, avec André Marteau. Il parle d’autres militants qui seront déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942, ou fusillés. fait à Poitiers le 23 juin 1945

Maxime Despouy est né le 25 octobre 1919 à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), où il est domicilié en 1940. Jeune communiste, il est arrêté le 24 juin 1941 et jugé le 9 juillet 1941 pour "inscriptions anti-allemandes". Condamné à deux ans de prison, il est interné à Tours, puis au Camp de Compiègne le 30 juillet. Il est ramené à Tours le 6 août 1941. Il est déporté en Allemagne dans les prisons de Fribourg, Karlsruhe, Francfort, Coblence, Cologne, Dubourg, puis au camp de Mülheim (Rhur) le 20 août 1942 où il travaille sur les voies de chemin de fer. Il est libéré le 13 août 1943 à l'expiration de sa peine de prison(voir le document en fin d'article. 
Il a fait le récit de son arrestation et de celles de ses camarades, le 23 juin 1945 à Tours.
Récit dactylographie de Maxime Despouy concernant son arrestation et celle d’André Marteau

« Le 22 Juin 1941, l’Allemagne déclare la guerre à l’Union Soviétique.

André Marteau

Le 23 à 23 h nous réunissons plusieurs jeunes communistes pour étudier comment nos moyens d’action pour aider l’U.R.S.S. Il y avait là Lucien CHAUVEAU (décédé), LE GUELLEC, René MELIN, Gilbert SECHE,  Fabienne LANDY (morte à Auschwitz, André ANGUILLE (Fusillé) André MARTEAU (mort à Auschwitz) et moi. 
La réunion avait lieu dans la chambre de Lucien Chauveau, rue de la Fraternité à St-Pierre-des-Corps (Indre & Loire). Il fut décidé de distribuer des tracts et de faire des inscriptions au goudron. C’est de ce dernier travail que je suis chargé en tant que responsable. LE GUELLEC et René MELIN sont désignés pour m’accompagner. Ayant rapidement trouvé pinceaux et goudron, nous commençâmes aussitôt notre travail, il était environ 0 h 30. Nous avions presque fini, vers 1 h 30 ou 2 h. quand nous fûmes aperçus par deux femmes. L’une s’appelle Irène et est la sœur de la concierge de la Mairie, à l’époque Mme VIAU ; l’autre s’appelle Mlle COULLOCH. Elles nous reconnurent MELIN et moi, mais confondirent dans la nuit Le GUELLEC avec André MARTEAU, à cause de leur taille sensiblement la même.
Le lendemain 24 Juin les gendarmes Français arrêtèrent René MELIN à 14 h, André MARTEAU â 16 h. et moi à 17 h. sur les lieux de mon travail. Après m’avoir, passé les menottes, ils m’emmenèrent à la Mairie de St-Pierre-des-Corps où je subis un interrogatoire sévère et un sérieux passage à tabac. Ne voulant pas avouer, je reçus force coups. Voyant cela, les gendarmes me mirent sous les yeux les dépositions de mes camarades et signées par eux. Je passais dans la voie des aveux tout en restant dans le chemin tracé par ces dépositions qui n’accusaient que René MELIN, André MARTEAU, Maxime DESPOUY. Nous n’étions donc que 3 arrêtés. Conduit le soir même au commissariat central de Tours, nous y passâmes la nuit. Le lendemain 25 Juin, emmenés au Tribunal Civil qui nous envoya au Tribunal de Guerre allemand lequel nous fit enfermer à la prison de Tours, chacun dans une cellule. 
Le 9 Juillet 1941, défendu par un avocat collaborateur (De la Chapeile) nous passions en jugement devant le Tribunal de guerre allemand de la Feldkommandantur 588 à Tours.

La Maison d’arrêt de Tours

Les condamnations sont les suivantes :
DESPOUY Maxime : 2 ans de réclusion
MELIN René : 1 an de réclusion
MARTEAU André : 1 an de réclusion.

Ramenés à la prison de Tours et enfermés chacun dans une cellule. Le 30 Juillet, sans savoir pourquoi exactement, nous étions emmenés au camp de concentration de Compiègne. Le 6 août nous reprenions le chemin de Tours et enfermés de nouveau en cellule jusqu’au 18 Août.
Ce jour-là nous passons du côté français dans une grande salle qui contenait une cinquantaine d’hommes. Avec plusieurs camarades nous créons une cellule du Parti. Le 10 Octobre, une circulaire arrive déclarant séparer les réclusionnaires des prisonniers et chaque catégorie aura son régime spécial.
Je suis enfermé dans la cellule 31 avec René MELIN et René TOURNE (décédé depuis accidentellement).
Puis arrive Noël 1941, POUPON (de St-Pierre), René MELIN, André MARTEAU et moi-même décidons de faire chacun un recours en grâce ou une demande de diminution de peine.
POUPON, condamné à 2 ans de réclusion, voit son recours en grâce accepté, étant reconnu innocent. René MELIN et André MARTEAU reçoivent une diminution de peine. Ils sortiront pour le premier le 13 Janvier 1942, le second le 14 janvier. Quant à moi mes demandes ont été refusées.
Le 5 Février, un soldat allemand est abattu en gare de Tours et plusieurs camarades sont arrêtés comme otages, parmi ceux-ci figure André MARTEAU qui n’aura été libre que 3 semaines seulement. Ils sont enfermés a la caserne du 501 et transférés à la prison de Tours vers le 20 Février. C’est là que je revis MARTEAU plusieurs fois pour lui passer à manger.

Bernard Chauveau, déporté à Auschwitz
Bernard Mazein, déporté à Auschwitz

Je le revis avec plusieurs de ses camarades : CHAUVEAU Bernard, MAZIN Jacques, SEGUIN et bien d’autres qui ne devaient jamais revenir. 2 seulement sont encore vivants

Tamowski, déporté à Auschwitz, rescapé

ce sont : TAMOWSKI (déporté à Auschwitz, rescapé) et Marcel ROSSIGNOL (évadé du camp de Compiègne, actuellement membre du bureau fédéral d’Indre & Loire). Le 17 Avril, ils partent tous pour le camp de Compiègne. MARTEAU et CHAUVEAU sont venus me causer à travers le guichet de la porte de ma cellule. Je ne devais plus les revoir.

Le 1er Mai, plusieurs de mes camarades sont arrêtés. Ce sont : COUILLEAU Robert, ANGUILLE André, FOUSSIER Ernest, GUILBEAU Robert, BOURDON Maxime. Ils sont jugés et condamnés à mort le 14 Mai. Le 16 Mai au matin, alors que je faisais le lavage du hall de la prison, les allemands viennent chercher trois otages pour les fusiller. Le soir vers 15 h. 30 j’entends un chant, j’écoute attentivement : c’est l‘Internationale. Je soulève l’œilleton de ma porte de cellule et je vois passer mes 5 camarades qui vont d’une allure fière vers la mort. J’essaye de m’évader vers la mi-juin mais la tentative échoue. Au mois de Juillet, j’apprends que mon frère René est arrêté ainsi que ma belle-sœur. Je n’aurai plus de nouvelles de lui que le 8 Août 1943 pour apprendre qu’il avait été fusillé le 11 Août 1942 au Mont Valérien.

Maxime Despouy

Le 20 août 1942, je suis déporté en Allemagne ».
Maxime Despouy, déporté résistant au camp de Mülheim, Croix de guerre 1939-1945.
Récit fait à Poitiers le 23 juin 1945.

La déportation de Maxime Despouy, suite du récit

 » Le 20 août 1942, je suis déporté en Allemagne. 
Le 21 août 1942, j’arrivais avec plusieurs camarades à la prison de Fribourg. Nous y restons le jour, puis je pris le chemin de Mülheim dans la Rhur (Mülheim an der Ruhr) en passant dans les prisons de Karlsruhe, Francfort, Colence, Cologne, Dubourg et enfin le camp de Mülheim. J’y suis resté jusqu’au 13 Juillet 1943, jour de la fin de ma peine. 
Comme travail, j’étais employé sur les voies de chemin de fer, un travail assez dur. Beaucoup d’intellectuels qui sont parmi nous le trouvent encore plus dur. La nourriture est plus abondante que dans les camps de Buchenwald ou autres : 500 grammes de pain, 1 litre 1/2 de soupe à midi, 1 litre le soir. Notre costume est noir avec une large rayure jaune de chaque côté de la culotte et des brassards de même couleur au bras gauche. 
Notre camp se trouvait dans les faubourgs de la ville, ce qui lui a permis d’échapper aux bombardements surtout à celui du 20 Juin 1943. C’était une salle de bal réquisitionnée. Les tinettes étaient à l’intérieur et cela sentait mauvais, surtout le matin. Les lits étaient en bois et superposés par 3. La salle était petite, mais nous étions quand même 60. Si le chef de camp était assez humain avec nous, il n’en était pas toujours de même avec certains gardiens. Il était assez normal de recevoir des coups tous les jours. Nous étions gardés par la police des chemins de fer. Dans ce camp, tout détenu qui avait fini sa peine était libéré. Le 13 Juillet 1943, mes deux ans de réclusion se terminaient. Je fus dirigé sur la prison d’Essen où je restais plusieurs jours.

Document allemand expulsant maxime Despouy

Le 16, je suis appelé par la Gestapo qui me remit un papier (que j’ai encore en ma possession) sur lequel était noté mon expulsion d’Allemagne en qualité d’indésirable.
Je fus le seul de tout le camp à être libéré de cette façon et alors que les autres camarades libérés mettaient 2 jours pour regagner la France, il me fallut presqu’un mois.
Le 30 juillet je quittais la prison d’Essen pour celle de Cologne où je restais 5 jours, puis je fis ensuite celles d’Aix-la-Chapelle, Luxembourg, Metz.
Enfin libre, je passais la frontière à Panis-sur-Moselle le 7 août 1943″.

Traduction certifiée

Traduction de la lettre qu’il reçoit à la prison d’Essen datée du 16 juillet 1943. Elle constitue un monument de bureaucratie…
Mais va lui sauver la vie

« Le président (?) de Police à Essen, 16 juillet 1943.
A monsieur maxime DESPOUY in Essen (z.Lt Pol.Gefge.)

Vous avez été condamné par la Justice du Tribunal de Guerre 588 à Tours, pour propagande anti allemande, à deux ans de réclusion.
D’après le paragraphe 5 chiffré 1, lettre B de l’avis de Police étrangère du 22-8-1941 (RGBI, S. 1053) dans le dossier paragraphe 10 de l’avis qui traite des étrangers (05-09-1939 (RGBI.1.S.1667) d’après communication du paragraphe a,a,O. je vous défends l’accès de l’Allemagne. Votre voyage avait été forcé, involontaire et non autorisé dans notre pays, j’ordonne en vertu du paragraphe 9 a, a, 0 relatif au transfert des prévenus, votre prochain transfert force pour quitter l’Allemagne par tous les moyens de transport.
J’attire votre attention sur le fait que vous ne pouvez traverser l’Allemagne, pas plus que de séjourner à nouveau sans mon autorisation. Les étrangers qui vont contre cette défense sont punis, en vertu du dossier 15 de l’avis de police des étrangers paragraphe 10, de prison ou d’amende ou l’une ou l’autre de ces punitions. Contre cet avis, vous avez le droit pendant deux semaines à dater du jour de la remise de la présente feuille à m’adresser un recours écrit du paragraphe 11 de l’avis de police des étrangers. Le recours et la grâce des motifs de sureté officielle endette ont un effet postérieur. 
Becker / Pol. Angestellt.

En 1981, dans un courrier envoyé à Robert Guérineau qui lui avait fait parvenir le témoignage de Maxime Despouy, notre ami Roger Arnould, qui avait remarqué le parcours très atypique de Maxime Despouy, écrivait : « Despouy représente le cas typique d’un dossier tombé dans le circuit « SD-tribunal militaire allemand », conduisant à un périple apparemment aberrant. C’est la « justice » de la Wehrmacht peu cohérente, qui s’exerce en marge du réseau « RSHA » des SS.« . Et c’est sans doute ce qui lui a sauvé la vie, car il n’a pas été déporté à Auschwitz comme André Marteau, pourtant condamné à une peine inférieure par le même tribunal !  

Sources

  • Témoignage de Maxime Despouy, document dactylographié retrouvé en mairie de St-Pierre-des-Corps et transmis par Robert Guérineau, ancien bibliothécaire et collaborateur du Maitron.
  • Photo du permis de conduire de Maxime Despouy : envoi de Charline CHEVAILLIER MARTINAUD, petite fille de Maxime DESPOUY, fille de Christine CHEVAILLIER DESPOUY (mai 2024).

Lire la notice biographique d’André Marteau : MARTEAU André, Albert

7 Commentaires

  1. Merci pour ce récit que je ne connaissais pas que mon grand père a écrit , Maxime DESPOUY (ça aurait été son anniversaire aujourd’hui) ❤️
    Charline MARTINAUD CHEVAILLIER

      1. Bonjour nous aimerions beaucoup. A quel mail je peux vous l’envoyer svp ?
        Merci a vous. Nous sommes tous très émus par ce récit que personne ne connaissait.
        Bien à vous.
        Charline

  2. Tellement émouvant de lire notre grand père. Svp, serait ce possible d’avoir une copie de son récit ? Il nous a tant appris , transmis ses valeurs. Il était le pilier de notre famille, notre phare à tous

  3. Merci infiniment de partager ce récit. J’ignorais totalement que mon Papa , Maxime Despouy, avait écrit cela. Mille Mercis encore.
    Bien cordialement
    Martine Despouy

  4. Quel coup au cœur en lisant cet émouvant récit de mon Père Maxime Despouy qui est décédé de en 2008. Je ne saurai décrire mon émotion. J’en suis toute retournée.
    Bon Dimanche Madame.
    Bien cordialement
    Martine Despouy

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