Lettre jetée depuis le train qui l’emporte à Auchwitz
Lucien Bloch ; né en 1908 à Haguenau (Bas-Rhin) ; domicilié à Bordeaux ; maître d'hôtel à Bordeaux Mérignac ; arrêté le 22 septembre 1941 à Castillon-sur-Dordogne pour tentative de passage de la ligne de démarcation ; écroué à Libourne, interné au camp de Mérignac et au fort du Hâ ; interné à Compiègne ; déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt.

Lucien Bloch est né le 28 juin 1908 à Haguenau, situé actuellement dans le département du Bas-Rhin mais qui se trouvait entre 1871 et 1918 en territoire allemand annexé (1).
Il est le fils d’Anna Strauss et de Léo  Bloch, représentant de commerce, son époux (2) qui habitent au 10 rue des Bonnes gens à Strasbourg. Ceux-ci sont évacués en septembre 1939 en Dordogne, au 13, rue Candillac à Bergerac, chez Mme Rosenstein, en « zone libre » entre 1940 et novembre 1942.

Lucien Bloch travaille depuis le 1er février 1939 comme maître d’hôtel à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac (attestation du 31 décembre 1940).

Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 28 juin 1940, l‘armée allemande entre dans Bordeaux, ville ouverte, et le 29 le gouvernement français quitte Bordeaux et part s’installer à Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Lucien Bloch se trouve alors séparé de ses parents par la ligne de démarcation, les départements de la côte atlantique faisant partie de la zone occupée. Il habite au 44, rue Nauville à Bordeaux chez madame Laroche.
Le 20 juillet 1941, il écrit à ses parents : « suis sans travail. Ai envoyé un mandat de 500 F« . Début août 1941, il effectue un voyage pour  trouver une embauche à Paris d’où il écrit à son père le 4 août : « Depuis quelques jours à Paris pour chercher du travail. Rencontré beaucoup d’Alsaciens bien installés. Vais faire des démarches pour rentrer en zone libre« .

Selon son père et sa fiche au DAVCC (3), Lucien Bloch est arrêté le 22 septembre 1941 à 10 h 15 à Castillon-sur-Dordogne (aujourd’hui Castillon-la-Bataille en Gironde), pour avoir tenté de franchir la ligne de démarcation : le poste frontière qui sépare la zone occupée de la zone libre est situé sur le pont franchissant la Lidoire à Castillon. Il est condamné à 8 jours d’emprisonnement et à une amende par le Hauptmann Kreiskommandant de Mérignac et il est écroué à Libourne le 23 septembre. Il est libérable le 2 octobre 1941 à 10 h. Mais il est interné  au camp de Mérignac-Beau-Désert (4) selon sa fiche au DAVCC.

Son père multiplie les démarches pour obtenir des nouvelles de son fils. Le 14 octobre, il s’adresse au Kreiskommandant de Bordeaux en Schriftdeutsch (langue allemande),  puis  au maire de Bordeaux le 23 octobre, et enfin le 1ernovembre, à la Kreiskommandantur du fort du Hâ mais sa lettre lui est retournée avec « mention inconnu ». Il s’adresse alors le 4 novembre,  à M. Cohen grand Rabbin à Bordeaux, pour avoir un signe de vie de son « malheureux fils » et le 5 novembre à Pierre Pucheu, ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur au nom de lui et de sa femme à propos de son « seul et pauvre fils ». Le 6 novembre 1941, le chef du secrétariat particulier du Ministre de l’Intérieur écrit à Léonce Bloch « pas de sanction très sévère, détention et amende ».

Comme lui, deux autres habitants de Bordeaux, Louis Abel et Robert Levillon, furent  internés à Mérignac-Beau-Désert puis au Fort du Hâ avant d’être transférés, à la demande des autorités allemandes, au camp allemand de Royalieu à Compiègne (le Frontstalag 122) mais à des dates différentes, en vue de leur  déportation comme otages. Louis Abel avait été arrêté pour « aide au passage de la ligne de démarcation » et Robert Levillon pour «attitude anti-allemande et propagande gaulliste».

Lucien Bloch est transféré au camp de Compiègne le 9 mai 42 où il reçoit le matricule « 5526 ». Il écrit à son père qu’il y a retrouvé des Alsaciens.
Il cite le nom de Sommer qui sera déporté avec lui.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Carte-lettre timbrée  jetée le 6 juillet 1942 , voir le cachet de la poste

Lorsqu’il a connaissance de son départ « vers l’Allemagne » il prépare une carte-lettre du camp de Compiègne adressée à son père. Il la jette depuis le train qui les emmène en déportation, comme l’ont fait ses compagnons de déportation.

On y lit : « Je pars en déportation en Allemagne. Penserai toujours à vous et bon courage et le moral est bon. Lucien. Merci pour la personne qui trouvera ce mot« . Ramassée – probablement par un cheminot – elle est postée le jour même. Lire dans le site Les lettres jetées du train par les déportés

Lire l’article du site  : Les wagons de la Déportation

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Bloch est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – , de cinquante  « otages juifs » et dune vingtaine d’ « otages asociaux » ( « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ceux-ci sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des « 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Lire dans le site : Le KL Aushwitz-Birkenau et le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.

Le 8 juillet 1942, Lucien Bloch est immatriculé à Auschwitz mais on ignore sous quel numéro. D’après la liste du convoi que j’ai pu – incomplètement – reconstituer et qui est  composée de 4 sous-listes alphabétiques, il existe trois numéros possibles. Soit le matricule « 45 258 » (première liste des otages politiques) soit, le « 46 220 » (deuxième liste des otages politiques), le plus vraisemblable. Sur la liste des 50 Juifs extraits du « camp des Juifs » de Compiègne, les seuls numéros non identifiés dans les « B », le placeraient après Chaim Blumenfeld et donc sans que l’ordre alphabétique ait été respecté. Toutefois une mauvaise transcription de son nom reste possible.
Lire l’article : Les déportés juifs du convoi 

Lucien Bloch doit apprendre à dire ce numéro en allemand et en polonais à toute demande de ses gardiens (SS ou Kapos). Ce sera désormais sa seule identité. Ce  matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale« . Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces).
Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal.  Ils sont interrogés sur leurs professions le 13 juillet : les spécialistes dont ils ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et sont ramenés à Auschwitz I (approximativement la moitié), les autres restent à Birkenau où ils sont employés pour le terrassement et le montage des baraques.

 En mars 1943, il peut écrire à son père, par l’intermédiaire de l’UGIF (5). Il est vraisemblable qu’il comprend et parle allemand, et qu’étant né sur un territoire considéré par les nazis comme allemand, il soit considéré par eux comme un Volksdeutsche. Ce qui expliquerait qu’il ait survécu beaucoup plus longtemps que les autres Juifs du convoi.
On ignore la date exacte de son décès.
Son acte de décès, transmis à Strasbourg en 1947, porte la mention décédé à Auschwitz-Birkenau en octobre 1944. Cette date a été fixée sur la base du témoignage, effectué devant notaire par un ancien déporté d’Auschwitz, Jean Scheller, mécanicien à Wolfisheim. Celui-ci dit avoir bien connu Lucien Bloch dans l’un des camps d’Auschwitz (Birkenau-Ost est-il écrit) entre l’été 1943 et 1944. Selon lui, Lucien Bloch aurait été 
transféré depuis Auschwitz avec un groupe de 180 déportés en octobre 1944 pour une destination inconnue. Jean Scheller avait ajouté : « et les gardiens ont déclaré que toutes ces personnes ont été assassinées » (Umgelect).
La date du certificat de décès de 1947 correspond à la date de ce départ. Mais c
e témoignage manque de fiabilité. Y a-t-il eu confusion avec un autre déporté ? Ou Jean Scheller a-t-il été sollicité pour permettre de confirmer sa disparition afin d’établir pour lui un acte (officiel) de décès ?
Sur sa fiche de renseignements comme « non rentré » au Ministère des Anciens Combattants (dossier au DAVCC), datée de mai 1947, est portée la mention « Déporté politique et racial ». Selon les recherches effectuées auprès du ministère des ACVG, en octobre 1947, par l’UNC (Union des
combattants des deux guerres) à laquelle le père de Lucien Bloch est adhérent, la préfecture de police avait répondu que Lucien Bloch était « inconnu au service des affaires israélites ». Ce qui est vraisemblablement dû au fait qu’il a été arrêté pour avoir tenté de franchir la ligne de démarcation. Il y est fait mention d’une déportation en Allemagne « depuis Compiègne le 7 août 1942« . Erreur de date ? Approximation de la véritable date de départ ? A
ucun convoi n’est parti de Compiègne au cours de l’année 1942 après celui du 6 juillet 1942. Et pour ce qui concerne les 43
convois raciaux 
de l’année 1942 à destination d’Auschwitz, tous sont partis de Drancy, Beaune-la Rolande et Pithiviers à l’exception des deux convois partis de Compiègne les 27 mars et 5 juin 1942.  

Son nom est inscrit le « Mur des Noms » au Mémorial de la Shoah :  dalle n° 11, colonne n° 4, rangée n° 2.

  • Note 1Bezirkspraesidium des Unter-Elsass qui correspond à la Préfecture du Bas-Rhin.
  • Note 2 : Léo est le prénom porté en Schriftdeutsch sur le registre d’état civil d’Haguenau en 1908. C’est le prénom de Léon qui est inscrit dans un extrait de naissance envoyé à son père par la Mairie d’Haguenau le 7 mai 1947, et celui de Léonce dans une demande qu’il adresse au ministère des ACVG le 27 mai 1947. C’est également le prénom écrit par son fils sur sa carte datée du 6 juillet 1942.
  • Note 3 : D’après la liste du convoi que j’ai pu – mais incomplètement – reconstituer, composée de 4 listes alphabétiques, il existe trois numéros possibles. Soit le matricule « 45 258 » (dans la première liste des otages politiques), soit le « 46 220 » (dans la deuxième liste des « otages communistes »). Sur la liste des 50 Juifs extraits du « camp des Juifs » de Compiègne, les seuls numéros non identifiés dans les « B », le placeraient après Chaim Blumenfeld et donc sans que l’ordre alphabétique ai été respecté. Toutefois une mauvaise transcription de son nom reste possible. Voir dans le site la Liste des déportés juifs du convoi
  • Note 3 : Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la défense, Caen.
  • Note 4 : Le camp de Mérignac : à compter du 21 mars 1941, y sont transférés les prisonniers politiques arrêtés en application du décret relatif aux mesures à prendre à l’égard des individus dangereux, pour la défense nationale ou la sécurité publique.
  • Note 5 : l’UGIF, Union générale des Israélites de France est créée – à la suite d’une demande des autorités allemandes – par la loi française, le 29 novembre 1941, auprès du « commissariat aux questions juives ». « La mission de l’UGIF est d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics, notamment pour les questions d’assistance, de prévoyance et de reclassement social. Tous les Juifs demeurant en France sont tenus d’y adhérer, les autres associations juives ayant été dissoutes et leurs biens donnés à l’UGIF ». (Wikipedia). Son rôle est très controversé. Aux deux extrêmes on lira les ouvrages de Maurice Rajsfus « Des Juifs dans la collaboration, L’U.G.I.F. 1941-1944, préface de Pierre Vidal-Naquet », EDI, 1980 et Asher Cohen « Persécutions et sauvetages, Juifs et Français sous l’occupation et sous Vichy » Ed. du Cerf 1993.

Sources

  • Courriel de Madame Karen Taïeb (responsable du Service Archives du Mémorial de la Shoah) adressé à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation à propos de Lucien Bloch.
  • Envoi de Mme Taieb de la photo de la carte-lettre de Compiègne et d’un récapitulatif des documents retrouvés dans le grenier de la famille Bloch à Strasbourg par la famille Scherrer qui les ont transmis au Mémorial de la Shoah.
  • Echange de courriels avec Arnaud Boulligny (responsable de l’équipe FMD Caen) : dossier « Mort en déportation » de Lucien Bloch conservé à Caen
    sous la cote 21 P 426.835.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la défense, Caen.
  • Etat civil en ligne du Bas-Rhin.
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en juillet et août 2016, complétée en 2020 par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005), et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 qui reproduit ma thèse de doctorat. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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