Matricule « 45 394 » à Auschwitz
René Coquet : né en 1908 à Mont Saint-Aignan (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; postier ; sympathisant radical-socialiste ou communiste ; arrêté comme otage le 21 octobre 1941 ; écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 9 juin 1943.
René Coquet est né le 29 novembre 1908 à Mont Saint-Aignan (Seine-Inférieure / Seine-Maritime). Selon sa fiche au DAVCC (ministère de la Défense à Caen), il habite au 65, rue du Renard à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Mais son nom a été honoré uniquement à Darnétal, où son épouse Simone Coquet, habitait, 109, route de Rouen, en 1948 et où Maurice Coquet avait des activités culturelles avant guerre..
Nous n’avons toutefois pas trouvé trace de son nom à Darnétal route de Rouen aux recensements de 1926 et 1936.
Conscrit de la classe 1928, René Coquet effectue un service militaire d’un an (Loi Painlevé).
Il épouse Simone. Le couple Coquet a un enfant né en 1939.
René Coquet est employé des Postes, comme agent des installations.
Pour la police de Darnétal, qui, comme partout en France, enquête sur les militants proches des milieux syndicaliste et communistes à la veille du Front populaire, René Coquet est d’opinions radicales-socialistes, mais n’adhère pas à ce parti. Il est membre de « l’Amicale Darnétalaise », au sein de laquelle il est responsable de l’organisation des concerts, des actions récréatives et du théâtre.
Selon le témoignage d’un de ses camarades d’internement à Compiègne, il est bon acteur « Coquet René, un de nos meilleurs acteurs du théâtre ».
Dans le cadre de ses activités culturelles, il est pendant quelques mois secrétaire de la section locale des « Amis de l’U.R.S.S. », ou il s’occupe du volet concernant la présentation du cinéma soviétique, avant de quitter l’association pour raisons politiques.
René Coquet est mobilisé le 26 août 1939.
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Dès le 31 août 1940 les Allemands arrêtent des otages au Trait et à Duclair à la suite de sabotages de lignes téléphoniques.
A partir de janvier 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes.
Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
René Coquet est arrêté le 21 octobre 1941. Son arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly). Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen. Une centaine de militants communistes ou
présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre. Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes
appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés
à Auschwitz.
A Compiègne, sur la place d’appel, Le lieutenant Kuntz appelle son nom (c’est vraisemblablement celui de Cocquel [Georges Cocquel, matricule 700] qui a été appelé). René Coquet sort des rangs et sait qu’il va être fusillé le lendemain : « (…) A cette époque Compiègne était le camp d’otages et toutes les semaines, sur la place d’appel, on appelait des camarades. Ceux-ci sortaient des rangs et passaient la nuit dans une petite baraque à l’entrée du camp et le lendemain matin, ils tombaient sous les balles d’un peloton d’exécution. Combien en ai-je vu partir de ces camarades… Un soir on a appelé un nom. C’était un vendredi, jour de représentation théâtrale.
L’appelé est sorti des rangs, disant adieu à ceux qui, impuissants, le regardaient partir, puis 2 heures après il est revenu. Il y avait eu erreur sur le nom, et le lieutenant Kuntz aimait que les choses soient en règle. Notre camarade, le soir même tenait sa place au théâtre. Peut-être de Rouen, ce camarade est-il toujours vivant ? Alors il se reconnaitra...« . Témoignage de Maurice Hochet, de Flers (1). Le passage ci-dessus a été retenu par Maurice Rideau de Bléré, rescapé du convoi, qui écrit à René Arnould le 25 janvier 1973. Il indique d’abord avoir bien connu ce camarade normand dont parle Maurice Hochet, mais, malheureusement, il a oublié son nom. Mais il précise : «Il est vrai que quelques heures après son retour au camp il participa au spectacle prévu ce soir-là, et bien qu’encore très touché du choc qu’il venait de subir, il n’en Iaissa rien paraître et tint son rôle jusqu’à la fin. Je crois que ce jour-là les S.S étaient venus chercher quatre camarades pour les fusiller, dont ce camarade de Rouen, qui fut ramené au camp, après que l’officier S.S. se fut aperçu qu’il y avait une erreur de nom quand il fit l’appel avant d’emmener nos quatre camarades pour les fusiller. Ce qui mérite d’être dit, c’est le courage dont ils firent preuve. Peu après être revenu au camp notre camarade nous a dit qu’au poste de garde, en attendant que les S.S. viennent les chercher, ils avaient fait une belote pour que le temps leur semble moins long. Ce camarade ne pourra se reconnaître comme tu l’espérais. Il est mort à Auschwitz peu de temps après notre arrivée ».
A la suite de ce témoignage, Roger Arnould a sollicité plusieurs rescapés de la région Rouennaise : Robert Gaillard, Louis Jouvin et René Demerseman. Ils ont tous trois indiqué que le Rouennais dont il était question était René Coquet, et qu’il était postier.
Un autre interné de Compiègne, René S. a également témoigné de cet épisode : « Coquet René, un de nos meilleurs acteurs du théâtre, surnommé par ses camarades « le fusillé manqué », meurt le 9 juin 1943 à Auschwitz … … C’était une erreur de numéro. Ils emmènent donc le bon numéro, le neveu de Charles, un môme de vingt ans « (témoignage de René S., communiste, 160, rue de Fontenay à Vincennes, matricule « 59 361 » à Oranienburg, in Polegenhial association).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, René Coquet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
René Coquet est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «45 394» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz
René Coquet est mort à Auschwitz-I le 9 juin 1943 selon cette même liste (il y est inscrit sous le nom de Cognet René).
Lire dans le site La mort de René Coquet
Maurice Rideau a été témoin de sa mort. «Nous étions au block 19, qui fut par la suite affecté au Revier, le chef de ce block un colosse d’une brutalité incroyable, un triangle vert allemand, qui frappait sans raison, uniquement pour le plaisir de tuer, à coups de poing, de pied, de schlague ou ce qui lui tombait sous la main, tous ceux qui passaient près de lui. Il était surnommé «le tueur». Un soir à l’appel notre malheureux camarade qui était près de moi mangeait un rutabaga qu’il avait eu je ne sais comment. En passant pour nous compter, le chef de block Ie vit, fonça sur lui, le fouilla, lui fit ouvrir la bouche et à grands coups de paume de la main lui enfonça le reste du rutabaga qu‘il avait trouvé dans une de ses poches, et le frappa jusqu’à ce qu’il tombe à terre et ne put se relever. Quand après l’appel notre camarade fut emmené au Revier, je crois qu’il était déjà mort».
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 12 décembre 1977 2010 paru au Journal Officiel N° 0095 du 26 février 1988).
Cet arrêté mentionne « décédé en 1943 à Auschwitz (Pologne).
René Coquet a été homologué «Déporté Politique» le 21 septembre 1953, la carte a été remise à Simone Coquet). Il est déclaré «Mort pour la France» le premier avril 1954.
Son nom est gravé sur la stèle commémorative «1939-1945» à Darnétal.
Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».
- Note 1 : le « Patriote Résistant » n° 392 de juin 1972 dans la rubrique « Témoins 40-45 » â propos du camp de Royallieu. Maurice Hochet est né en 1919. Il travaille aux filatures de Flers. En 1936, il est secrétaire de la jeunesse communiste de la ville, puis adhère au Parti Communiste. Pendant l’Occupation, il milite clandestinement aux côtés d’Eugène Garnier. Il est arrêté le 24 novembre 1941, en possession de 200 tracts. Jugé, il est interné à Compiègne le 24 novembre 1941. Déporté à Sachsenhausen, Natzweiler puis Dachau. Il sera le secrétaire départemental de la FNDIRP après la mort d’Eugène Garnier (source «La Résistance dans l’Orne», AERI. Stéphane Robine).
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Extraits du «PR», lettre de Maurice Rideau à Roger Arnould.
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en décembre 1992.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Frontstallag 122 : in Présentation de «Peindre la Mémoire» / Exposition de Francine Mayran.
- © Site Internet «Mémorial-GenWeb».
- © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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