Matricule « 46 232 » à Auschwitz
Adélard Ducrocq : né en 1889 à Gamaches (Somme) ; domicilié à Eu-la-Chaussée (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; cheminot, facteur enregistrant ; secrétaire de l'Union locale CGT d’Eu, communiste ; arrêté le 17 juillet 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 10 août 1942.
Adélard Ducrocq est né le 24 février 1889 à Gamaches (Somme). Il habite 6, rue d’Egypte à Eu-la-Chaussée (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Adélard Ducrocq est le fils de Rosalie, Blandine De Ruelle, ménagère, âgée de 28 ans et de Pierre, Siméon Ducrocq, pâtre communal, âgé de 36 ans, né le 5 janvier 1853 à Grebault-Mesnil (Somme), son époux.
Il a plusieurs sœurs et frères, dont Albert, Siméon, de la classe 1913.
Conscrit de la classe 1909, Adélard Ducrocq, est classé dans la première partie de la liste de 1910 en tant que « soutien de famille » par le conseil de révision. Il est est incorporé au 39ème régiment d’infanterie comme soldat de 2ème classe le 5 octobre 1910. Son registre matricule militaire (orthographié Ducroq) indique qu’il habite Incheville (Seine Inférieure), où il travaille comme journalier.
Il mesure 1m 72, a les cheveux et sourcils châtains, les yeux marrons, le front ordinaire et le visage ovale. Il a des taches de rousseur comme signes particuliers. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Le 25 septembre 1912, il est « envoyé dans la disponibilité de l’armée active », « certificat de bonne conduite accordé ».
Il est embauché à la Compagnie des chemins de fer du Nord le 1er octobre 1912 (Adélard Ducrocq est facteur enregistrant au Service de l’Exploitation SNCF en gare de Longroy-Gamaches, agent commissionné le premier octobre 1913. Affecté au dépôt de Valenciennes, il habite au 133, rue de Lille dans cette ville, le 29 octobre1912. A ce titre, il va être classé « affecté spécial » dans la réserve de l’armée active, au titre de la 5ème section des chemins de fer de campagne comme employé permanent des chemins de fer du Nord le 1er février 1914.
A la déclaration de guerre, il est considéré comme « appelé sous les drapeaux, maintenu dans son emploi du temps de paix ». Si son registre matricule indique que cette affectation spéciale compte du 2 août 1914 au 31 juillet 1919, il a très certainement été appelé au front, comme ce fut le cas pour plusieurs autres de ses camarades. En effet Adélard Ducrocq est revenu de l’armée «asthmatique comme c’est pas permis, à cause des gaz de combat» écrit Roger Arnould (résistant déporté à Buchenwald qui a initié les premières recherches sur le convoi des « 45 000 ») qui l’a bien connu, car ils militent ensemble pendant deux ans, au temps du Front populaire. Il adhère à l’Association Républicaine des Anciens Combattants (ARAC).
Adélard Ducrocq se marie à Eu-La-Chaussée le 23 décembre 1920 avec Pauline, Gabrielle Phillipon. Elle est née le 30 mars 1889 à Vignancourt (Somme). Le couple a un enfant.
Il travaille comme « facteur enregistrant » au Service de l’Exploitation SNCF en gare de Longroy-Gamaches, l’arrêt avant le terminus à Eu.
Militant communiste (il a été salarié du Parti communiste), il est secrétaire de l’Union locale CGT de Eu et trésorier de l’Union locale des syndicats confédérés C.G.T. de Eu, Le Tréport, Mers et la vallée de la Bresle.
« »Après la réunification syndicale et les grèves de 1936, il fut à l’origine de la fondation le 28 février 1937 d’une Union locale élargie qui regroupait Eu, Le Tréport et la vallée de la Bresle où existait un puissant syndicat des Verriers ». (Le Maitron, notice de Jean-Pierre Besse)
Il est membre de la Commission exécutive de l’Union départementale (1938-39).
Roger Arnould l’a bien connu : ils militent ensemble pendant deux ans, au temps du Front populaire. «C’était un exemple à suivre, un vieux routier». Au moment de la grève du 30 novembre 1938, ils sont séparés : Roger Arnould est alors muté à Dunkerque.
Le 1er mars 1940, les documents de trésorerie des Unions locales CGT d’Eu, Le Tréport, Mers et de la vallée de la Bresle sont saisis et placés sous scellés par la police (son nom est mentionné avec ces archives «séquestrées» sous le titre « scellés des documents du trésorier Adélard Ducrocq » (in IHS CGT 1 PA 13).
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Adélard Ducrocq est arrêté le 17 juillet 1941, à la gare d’Eu, pendant son service. Il est « soupçonné de propos communistes » (fiche au DAVCC).
Le chef d’arrondissement SNCF indique que « Ducrocq ne s’est pas fait remarquer d’une manière défavorable pendant le service. Nous avons demandé sa libération aux autorités d’occupation ».
Mais Adélard Ducrocq est néanmoins transféré à Compiègne à la demande des autorités allemandes. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), vraisemblablement le 18 ou le 19 juillet 1941. Il y reçoit le numéro matricule n° « 1404 ».
Le 29 octobre 1941, la Feldkommandantur 517 de Rouen envoie au commandement militaire de la région A (St Germain-en-Laye) une liste de 26 otages pouvant être fusillés, spécifiant qu’il convient de séparer communistes et gaullistes. Le nom d’Adélard Ducrocq y figure. Onze d’entre eux seront déportés à Auschwitz (document en haut de la notice – Liste XLII-66).
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Pendant le voyage vers Auschwitz, il se trouve dans le même wagon que René Maquenhen cheminot, rescapé du convoi. Lorsque celui-ci envisage de s’évader par la lucarne du wagon, Adélard Ducrocq lui présente les risques qu’il encourt, et le danger qu’il fait courir à ses camarades. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Depuis le camp de Compiègne, Adélard Ducrocq est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros «45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Adélard Ducrocq est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 232», selon la «liste officielle N°3 des ACVG».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Adélard Ducrocq meurt à Birkenau le 10 août 1942 d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 243).
Il a été déclaré «Mort pour la France». Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué.
Par un arrêté de 1949, paru au Journal Officiel du 25 avril 1949, il est homologué « adjudant » à titre posthume » au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 1er octobre 1941.
Son nom est honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».
Son nom est inscrit, avec celui d’un autre cheminot «45.000», Lucien Leducq, sur la plaque commémorative dédiée «à la mémoire des agents de la SNCF tués par faits de guerre 1939 1945», apposée sur un quai de la gare de Mers-les-Bains (Somme).
Il est également gravé sur le monument aux morts d’Eu-la-Chaussée.
Son épouse est décédée le 12 avril 1967 à Eu.
Sources
- ©Archives en ligne de la Somme. Etat civil deGamaches.
- © Registres matricules militaires de Seine-Maritime.
- © Institut d’Histoire sociale de la CGT : «Archives séquestrées» : 1 PA 13. Relevé des scellés des documents du trésorier, Adélard Ducrocq, saisis par la police le 1er mars 1940.
- Souvenirs de René Maquenhen.
- Témoignage de Roger Arnould, résistant, déporté à Buchenwald, documentaliste à la FNDIRP, à l’initiative des premières recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
- Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
- Liste d’otages du 29 octobre 1941 : CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine) XLII-66.
- Liste «de noms de camarades du camp de Compiègne», collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIème, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 26, p. 109.
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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