Jacques Delestre : né en 1909, à Fulham (Londres, Royaume-Uni) ; domicilié à Dieppe (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; syndicaliste, secrétaire des JC de Dieppe ; ancien des Brigades Internationales ; arrêté le 21 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 1er septembre 1942.
Jacques, Pierre Delestre est né le 27 novembre 1909, officiellement à Fulham (un quartier du sud-ouest de Londres, Royaume-Uni), mais selon les souvenirs de sa famille, il serait né sur un bateau entre la France et l’Angleterre (pays où travaillent ses parents, alors domiciliés au 5, Cranbury Road à Fulham).
Jacques Delestre habite au 7, rue Saint Rémy à Dieppe (Seine Inférieure / Seine Maritime) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie Delestre, femme de chambre et de Pierre Bertolino, cuisinier, de nationalité italienne (il est naturalisé français en 1940), qui devient son époux en 1909 à Fulham.
Ses parents n’étant pas encore mariés, il reçoit le nom de sa mère (selon la loi anglaise, la reconnaissance paternelle ne permet pas la transmission du nom).
Jacques Delestre a une sœur, Jeanne Poirson, et trois frères : Jean, l’aîné, Albert (Pierre) et Daniel, le cadet. Marie Delestre, devenant épouse Bertolino, prend alors la nationalité de son mari. Elle retrouve la nationalité française lorsque Pierre Bertolino est naturalisé, le 10 janvier 1940. À cette date, ils tiennent un hôtel-restaurant, Le Café de la Paix, rue Notre-Dame au Tréport (Seine-Inférieure).
En 1930, Jacques Delestre est docker. « En 1930, Jacques Delestre devint responsable des Jeunesses communistes à Dieppe quand Charles Pieters (1) y adhéra. Tous les dimanches, le groupe vendait L’Avant-Garde. Il fit son service militaire dans l’aviation » (Le Maitron). Sur la photo des Jeunesses communistes de Dieppe défilant en 1936, le porte drapeau en avant de banderole est peut-être Jacques Delestre : d’une part il est le secrétaire des JC, donc assez logiquement en avant, d’autre part le visage est assez ressemblant.
Il milite également au syndicat CGTU des dockers de Dieppe avec Charles Pieters. Membre de la direction de la section du Parti communiste de Dieppe, il est membre de la direction du syndicat.
En 1936, Jacques Delestre s’engage dans les Brigades internationales pour défendre la République espagnole. Il ne revient en France, probablement qu’en 1938 d’après sa nièce. Selon Le Maitron » il arriva sur place le 18 décembre 1936, avec Albert Leroy. Il est affecté à la 14e brigade, au 1er groupe R. Il combat dix mois sur le front, où il fut blessé. Considéré comme un « très bon camarade », il rentra à Dieppe le 4 décembre 1937, avec Albert Leroy« .
Le 14 janvier 1938, à Dieppe, Jacques Delestre épouse Marcelle Suzanne Joly. Elle est née le 13 décembre 1918 dans cette ville. Le couple a un garçon, Jacques (Jacky). Conscrit de la classe 1939, Il fait son service militaire dans l’aviation.
« Au cours de la drôle de guerre, lors d’une permission de Charles Pieters, il participa à une réunion au 40 rue Guerrier, avec celui-ci, Victor Dolé et Marcel Dufriche, pour faire le point sur la situation politique du pays. En août 1940, après l’invasion allemande et la débâcle, il reconstitua le premier groupe communiste clandestin de Dieppe avec Charles Pieters et trois autres militants. Ils diffusèrent l’appel de Jacques Duclos et Maurice Thorez (daté du 10 juillet 1940) imprimé chez un nommé Giffard, rue du Bœuf » Le Maitron.
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Pendant l’Occupation Jacques Delestre est un militant actif dans la clandestinité.
« Jacques Delestre avait été inscrit sur une liste de 48 personnes établie en juin 1940, qui comportait 33 anciens militants du parti communiste dissout ; 8 sympathisants communistes, presque tous dockers ; 3 militants socialistes. Elle indiquait, outre les noms et les prénoms, la date et le lieu de naissance, leur domicile, leur profession avant l’occupation, leur situation de famille. Après plusieurs vérifications de leurs résidences, elles furent toutes arrêtées. Le 17 ou le 18 juillet 1941, « par ordre des autorités d’occupation », le commissaire de police de Dieppe procèda à l’arrestation de Jacques Delestre à Saint-Aubin-sur-Mer (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), de Robert Lefranc et d’Emmanuel Lenormand » (Le Maitron, Gilles Pichavant 2017).
Militant communiste connu des service de la police de Sureté, Jacques Delestre est arrêté le 17 ou 18 juillet 1941. L’opération du commissariat de Dieppe coïncide avec la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille syndicalistes et communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Après avoir été écroué dans les cachots du Palais de justice de Rouen, Jacques Delestre arrive à Compiègne dans la deuxième quinzaine de juillet et y reçoit le numéro matricule « 1440 » (son camarade Robert Arpajou (2), secrétaire du syndicat CGT des cheminots de Dieppe, arrêté le 26 juin à Dieppe reçoit à Compiègne le numéro « 1439 »).
En mai 1942, Jacques Delestre retrouve à Compiègne un de ses frères, Pierre (Albert) Bertolino (voir sa notice biographique dans ce site), qui sera comme lui déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942. Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Jacques Delestre est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro «45444» figurant dans mes trois ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jacques Delestre meurt à Auschwitz le 1er septembre 1942, d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 218).
Une rue de Dieppe porte son nom, gravé également sur le monument aux morts (déportés et fusillés) dans le square Carnot à Dieppe.
A la Libération, la première réunion de l’Union locale des syndicats de Dieppe (le 16 octobre 1944) est placée sous la présidence d’honneur de Robert Arpajou, ancien secrétaire de l’UL, déporté et mort à Sachsenhausen. Joseph Hertel, lui-même interné pendant 38 mois (il est élu député en octobre 1945) rend hommage à Charles
Delaby (des Marins), Jacques Delestre (des Dockers), Robert Lefranc (des Métaux), Jules Mettay (des Produits chimiques).
Le nom de Jacques Delestre est honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».
Un autre de ses frères, Jean-Marie BERTOLINO (pseudonyme sous l’Occupation : Jean Bellon) (lien avec le Maitron en ligne), secrétaire de l’union locale de Toulon, puis de l’UD CGT en avril 1939, est arrêté en novembre 1940. Il s’évade du camp de St-Sulpice-la-Pointe en 1943. Il constitue le maquis FTP Faïta de Haute Provence. Arrêté le 26 novembre 1944, il est déporté à Mauthausen-Gusen où il meurt le 19 avril 1945.
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Note 1 : Charles Pieters : Né à Dieppe en 1914, syndicaliste dès son entrée dans la vie active, membre de la jeunesse communiste dès 1932, puis du Parti communiste. Il est profondément marqué par la disparition de son frère pendant la Guerre d’Espagne et rejoint la Résistance dès juillet 1940. Arrêté le 30 novembre 1940, il s’évade de la prison Bonne nouvelle de Rouen en septembre 1941. Arrêté à trois autres reprises, il s’évade trois autres fois, et notamment le 7 mars 1942 du camp de Compiègne (avant celle du tunnel, c’est une des seules évasions, rapportée par Georges Cogniot, André Tollet et lui-même) et se réfugie chez la mère de Jacques Delestre. Déporté à Buchenwald en 1944, il participe à l’insurrection du camp. A la libération il est président de la FNDIRP de Dieppe. De 1971 à 1983, il est élu municipal au sein de l’équipe d’Irénée Bourgois dont il sera le premier adjoint. Pour cette implication dans la vie locale et ses faits de résistance, Charles Pieters avait reçu l’insigne de Commandeur de la Légion d’honneur le 1er septembre 2009.
Charles Pieters est décédé le 20 janvier 2011. Ancien maçon, puis docker, ancien boxeur, résistant. -
Note 2 : Robert Arpajou, né le 29 juin 1886 à Maureillas (66). Secrétaire du syndicat CGT des cheminots de Dieppe. Il est arrêté le 26 juin à Dieppe. Il reçoit au camp de Compiègne le numéro 1439. Il est déporté à Sachsenhausen dans le convoi du 24 janvier 1943. Il y meurt le 6 avril de la même année.
Sources
- Souvenirs de son fils, Jacques.
- Lettres de Charles Pieters à Roger Arnould (juillet, août 1979).
- Charles Pieters, Témoignages contre l’oubli, Le Temps des Cerises, août 1995.
- Courriers et documents photographiques de Mme Danièle Laresse, sa nièce (1989) pour la constitution de la biographie de son père, Albert Bertolino.
- Listes de déportés de Seine-Maritime établies à leur retour de déportation par Louis Jouvin et par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
- © Siteinternet «Le Fil rouge», Institut CGT d’Histoire sociale de Seine-Maritime.
- Liste «de noms de camarades du camp de Compiègne», collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIème, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition électronique 2018, notice de Gilles Pichavant.
- © Site Internet Mémorial-GenWeb
- © SiteInternet « Rail et mémoire ».
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire vive » sur les “45 000”
et les “31 000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2011, 2017 et 2018. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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