Matricule « 45 873 » à Auschwitz
Jules Mettay : né en 1897 au Petit-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié à Dieppe (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; tapissier, ouvrier produits chimiques ; secrétaire du syndicat CGT des Produits chimiques de Dieppe ; communiste ; le 4 novembre 1939 condamné à 9 mois de prison avec sursis ; membre de Libération-Nord, arrêté le 17 juillet 1941, palais de Justice ; arrêté comme otage, le 21 octobre 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 28 août 1942.
Jules Mettay est né le 28 décembre 1897 au Petit Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime). Il habite au 43, rue Saint Jacques à Dieppe au moment de son arrestation.
Jules Mettay est le fils d’Augustine, Alphonsine, Amelina Toutain, 36 ans, et d’Edouard Mettay, 37 ans, son mari. Son père est «garçon de magasin». Jules Mettay a cinq frères et sœurs. La famille habite au 15, boulevard Saint-Julien au Petit Quevilly.
Il commence à travailler comme tapissier.
Conscrit de la classe 1917, il est mobilisé pendant la guerre par anticipation, comme tous les conscrits de sa classe. Il est incorporé au 24ème Régiment d’Infanterie le 10 janvier 1916. Son registre matricule militaire indique qu’il est hospitalisé du 13 juillet au 5 septembre 1916. Il rejoint le régiment le 10 octobre et se retrouve « aux armées » le 20 du dit mois. Il reçoit la Croix de guerre le 15 octobre 1918 (Ordre du jour n° 32 de la Division) : « S’est jeté sur l’adversaire à la tête d’un groupe de grenadiers qu’il entraînait par son exemple. A livré un combat acharné qui a contribué largement à nous rendre maîtres d’une position que l’ennemi avait l’ordre de tenir à tout prix ». Ordre du jour n° 334 du Régiment. « Soldat d’une grande bravoure, se trouvant en tête d’une patrouille, a malgré le tir de l’ennemi, continué à couper les fils de fer qui devaient livrer passage à sa patouille ».
Le 28 février 1918, il rejoint l’Armée d’Orient et se trouve affecté au 5ème Régiment d’Infanterie coloniale le 6 mars 1918. Il passe au 6ème bataillon colonial du Maroc le 29 juillet. Le 29 septembre 1919, il est « renvoyé en congé illimité », avec le « certificat de bonne conduite accordé».
Il trouve du travail à Lyon, où il habite en avril 1923 au 6, place Rouville (1er arrondissement).
Revenu en Seine-Inférieure, Jules Mettay se marie au Petit-Quevilly le 21 janvier 1929 avec Armandine, Louise, Julia, Wairy (1891-1973).
Ils habitent alors au 47, rue Saint-Jacques à Dieppe. Elle est née à Rouen, le 28 août 1891. Elle a été mariée en 1910 (veuve ou divorcée) avec Georges Gonache. Elle en a eu une fille Georgette. Le couple Mettay aura six enfants (Madeleine, Jacques, Julien, René, Jeanine, Edouard (c.f. arbres généalogiques familiaux).
Jules Mettay travaille comme ouvrier dans une usine de produits chimiques (production d’huiles) de Dieppe, aux Etablissements Robbe et frères.
Adhérent du Parti communiste, Jules Mettay est également militant cégétiste.
Il devient le secrétaire du syndicat CGT des Produits chimiques de Dieppe.
Il est « rappelé aux armées » par le décret de mobilisation générale du 2 septembre 1939.
Il est maintenu dans son emploi comme « Affecté spécial » à durée illimitée (14 octobre
1939). Mais il est rayé de « l’Affectation spéciale » le 4 novembre 1939 – comme quasiment tous les communistes ou syndicalistes l’ont été – référence dans son registre matricule au décret ministériel du 22 septembre 1939 (1) / et réaffecté au dépôt d’Infanterie
n° 32 à Rouen.
Le 9 novembre 1939, le tribunal militaire de la 3ème région « a déclaré Mettay, affecté spécial aux usines Robbe à Dieppe coupable d’infraction au décret du 26 décembre 1936 (2). Circonstances atténuantes admises, l’a condamné à 9 mois d’emprisonnement avec sursis ».
Rappelé à l’activité le 11 novembre 1939 au 31ème Régiment d’Infanterie, il y arrive le même jour. Faisant valoir ses droits, il est alors rattaché à la dernière classe de la deuxième réserve (la classe 1909 : il est père de six enfants, article 58 de la loi de recrutement) le 16 novembre 1939 et le 19 novembre il est renvoyé « provisoirement » dans ses foyers, sans affectation.
Il est alors domicilié avec sa famille au 43, rue Saint-Jacques à Dieppe.
Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Selon le Maitron, «Militant communiste, pendant l’Occupation, il appartint au réseau «Libération-Nord». La création de ce mouvement étant officiellement annoncée par le numéro de Libération du 30 novembre 1941, alors qu’il a déjà été arrêté à deux reprises et se trouve en prison, on peut s’interroger sur la réalité de cette appartenance.
Libération Nord ayant par ailleurs la vocation de rassembler des syndicalistes de la CGT et de la CFTC non communistes et de la SFIO clandestine.
Jules Mettay est arrêté une première fois le 17 juillet 1941 et passe en jugement au Palais de justice de Rouen. Il est sans doute relaxé.
Il est arrêté une deuxième fois le 21 octobre 1941, comme otage communiste, par les polices française et allemande. Son arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly)
Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.
Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre. «Ainsi, à Dieppe, la liste était de 48 personnes : 33 anciens militants du parti communiste, trois militants socialistes, huit sympathisants communistes, presque tous dockers. Cette fois-ci il n’y eut pas de libération. Trois connurent le peloton d’exécution, neuf moururent en déportation et presque tous les autres furent déportés. Parmi eux (…) Charles Delaby, Jules Mettay et Robert Lefranc, moururent en déportation» (Gilles Pichavant « Les années nuit et courage » in Le Fil rouge).
Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. Trente neuf d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Jules Mettay est interné à Compiègne le 25 octobre.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Jules Méttay est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Jules Mettay est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro 45873selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Il se déclare tapissier.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Jules Mettay entre à l’infirmerie d’Auschwitz le 28 août 1942 et il meurt à cette même date du 28 août 1942 d’après le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 802).
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (Journal Officieln°191 du 18 août 1995).
A la Libération, la première réunion de l’Union locale des syndicats de Dieppe (le 16 octobre 1944) est placée sous la présidence d’honneur de Robert Arpajou, ancien secrétaire de l’UL, déporté et mort à Sachsenhausen.
Joseph Hertel, lui-même interné pendant 38 mois (il est élu député en octobre 1945) rend hommage à Charles Delaby (des Marins), Jacques Delestre (des Dockers), Robert Lefranc (des Métaux), Jules Mettay (des Produits chimiques).
Son nom est gravé sur le Monument aux Déportés et Fusillés de Dieppe et sur le Monument aux morts du Petit Quevilly.
Un arrêté ministériel en date du 3 juillet 1995 porte apposition de la mention « Mort en déportation » sur ses actes et jugements déclaratifs de décès
Son nom est honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».
- Note 1 :Reconstitution de ligue dissoute à la suite de la dissolution du Parti communiste, et propagande notoire des doctrines de la IIIème internationale.
- Note 2 : Décret portant sur l’organisation de l’administration centrale.
- Note 3 : René Bouffet, ancien préfet de Constantine, puis de la Manche est nommé préfet de Seine-inférieure le 4 septembre 1940 et préfet régional jusqu’en août 1942 avant d’être nommé Préfet de la Seine jusqu’en août 1944.
Sources
- Souvenirs de son fils, René.
- Listes de déportés de Seine Maritime établies à leur retour de déportation par Louis Jouvin et par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine-Maritime.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Liste des détenus ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz (BAVCC. Ausch 3/T3).
- Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche de l’interrogatoire à Auschwitz, consultée en avril 1992.
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 36, p.297.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Liste des détenus ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz (BAVCC. Ausch. 3/T3)
- Etat civil du Petit Quevilly.
- © Archives en ligne de Seine-Maritime.
Etat civil et Registre matricule militaire. - © Généanet : arbres de Marilyn Mettay, Pascal Mettay et Daniel Heuze.
- © Quiquengrogne Dieppe (photo Ets Robbe).
- © Site Généanet.
- © Site internet «Le Fil rouge», Institut CGT d’Histoire sociale de Seine Maritime.
- Photo de Robert Arpajou in © l’Avenir du Havre
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com