Matricule « 45 463 » à Auschwitz 

Lucien Desenclos, PCF du Vimeu
Lucien Desenclos : né en 1920 à Béthencourt-sur-Mer (Somme); plombier chez son père ; domicilié à Friville-Escarbotin (Somme); jeune communiste ; arrêté avec son père le 23 octobre 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 10 août 1942.

Lucien, Zéphir Desenclos est né le 8 janvier 1920 à Béthencourt-sur-Mer (Somme). Il habite 15, impasse Saint-Étienne à Friville-Escarbotin (Somme) au moment de son arrestation. Il est le fils de Jeanne Pecquery, 24 ans (1896-1987) et de Robert Desenclos, 25 ans, (1895-1975) artisan outilleur, ajusteur sur métaux, son époux. Ses parents se sont mariés le 4 octobre 1919.
En 1921, la famille Désenclos habite au 83, Grande Rue à Béthencourt-sur-Mer. Les Désenclos viennent habiter à Friville-Escarbotin vers mars 1923.
Lucien Désenclos a une sœur cadette, Jacqueline, qui naît le 16 avril 1928 à Friville-Escarbotin (elle est décédée le 18 décembre 2008).
En 1931, ils habitent au 4, rue de la Promenade. Son père est « industriel » selon le registre de recensement (il a en fait un atelier de robinetterie et emploie deux ouvriers, dont Joseph Philippart, tourneur, marié avec Denise Pecquery, vraisemblablement la tante maternelle de Lucien). Sa grand-mère Émilienne Desenclos vit avec eux. En 1936,
Lucien Désenclos habite avec ses parents et sa sœur au 15, impasse Saint-Étienne à Friville-Escarbotin. Il est tourneur et seconde son père dans sa petite entreprise de robinetterie dans cette commune.
Célibataire, Lucien Desenclos est membre des jeunesses communistes. Sa sœur, Jacqueline Leroy, pense qu’il était aussi adhérent aux « Amis de l’URSS« . On sait également par le Maitron, qu’un nommé Olive Desenclos (mais il ne s’agit ni de son père, ni de son grand-père, prénommé Désiré), « militant du Parti SFIO, puis du Parti communiste, était, en 1934, secrétaire du comité des Vieux Travailleurs de Friville-Escarbotin (Somme), organisation dirigée par des militants du PC« .

Amiens mai 1940 : chars allemands sur la route de Paris

Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens. Située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris : la ville est un nœud ferroviaire et routier de première importance. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Les conditions d’occupation sont très dures. Abbeville, est prise par les Allemands de la 2è Panzerdivision le 20 mai 1940 et Le Tréport le 10 juin. Belloy est située entre ces deux villes.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…

Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.
Après l’évacuation de la famille dans le Tarn, le 20 mai 1940, Lucien Desenclos est appelé à Castres en «chantier de jeunesse» (1). Il regagne Friville-Escarbotin fin 1940. « J’ai su – écrit sa sœur – qu’avec quelques jeunes de son âge, il faisait de la Résistance, mais j’ignore les détails« .
Lucien Desenclos est arrêté le 23 octobre 1941, à son domicile de Friville-Escarbotin, par des policiers français et allemands, en même temps que son père.

Les déportés du Vimeu

Le même jour qu’eux sont arrêtés d’autres militants communistes connus : Albert Creuset, Lucien Leducq, Marius Briet et Orphée Journel, tous de la même partie du département (la vallée du Vimeu (2) et (3). René Maquenhen est arrêté le lendemain. Tous seront déportés avec lui à Auschwitz dans le même convoi.

Il est conduit rapidement, sans jugement, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 25 octobre, comme Marius Briet, dont nous connaissons également la date d’arrivée à Compiègne. Ils sont tous dans le même bâtiment (le 8). Il reçoit le matricule n° »1939″. Son père reçoit le matricule « 1942 ».
Fin 1941, treize familles de la Somme dont celle de Lucien Desenclos (des villes d’Albert, Belloy, Friville, Mers, Oust-Marest) ont sollicité François Brinon, délégué général du gouvernement français pour les territoires occupés, afin de connaître le sort de leurs proches arrêtés entre les 20 et 25 octobre 1941 et internés à Compiègne entre les 23 et 28 octobre, et demander leur libération.
De Brinon a questionné le préfet de la Somme qui lui répond le 26 décembre 1941 « ces personnes, en raison des renseignements défavorables recueillis au cours de l’enquête (ex-militants communistes), n’ont pas fait l’objet d’une demande de libération à la Feldkommandantur 580 d’Amiens« .
La mère et la sœur de Lucien furent autorisées à les voir à Compiègne, et revinrent chargées de lettres pour les familles de ses compagnons.
Le nom de Lucien Desenclos figure sur la liste de recensement des jeunes communistes du camp de Compiègne pouvant être déportés « à l’Est« , en application de l’avis du 14 décembre 1941 du commandant militaire en France, Otto von Stülpnagel (archives du CDJC).
A Compiègne, son père, Robert Desenclos, se lie d’amitié avec Marius Friveaux, Maire de Rosny-par-Buxy (Saône-et-Loire) qui n’a pas été déporté et libéré a participé à de nombreuses opérations de résistance avec son fils dans le maquis de Buxy. « nos familles sont restées étroitement unies depuis 1945 et nous nous voyons beaucoup« .

Lettre de sa sœur 1999

« J‘aimerais vous conter ce que le maire d’Escarbotin, mis en place par Vichy, a fait subir à ma mère un jour de 1942. Après l’avoir convoquée à la Mairie, il lui a dit brutalement qu’il avait conscience de ce qu’avait de douloureux son cas : 2 hommes arrêtés et internés. Il pouvait bien essayer de faire quelque chose, mais pour un, pas pour deux. Et enfin « lequel choisissez-vous ?« . Ma mère s’est levée sans répondre et elle est sortie« .
« Peut-être a-t-il fait « quelque chose » pour mon père, puisqu’il est rentré, ou alors est-ce le hasard ? » (Jacqueline Leroy).
Robert Desenclos est en effet libéré le 4 septembre 1942.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, Lucien Desenclos va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Desenclos est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45.463 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Entré à l’infirmerie d’Auschwitz le 3 août 1942, Lucien Desenclos y meurt le 10 août 1942 selon la liste par matricule du convoi du 6 juillet 1942, indiquant généralement la date de décès au camp, établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Selon René Maquenhen, rescapé, « son état de santé était déplorable : entérite contractée pendant le trajet » .

Lucien Desenclos est homologué « Déporté politique« , reconnu « Mort pour la France« .

Son nom est inscrit sur le monument aux Morts et sur la stèle commémorative de la commune de Friville-Escarbotin :«Don des habitants de la commune aux Martyrs de la liberté assassinés dans les bagnes nazis – Peuple, souviens-toi, ils sont morts pour que vive la France».

Plaque de rue à Friville

Une rue de Friville-Escarbotin porte son nom. La FNDIRP a envoyé à sa famille un diplôme du Souvenir (1965)
A la Libération, la municipalité unanime a engagé des poursuites « contre les dénonciateurs » (demande d’enquête adressée au Préfet fin 1945).

  • Note 1: L’armistice du 22 juin 1940 supprime le service militaire obligatoire : les «chantiers de jeunesse» créés le 30 juillet 1940 font obligation au jeunes hommes de la zone libre en âge (20 ans) d’accomplir leurs obligations militaires d’y effectuer un stage de six mois. Ils sont encadrés par des officiers d’active et de réserve démobilisés.
  • Note 2 : Le Vimeu industriel regroupe encore aujourd’hui les 2/3 des entreprises industrielles de la Picardie Maritime dont les activités sont principalement axées autour de la métallurgie légère.
  • Note 3 : Achille Pruvost qui figure au centre de la carte est arrêté le 21 septembre 1941 à Tuilly, interné à Compiègne, est déporté le 24/01/1943 à Sachsenhausen et meurt le 23/07/1943 à Oranienburg.

Sources

  • Le questionnaire envoyé par mes soins aux municipalités et aux familles a été rempli par la sœur, madame Jacqueline Leroy.
  • M. Lalou (ADIRP d’Amiens, (septembre 91) se met en rapport avec la sœur de Lucien Desenclos, Mme Jacqueline Leroy, à qui j’ai envoyé un questionnaire le 29 octobre 1991. Sa correspondance m’a permis d’identifier deux « 45000 » jusque là inconnus: Marius Briet et Albert Creuset, arrêtés le même jour que son frère.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Liste des décédés à Auschwitz, convoi du 6 juillet 1942, du 18 juillet 1942 au 19 août 1942. Ref ACVG 1/19, liste N°3
  • Liste des détenus (noms et matricules) ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz ACVG, Ref. 3/5 et 3/T3
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb. Relevé François Bronnec.
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • Portrait tiré d’une carte postale commémorative éditée par la section du PCF du Vimeu, qui m’a été envoyée par M. Gilbert Creuset, ancien maire de Nibas (16 juillet 2011).
  • Registre matricule militaire de son père Robert Desenclos.
  • Recensements à Friville Escarbotin, 1926, 1931 et 1936.

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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