Matricule « 45 347 » à Auschwitz Rescapé
Louis Cerceau : né à Parthenay (Deux-Sèvres) en 1908 ; domicilié à Domine (Vienne) ; sabotier, menuisier, métallurgiste ; syndicaliste CGT, communiste ; arrêté le 23 juillet 1941, interné aux camps allemands de la Chauvinerie, puis de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Gross-Rosen, Dora-Mittelbau, Neungamme, Lübeck, navire Cap Arcona; Rescapé ; Louis Cerceau est mort le 6 avril 1979 à Poitiers.
Louis Cerceau est né à Parthenay (Deux-Sèvres) le 29 août 1908.
Il habite au 12, rue de Châtellerault à Domine, commune de Naintré (Vienne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Célestine, Anne Simonnet, 30 ans, et de Louis,
Achile Cerceau, 33 ans, serrurier, son époux.
Il s’est marié à Parthenay (Deux-Sèvres) le 21 septembre 1931 avec Eugénie, Marie Sicot. Elle est née le 30 juillet 1900 à Parthenay.
Sabotier de profession, il est sabotier chez Guillonneau en 1936. Le couple est alors domicilié au 44, hameau Bouget à Châtillon-sur-Thouet (Deux-Sèvres, France).
Il travaille ensuite comme menuisier à l’usine Duteil de Domine (initialement coutellerie Pagé, qui en 1930 dévient les Etablissements «Duteil réunis» avec plus de 400 salariés).
Il est le responsable du Parti communiste pour Domine, dont la cellule est rattachée à Châtellerault.
Il milite également à la CGT dans son entreprise.
Conscrit de la classe 1928, il est « rappelé à l’activité » militaire le 5 septembre 1939, à la suite du décret de mobilisation générale. Il est affecté au 77è Régiment d’infanterie. Le 18 octobre, il est évacué vers l’hôpital de Morhange (Moselle). Il rejoint le 77è RI le 22 novembre. Le 15 décembre, il « passe » au dépôt n° 92, puis est affecté aux 21è et 31è compagnies de passage. Le 8 avril 1940, il est au dépôt n° 91 à Angers.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre par la Porte de la Villette dans Paris. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. 3000 Allemands occupent Châtellerault le 23 juin 1940. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dans le cadre de la réorganisation administrative opérée par Vichy le 19 avril 1941, Poitiers devient la capitale de la «région de Poitiers», qui comprend les départements de la Vienne, la Vendée, les Deux-Sèvres, la Charente et la Charente Maritime.
Il est démobilisé le 1er août 1940. Aux débuts de l’Occupation, « il fait partie de la Résistance » (témoignage d’Eugénie Cerceau).
Louis Cerceau est arrêté le 23 juin 1941 à son domicile par un gendarme français, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich».
Lire dans le site l’article « L’Aktion Theoderich dans la Vienne », sur l’arrestation des 33 militants communistes et syndicalistes de la Vienne. Liste et récits des internements à Poitiers et à Compiègne.
Il est d’abord interné au camp allemand de la caserne de la Chauvinerie-Poitiers, puis transféré au camp allemand de Compiègne (le Frontstalag 122) le 11 juillet 1941.
A Compiègne, il est interné dans une baraque avec plusieurs Viennois arrêtés comme lui le 23 juin 1941. L’un d’eux Alfred Quinqueneau (1) a dessiné le 2 mai 1942 quelques uns de ses camarades au moment de la préparation du repas (les détenus font popotte commune pour améliorer l’ordinaire).
Sur le dessin ci-contre, on reconnaît de gauche à droite : Louis Cerceau, coiffé d’une casquette, cigarette à la bouche, porteur d’une bassine Charles Limousin une cuiller et une casserole en mains, Marcel Pilorget qui lui tend une boite de conserve et René Amand, assis, ouvrant une boite.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Louis Cerceau est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Louis Cerceau est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 347 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Ramené à Auschwitz I, il est dans le même kommando (serrurerie) que Maurice Rideau, mais pas dans le même Block : « nous nous voyions presque journellement« . Louis Cerceau est atteint de tuberculose.
On le met à l’isolement, et il aurait servi de cobaye «Versuchspersonen» («sujet d’essai»), évidemment non consentant, selon le témoignage de son ami Maurice Rideau. » Il suffisait que quelqu’un voie la possibilité d’utiliser des détenus comme cobayes pour tester un sérum, vérifier une hypothèse ou résoudre quelque autre problème, pour que soit lancée une série d’expériences ». Raul Hilberg(2).
Comme on ne connaît pas la durée et les dates de cet isolement, on ignore s’il a bénéficié de l’autorisation d’écrie. En effet, en application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments (lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français
De même comme on ne connaît pas la durée et les dates de cet isolement, on ignore donc s’il fut en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des français survivants (entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943). Son épouse n’a pas pu répondre à cette question en 1989.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Le 7 septembre 1944, Louis Cerceau est transféré avec 29 autres «45 000» au camp de Gross-Rosen. Il y reçoit le matricule 40 982.
Après leur quarantaine, ils sont répartis dans divers kommandos (une dizaine d’entre eux sont affectés aux usines Siemens).
Le 8 février 1945 le camp de Gross-Rosen est évacué devant l’avancée des armées soviétiques (les déportés entendent les canonnades. L’évacuation des 30 064 survivants durera jusqu’au 26 mars en convois échelonnés).
Ces évacuations durent de 4 à 5 jours et provoquent une hécatombe : les déportés affaiblis par les coups et les privations, sans nourriture, dans des wagons sans toit, sous des températures atteignant 25 o à 30 o sous zéro.
Louis Cerceau est transféré avec 14 autres «45 000» à Dora-Mittelbau : il y reçoit le matricule « 116 860 ».
Le 11 avril 1945, le camp de Dora est évacué à son tour devant l’avancée des troupes anglaises : le 14 avril, Himmler donne l’ordre de faire disparaître les déportés avant l’arrivée des Alliés.
Louis Cerceau, Marcel Cimier et Georges Gaudray sont transféré en train à Neuengamme, puis évacués à pied vers Lübeck.
Au port de Lübek, Louis Cerceau et Georges Gaudray sont embarqués avec 6500 déportés de Neuengamme et 600 gardes sur le navire allemand «Cap Arcona», où ils survivent dans des conditions atroces.
Le «Cap Arcona» est bombardé et coulé par la RAF(3). Louis Cerceau et Georges Gaudray échappent à la mort et sont recueillis par une vedette anglaise le 3 mai 1945.
Louis Cerceau est hospitalisé en Suède jusqu’au 22 mai 1945, date de son rapatriement.
Après 29 mois d’hospitalisation, Louis Cerceau continue de souffrir du poumon. « Il doit rester constamment en pneumologie sous oxygène, plus de côtes, ni de plèvre » écrit son camarade Maurice Rideau.
Son épouse Eugénie Cerceau a décrit sa plaie « jamais refermée, par laquelle on voyait son poumon.
Il est homologué «Déporté politique».
Louis Cerceau meurt le 6 avril 1979 à Poitiers. Eugénie Sicot-Cerceau est décédée le 15 avril 1997 à Poitiers.
- Note 1 : Alfred Quinqueneau, âgé de 44 ans, sera déporté à Sachsenhausen dans le convoi du 24 janvier 1943 (matricule 59255 à Saxo). Il est ensuite transféré dans un camp de Buchenwald (Halberstadt) et libéré à Chemnitz le 7 mai 1945.
- Note 2 : Raul Hilberg, La destruction des Juifs d’Europe, édité chez Fayard.
- Note 3 : En application des ordres de Himmler, l‘officier SS Gehrig donne l’ordre à des sous-marins allemands de couler le « Cap Arcona » au large, ainsi que le Thielbek, l’Athen, et le Deutschland, afin de ne laisser aucun déporté vivant. Le 3 mai 1945, des chars anglais pénètrent dans le port et un avion de reconnaissance repère les navires. Deux officiers britanniques sont informés par la Croix-Rouge de la présence des déportés à bord et promettent d’agir, mais il est trop tard pour détourner l’attaque lancée par la RAF. Trois des bateaux-prison sont bombardés et coulés par l’aviation britannique. Environ 7000 à 8000 déportés périssent noyés et les survivants qui nagent dans la Baltique glaciale sont mitraillés par les avions anglais, puis par les SS à leur arrivée sur la plage. Il n’y aura que 316 survivants.
Sources
- Le questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches en 1987, a été rempli par madame Ferger, au Foyer Elsa Triolet de Naintré, sous la dictée d’Eugénie Cerceau, le 27 juin 1989.
- Recherches de Paul-Raymond Jamain, de l’ADIR de la Vienne, arrêté le 23 juin 1941 à Nantes, déporté à Sachsenhausen (1973), rescapé.
- Souvenirs de Maurice Rideau, 46.056.
- Etat civil de Parthenay, 24 mai 1994.
- © Site « VRID » Vienne Résistance, Internement, Déportation.
- © Photo coutellerie Pagé, inventaire général/ M. Deneyer
- © André Laroze, les « Oubliés du « Cap Arcona« . Saint-Sever, 2005.
- Franck Mazoyer, Alain Vancauwenberghe, et André Migdal, la Tragédie du Cap Arcona, in Le Monde diplomatique, août 2005
- © Photo du bombardement du «Cap Arcona» in Wikipedia.
- Cartes des camps in site Arolsen
Notice biographique rédigée à l’occasion de l’exposition organisée en octobre 2001 par l’AFMD de la Vienne à Châtellerault, complétée en 2011 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce siteg) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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