Matricule « 45 555 » à Auschwitz
Georges Fouret : né en 1895 à Saint-Clair (Vienne) où il est domicilié ; cultivateur ; maire communiste de Saint-Clair ; arrêté le 23 juillet 1941, interné aux camps allemands de la Chauvinerie, puis de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 25 août 1942.
Georges Fouret est né au domicile de ses parents le 10 mai 1895 à Saint-Clair, près de Loudun (Vienne), et il y habite au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Amanda Ribanneau, 26 ans, sans profession et de Xavier Fouret, 35 ans, cultivateur, son époux.
Dès l’âge de 12 ans, Georges Fouret travaille dans les champs.
Son registre matricule militaire indique qu’il habite Saint-Clair, où il travaille comme cultivateur. Il mesure 1m 70 (taille rectifiée à 1m 67), a les cheveux châtains, les yeux bleus clairs, le front vertical et le nez rectiligne. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Il est mobilisé par anticipation fin 1914, comme tous les jeunes gens de sa classe, depuis la déclaration de guerre. Le 17 décembre 1914 il est incorporé au 114è régiment d’infanterie. Le 10 mars 1915, après les classes, il est affecté au 409è Régiment d’infanterie, constitué en 1915 à Châtellerault. il participe à la bataille de Verdun en février-mars 1916 (secteur de Douaumont). *
Sa compagnie est au front le 8 mars 1916 : « Le bombardement commencé vers 6 h en arrière des tranchées redouble de violence et est dirigé sur les premières lignes. A 10 h, les tranchées de la 5è Cie sont arrosées de gros projectiles. Celles de la 4è section n’existent plus ; on a l’impression que les morts se touchent et les obus pleuvent ainsi jusqu’à 16 h » (in le blog du 409è). Georges Fouret est blessé
(plaie à la main) par un éclat d’obus le 8 mars 1916, à Vaux, devant Damloup, (Meuse) dans le secteur de Verdun. La commission de réforme de Roanne d’octobre 1916 le propose pour la réforme n°1 avec gratification de 6è catégorie pour : « perte du médius gauche avec les 2/3 des métacarpiens, perte des trois phalanges de l’index gauche. Limitation de la flexion des articulations métacarpo-phalangiennes des deux derniers doigts de la main gauche (éclat d’obus) ». Il est admis à la réforme n°1 avec pension de 840 francs avec jouissance au 11 septembre 1920. Le 26 octobre 1920 la commission de Poitiers le propose pour une pension permanente à 35 % pour « à la main gauche désarticulation de l’index, amputation du médius et de son métacarpien, atrophie de l’avant-bras : 1 cm 1/2. Cicatrice verticale de 7 cm au bras, ganglion épitrochléen tuméfié et induré »… La commission de Tours en 1928 confirme les 35 % :
« Désarticulation de l’index, perte du médius et de son métacarpien main gauche, avec limitation de la flexion de l’annulaire à 4 cm du poignet. Flexion du poignet diminuée à 90 PM. Cicatrice face interne bras gauche avec présence de quelques éclats ». En juillet 1936, la CR de Tours le propose pour une pension de 45 % d’invalidité pour « reliquat de blessure de la main gauche par éclat d’obus, gêne considérable de la préhension ».
Malgré ce handicap, il a repris son travail de cultivateur. Il est «cultivateur authentique» écrit-il en 1937.
Georges Fouret épouse Henriette Penot, fille d’un maçon. Elle est née le 27 novembre 1894 à Messais (Vienne). Le couple a deux enfants, Georgette, Armanda née le 1er juin 1917 à Saint-Clair, et Camille ou Guy en 1938.
Il est adhérent de l’Internationale Paysanne, et abonné à la «Voix paysanne».
Georges Fouret est élu maire de Saint-Clair en 1929 et justifie la confiance de ses concitoyens qui le réélisent en 1935, dès le premier tour, en raison de ses qualités d’administrateur municipal et sa connaissance du monde agricole. « Il fut maire communiste de Saint-Clair, du 19 mai 1929 au 19 mai 1935. En 1935, la liste sortante fut réélue mais elle porta à sa tête Roger Mousset » (Le Maitron).
Il sera ensuite conseiller municipal.
En 1931 la famille habite Le Clos à Saint-Clair, avec leur fille Henriette et la mère de Georges Fouret, Armanda. En 1934, le philosophe Georges Politzer vient à Saint-Clair. A la suite d’une de ses conférences, Georges Fouret crée avec Firmin Sapin, en 1934, la cellule du PCF de Saint-Clair, dont il devient le secrétaire. Il assurait le secrétariat de la cellule communiste locale en 1936. Cette même année, il est (avec Firmin Sapin), également le principal animateur du Comité antifasciste de Saint-Clair.
En 1936 la famille habite Le Clos à Saint-Clair, avec la mère de Georges Fouret, Armanda.
Il est le candidat du Parti communiste aux élections législatives de 1929, 1932 et à l’élection complémentaire partielle du 11 juin 1939 circonscription de Loudun, (document ci-contre).
En 1936 il organise avec ses camarades un grand banquet du Front populaire, avec un défilé dans le bourg.
« Le Parti communiste le présenta à l’élection législative complémentaire du 11 juin 1939 dans la circonscription de Loudun où il obtint 3,5 % des voix des électeurs inscrits » (Jean-Pierre Besse, in Le Maitron). L’Humanité qui publie ces résultats souligne les progrès du Pc depuis 1932, où à la même élection le candidat n’obtenait que 162 voix, le candidat SFIO 3313, Le radical socialiste 7009 et l’agrarien 6277.
Georges Fouret est déchu de son mandat électif de conseiller municipal au début de 1940 par le Conseil de Préfecture (2).
Le 14 juin 1940, l’armée allemande entre par la Porte de la Villette dans Paris. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. 3000 Allemands occupent Châtellerault le 23 juin 1940. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Dans le cadre de la réorganisation administrative opérée par Vichy le 19 avril 1941, Poitiers devient la capitale de la «région de Poitiers», qui comprend les départements de la Vienne, la Vendée, les Deux-Sèvres, la Charente et la Charente Maritime.
Georges Fouret fait partie de l’association sportive « La Joyeuse », créée à la fin de l’année 1940, «où se retrouvaient une bonne partie de ceux qui restaient attachés à la République et hostiles aux occupants ainsi qu’au gouvernement de Vichy»(1). Elle va servir de « couverture » aux activités de la Résistance. Il est l’organisateur des premiers groupes de résistance «sur la région de Loudun-St Clair-Monts sur Guesnes». «Il abrite et fait passer en zone libre les communistes recherchés par les Allemands» (3).
Georges Fouret est arrêté le 23 juin 1941 dans sa commune, par des policiers français et des soldats allemands. Il est interné au camp allemand de Poitiers-La Chauvinerie, puis transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstallag 122) le 11 juillet 1941. Maurice Rideau le décrit comme « intelligent et serviable ».
Son arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin,jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom «d’Aktion Theoderich».
Lire dans le site l’article « L’Aktion Theoderich dans la Vienne », sur l’arrestation des 33 militants communistes et syndicalistes de la Vienne. Liste et récits des internements à Poitiers et à Compiègne.
Dans une lettre envoyée clandestinement à sa femme le 20 septembre 1941, Georges Fouret lui demande : « …Si vous pouvez (…) envoyer un colis agricole à la femme d’un de mes amis d’ici (…) madame Cronier René à Neuilly-Plaisance : fayots, patates, carottes, navets. Vous joindrez la facture au colis, au minimum bien entendu. Cet ami m’a rendu de réels services ». Il s’agit de René Cronier, qui va être lui aussi déporté à Auschwitz.
A Compiègne, un de ses camarades de la Vienne, Alfred Quinqueneau, qui sera déporté à Buchenwald, fait son portrait (il signe Alqui)..
Depuis le camp de Compiègne, Georges Fouret est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Georges Fouret meurt à Auschwitz le 25 août 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 301). Sa fiche d’état civil établie en France à la Libération porte néanmoins «décédé en novembre 1942 à Auschwitz (Pologne)». Il est regrettable que le ministère n’ait pas corrigé cette date, à l’occasion de l’inscription de la mention « mort en déportation » sur son acte de décès (JO du 19 juin 2009), ceci étant rendu possible depuis la parution de l’ouvrage publié par les historiens du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.
Une plaque au Monument aux Morts rappelle sa mémoire et celle d’autres martyrs. Inaugurée le 17 septembre 1944, l’allocution a été prononcée par Edmond Proust, ancien interné.
Une stèle à la mémoire de Georges Fouret a été édifiée au cimetière de Saint-Clair. Le 8 mai 1975, la « Place du Monument aux Morts et aux Résistants« , est inaugurée à Saint-Clair en présence de Raymond Jamain pour la FNDIRP départementale (la FNDIRP de Saint-Clair avait souhaité que cette place fut baptisée «place de la Résistance» eu égard au lourd tribut payé par la Résistance à Saint-Clair : 3 fusillés à Biard, six déportés, cinq internés. Plus de vingt orphelins !).
Son épouse est décédée à Saint-Clair le 2 février 1971.
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- «La Résistance dans la Vienne», récit du groupe FTPF de Saint Clair, par Michel Sapin, fils de fusillé, Saint Clair, 1987, p 3, 8, 9, 36, 41, 42 (Photos).
- Suite à un arrêté de février 1940 du Conseil de préfecture du département de la Vienne et en application de la loi du 20 janvier 1939, tout élu communiste est «de plein droit» déchu de son mandat électif s’il n’en n’a pas démissionné ou s’il n’a pas dénoncé publiquement – avant le 26 octobre 1939 – son adhésion au Parti communiste et toute participation aux activités interdites par le décret du 26 septembre 1939, portant dissolution des organisations communistes.
- Roger Picard, La Vienne dans la guerre 1939/1945 : la vie quotidienne sous l’Occupation, Lyon : Horvath, 1993. p 169.
- Recherches de Raymond Jamain, de l’ADIRP de la Vienne, arrêté le 23 juin 1941 à Nantes, déporté à Sachsenhausen, (lettres de 1972 et 1989).
- Témoignages de Maurice Rideau, « 46.056 », qui a entretenu une volumineuse correspondance avec Roger Arnould entre 1972 et 1973 au début de ses recherches.
- Recherches de Michel Bloch. Historien, professeur honoraire à l’université de Poitiers. Ancien chef de cabinet de François Billoux en 1945-1946. A la demande de Roger Arnould, il a effectué des recherches en 1972/1973 auprès des militants communistes survivants.
- Lettre d’Emile Lecointre (23 février 1989) : souvenirs concernant 15 de ses camarades arrêtés avec lui le 23 juin 1941.
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997.Tome 28, page 171.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Sitewww.mortsdanslescamps.com
- © Registres matricules militaires de la Vienne.
- © Memorial Genweb. Jérôme Moreau
- Extrait de« Avec le 409 èmeRI – histoire vécue des poilus du 409 ème» Maurice Brillaud, in le blog du 409ème.
- Dessin d’Alqui, sur le Site « Vienne Résistance Internements Déportation » (http://www.vrid-memorial.com/), lire les nombreux articles consacrés à cette répression à l’encontre des résistants et maquis de la Vienne jusqu’à fin août 1944.
Notice biographique rédigée à l’occasion de l’exposition organisée en octobre 2001 par l’AFMD de la Vienne à Châtellerault, complétée en 2011 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce siteg) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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