« Matricule « 45 912 » à Auschwitz Rescapé
André Montagne : né en 1922 à Boussois (Nord) ; domicilié à Caen (Calvados) ; postier, électricien ; membre des Jeunesses communistes ; arrêté en février 1941 ; condamné à 8 mois de prison ; arrêté le 1er mai 1942 comme otage communiste ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Mauthausen, Gusen, Gusen II, décédé le 12 mai 2017.
André, René, Montagne est né au 7, Cour Brousmiche, le 17 septembre 1922 à Boussois (Nord). Il habite chez ses parents, 13, place de l’Ancienne Comédie à Caen (Calvados) au moment de son arrestation.
Il a une sœur cadette, Marthe, Marie, née en 1923 à Boussois.Il est le fils de Rosa, Mathilde, Ghislaine Debaer, née en 1899 à Mornimont (Jemeppe-Sur-Sambre, Namur, Wallonie, Belgique). Elle est décédée à Caen à l’âge de 99 ans. André Montagne allait la voir chaque mois depuis Paris. Son père, Marcel, Léopold, Auguste Montagne, est né le 29 mai 1897 à Ranville (Calvados), domestique de ferme, puis électricien.
La famille habite Boussois (Nord) en 1920. Puis en 1927, ils ont déménagé à Rousies, banlieue de Maubeuge (Nord).
En 1929, ils sont venus s’installer à Giberville, Cité 75 de la la Société métallurgique de Normandie, à Giberville.
En 1936, ils habitent au 2, rue des Marguerites à Giberville, un pavillon des cités de la SMN.
Son père est un des responsables syndicaux CGT de l’usine (comme trésorier) à la Société métallurgique de Normandie, à Mondeville.
Il en est licencié et doit quitter avec sa famille le logement SMN de la cité de Giberville (les cités du Plateau), à la suite de la grève du 30 novembre 1938 contre l’abrogation de la loi sur la semaine de 40 heures.
La famille Montagne vient habiter Caen, au 13, place de l’Ancienne Comédie. André Montagne se souvient qu’à l’école primaire de la SMN, il a eu pour institutrice l’épouse du docteur Pecker (déporté et mort à Auschwitz en 1942), puis à l’École primaire supérieure Gambetta, rue de Bayeux à Caen, de 1935 à 1939, il a eu Emmanuel Desbiot (Déporté et mort à Auschwitz en 1942), comme professeur d’anglais.
André Montagne, à l’issue de ses études (1), travaille comme postier auxiliaire, à Caen-Gare, entre le 13 septembre 1939 et le 10 juillet 1940, puis comme électricien avec son père, devenu artisan après son licenciement.
En accompagnant celui-ci au Syndicat des métaux, il fait la connaissance d’Eugène Cardin, secrétaire du syndicat CGT pour la région de Caen.
Il adhère aux Jeunesses communistes. A la déclaration de guerre, son père est mobilisé comme « affecté spécial » électricien à l’atelier de fabrication de Caen le 11 décembre 1939… et Radié de « l’AS » le même jour. Il est sans doute mobilisé aux armées, puisqu’il est titulaire de la Médaille interalliée en 1962. André Montage, est non mobilisable (classe 1942), et malgré l’interdiction des organisations communistes le 26 septembre 1939, il poursuit ses activités militantes dans la clandestinité.
Le 14 juin 1940, l’armée allemande d’occupation entre dans Paris, vidé des deux tiers de sa population. La ville cesse alors d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 18 juin 1940, les troupes allemandes arrivant de Falaise occupent la ville de Caen, et toute la BasseNormandie le 19 juin. L’armée allemande occupe Caen le mardi 20 juin 1940. La Feldkommandantur 723 s’installe à l’hôtel Malherbe, place Foch. En août, 8 divisions d’infanterie allemande – qu’il faut nourrir et loger – cantonnent dans la région.
Le 28 janvier 1941, il est arrêté à son domicile, par la police de Caen. « A mon retour au domicile de mes parents, à 20h30, trois policiers m’attendaient et m’ont emmené au Commissariat« .
Inculpé, avec sept de ses camarades dont Joseph Besnier et Raymond Guillard qui seront déportés à Auschwitz avec lui) pour «reconstitution de ligue dissoute, propagation des mots d’ordre de la IIIe Internationale, détention de tracts et collage de papillons». Il est détenu avec ses sept camarades en attente de leur procès. La presse locale fait ses choux gras de leur arrestation. *
Sous le titre : « Des militants communistes à l’ombre », Ouest-Eclair du 2 février 1941 écrit : La semaine dernière, un
communiqué officiel apprenait que des tracts communistes avaient été collés en divers endroits de Caen. Deux employés des P. T. T. ayant participé à ce Travail, avaient été licenciés. Pour terminer ce communiqué, on laissait prévoir que ces deux individus auraient à répondre devant la Justice du délit de propagande communiste qui leur est reproché. En effet, ils viennent d’être arrêtés et en compagnie, d’ailleurs, de six autres personnes. Les huit inculpés sont : Marcel Ducrot, 26 ans, employé des P. T. T., rue du Moulin ; Pierre Chardinne, 21 ans, manipulant-auxiliaire des P. T. T., habitant chez ses parents, rue de l’Oratoire ; André Montagne, 18 ans, aide-électricien, place de l’Ancienne-Comédie ; Serge Greffet, 18 ans, étudiant, rue Neuve-Saint-Jean ; Pierre Rouxel, 19 ans, étudiant, rue Grasse ; Raymond Guillard, 24 ans, comptable, rue de Falaise ; Joseph Besnier, 20 ans, ouvrier cordonnier, à Mondeville, rue Brière : Roger Bastion, 21 ans, forgeron, rue d’Auge. Bien entendu, ce ne fut qu’à la suite d’une longue et délicate enquête, dirigée par M. Charroy,
commissaire central, que ces résultats purent être acquis. Dès le collage des tracts, la police enquêta. Le fait qui lui avait été signalé l’amena à Interroger Ducrot et à perquisitionner chez lui. On ne trouva rien, mais les policiers réussirent à lui faire reconnaitre qu’il avait eu en dépôt des tracts communistes. Et ses aveux amenèrent la découverte et l’arrestation de tous les coupables. Ils reconnaissent tous, – à part Bastion qui, d’ailleurs, veut partager la responsabilité des faits – avoir trempé plus ou moins dans cette
regrettable affaire. Chez Montagne, on découvrit cinquante et un tracts. Les cent cinquante qui faisaient partie du paquet avaient été distribués aux trois colleurs : Rouxel Louis, Besnier, Guillard. C’est Rouxel qui, sur demande de Greffet, convoquait les deux autres. Munis de leurs papiers à coller, ils s’étaient partagé les différents quartiers de la ville. A la suite de leurs aveux, ces huit individus ont été écroués.
Le 14 mars, André Montagne est condamné à 8 mois de prison qu’il effectue à la Maison d’arrêt de Lisieux (Calvados). Son nom et ceux de ses sept camarades, sont mentionnés dans l’article de l’Ouest-Eclair du 30 janvier 1941.
Il en est libéré le 31 juillet de la même année. Mais désormais il figure dans les fichiers de la Préfecture, qui utilisera cette condamnation lorsque les autorités allemandes s’adresseront à elle pour connaître le nom des « communistes actifs depuis l’Armistice » afin de dresser des listes d’otages à fusiller ou à déporter.
A la suite des sabotages par la Résistance – les 16 et 30 avril 1942 – de trains militaires allemands, des dizaines d’arrestations sont effectuées à la demande de l’administration militaire allemande (3). (Lire l’article du Blog : » le double déraillement de Moult-Argences et les otages du Calvados »).
Le premier mai 1942, André Montagne est arrêté à son domicile.
« le 1er mai 1942, à 23h, plusieurs policiers français, accompagnés de feldgendarmes allemands m’ont arrêté au domicile de mes parents et m’ont emmené au commissariat central de Caen ».
Emmené au commissariat de la rue Aubert, il y retrouve des militants qu’il connaît : des «JC» (Joseph Besnier et Raymond Guillard), des cégétistes (Eugène Cardin, René Blin, François Stéphan). Ils sont emmenés de nuit à la Maison centrale de la Maladrerie de Caen, entassés au sous-sol dans des cellules exiguës. André Montagne est conduit avec un autre détenu, à la Maison d’arrêt de la ville, située à proximité de la Maison centrale.
Son arrestation a été relatée dans « Résistance et sabotages en Normandie » par Jean Quellien, ancien professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Caen, ancien directeur de l’UFR d’Histoire à l’Université de Caen, p. 60 et 61.
Cet ouvrage a été préfacé par André Montagne, ce qui garantit l’authenticité du récit le concernant.
« Onze heures, une petite troupe d’hommes pied s’arrête devant le n° 13 de la Place de I‘ Ancienne-Comédie. Quelques agents de ville accompagnés d’un inspecteur et d’un gigantesque Feldgendarme gravissent rapidement l’escalier jusqu’au second et frappent rudement a une porte. Un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années leur ouvre. Il venait à peine de se coucher. Son regard se porte immédiatement sur l’Allemand, impressionnant avec son casque, sa plaque d’acier autour du cou et sa mitraillette. – André Montagne ? – Oui. – Il faut nous suivre ! – pour aller où ? – Vous le verrez bien ! Les parents surgissent, affolés, interrogent les policiers, tentent de discuter. En vain. Le groupe redescend. Le père d’André le suit, pieds nus, jusque dans la rue où les policiers le repoussent sans ménagement vers l’intérieur de |’immeuble. André Montagne a immédiatement compris ce qui lui arrivait. Militant des Jeunesses communistes, il avait déjà été arrêté en janvier 1941 et subi une peine de plusieurs mois de prison. Son nom n’a pas dû être bien difficile à retrouver dans les fichiers de la police. Avec ces déraillements, le sort qui l’attend cette fois n’est que trop évident ! Il sera certainement fusillé à l’aube. Comme il songe au gros bouquet de lilas qu’il a offert à sa mère en cette journée du 1er mai – sa mère qu’il ne reverra sans doute jamais »…
A la demande des autorités allemandes, André Montagne et ses co-détenus sont conduits en autocars le 3 mai au «Petit lycée» (4) où sont regroupés les otages du Calvados. On leur annonce qu’ils seront fusillés. Par la suite, un sous-officier allemand apprend aux détenus qu’ils ne seront pas fusillés mais déportés.
Après interrogatoire, ils sont transportés le 4 mai 1942 en cars et camions à la gare de marchandises de Caen. Depuis le wagon à bestiaux où les Allemands l’ont fait monter, André Montagne peut apercevoir son père, venu à bicyclette, qui est repoussé par un soldat allemand.
Le train démarre vers 22 h 30 pour le camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), où il arrive le lendemain soir en vue de sa déportation comme otage.
A Compiègne, André Montagne se souvient plus particulièrement de Marcel Nonnet, un cheminot de Bretteville-sur-Dives, qu’il perdra de vue à Birkenau.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, voir les deux articles du site : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages
Depuis Compiègne, André Montagne est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau
André Montagne est immatriculé sous le numéro matricule « 45 912 » qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS. Il sera désormais sa seule identité. Lire dans le blog le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a été pas retrouvée parmi les 522 photos que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient enterrées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. Lire dans le blog le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi). Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Au moment de l’interrogatoire d’identité, à Auschwitz, il se déclare électricien. Dans le magasin d’accessoires électriques tenu par son père, il avait acquis des notions suffisantes pour réussir le test – une épissure – qu’on lui fera subir). C’est, selon lui, grâce à cet essai qu’il doit de ne pas être resté à Birkenau où la mortalité est plus élevée.
Il est affecté au kommando «Elektriker», avec Maurice Le Gal et Jean-Antoine Cortichiatto au Block 22 A. André Montagne se souvient d’avoir installé fin août à Birkenau, avec Maurice Le Gal, une ligne électrique destinée à alimenter le chantier de construction d’un nouveau bâtiment (il s’agissait du Krematorium III).
André Montagne tombe malade le 22 décembre 1942. Atteint d’une double broncho-pneumonie, il entre au Revier (« l’hôpital » du camp). Mais les médicaments sont rares et les médecins SS désignent, lors de “sélections” régulières, les plus malades pour être tués par piqûres de phénol dans le cœur, ou par asphyxie dans les chambres à gaz du centre de mise à mort de Birkenau.
Dans cette «antichambre de la Mort», André Montagne reçoit des médicaments de dirigeants de l’un des groupes de la Résistance intérieure du camp, le «Comité international», créé par des communistes autrichiens et allemands.
A chaque « sélection » André Montagne est caché dans la cave du bâtiment, qui sert de morgue. Finalement, conduit au Block 20, il guérit de ses problèmes pulmonaires.
Mais, à la mi-janvier, il contracte le typhus avec une très forte fièvre qui dure entre dix et quinze jours. Une fois guéri, en mars 1943, il devient infirmier au Block 20 grâce à l’influence de Hermann Langbein, secrétaire du médecin chef de la garnison SS, et l’un des dirigeants du Comité international de Résistance. Son contact est Franz Danimann (lire La Résistance dans les camps nazis et voir le récit sur la Résistance du groupe Français au sein du Kampfgrüpe dans le chapitre 7 de «Triangles rouges à Auschwitz»).
Il a pour mission de prendre soin des malades, en particulier de ceux qui parlent français, et de tenter de les soustraire aux «sélections». Plusieurs « 45000 » atteints de tuberculose passent par le Block où il est affecté.
Le 15 mars il assiste, impuissant, à la mort d’Adolphe Vasnier, un métallo caennais. Il prend en charge plusieurs Français qui mourront plus tard dans ce Block malgré ses efforts, mais qu’il aura accompagnés jusqu’à leurs derniers moments.
En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments.
Lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français
Lorsque André Montagne peut écrire chez lui (en juillet 1943), sa première lettre arrive à ses parents le 19 juillet 1943 et soulève une grande émotion à Caen parmi les familles d’otages déportés, qui se connaissent.
Il quitte son kommando au début de septembre 1943 pour le Block 11, pour une mise en quarantaine des détenus politiques français qui ne profite pas aux plus malades qui restent à l’infirmerie : Robert Blais d’Ivry y meurt le 16 septembre 1943, Marius Vallée de Sotteville le 26, Raymond Balestreri de Mercy-le-Bas le 26 octobre 1943 et Raymond Langlois de Noisy-le-sec le 11 novembre 1943.
Début septembre 1943, il est placé en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants qui y ont été placés depuis le 14 août.
Lire l’article du site « les 45000 au block 11.
Il y « fait équipe » avec Giobbe Pasini, Albert Morel et Antoine Vanin (tous trois rescapés) pour partager leurs colis venus de France.
Le 12 décembre 1943, André Montagne retourne au Kommando « Elektriker« . De nouveau atteint aux poumons, il se retrouve à l’infirmerie où il passe l’hiver. En mars 1944, il est affecté au Kommando «Paquets» («PacketStelle») qui réceptionne et distribue les colis destinés aux détenus.
Cette affectation, obtenue grâce au «Comité international de Résistance», lui permet de distribuer clandestinement les colis des morts (contenant médicaments et nourriture).
Il reste jusqu’à la fin août 1944 au Kommando «PacketStelle».
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45 000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest - Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45 000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45 000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945. Lire dans le site : "les itinéraires suivis par les survivants".
Grâce à une piqûre faite par Franz Danimann qui lui déclenche une forte fièvre, André Montagne est écarté des listes des transférés. Il est admis au Revier, où il assiste le poète Benjamin Fondane. Lire dans le site La « sélection » pour la chambre à gaz du poète Benjamin Fondane.
Entre octobre 1944 et l’évacuation du camp d’Auschwitz, le 18 janvier 1945, André Montagne est Blockchreiber au block 7A. Il est chargé d’y dresser, et de mettre à jour, la liste des détenus. Cette nomination favorisée par la Résistance est confirmée par Georges Guinchan qui partage avec lui cette fonction au rez-de-chaussée.
« Un bâtiment occupé presque entièrement par des Reichsdeutsch, c’est-à-dire des Allemands du Reich. Le départ massif de Polonais avait vidé le camp de la plupart des détenus chevronnés parlant allemand. Des Juifs qui connaissaient cette langue ont été choisis comme secrétaires de Block. Mais les SS excluaient de recourir à eux pour les blocks peuplés d’Allemands. C’est pourquoi ils ont fait appel à nous ». L‘évasion des membres de la direction du Kampfgruppe, est programmée, le 27 octobre 1944 (il s’agit de rejoindre la Résistance polonaise extérieure au camp). Cinq hommes y prennent part : Ernst Burger et Zbysczek Raynoch, qui devaient déjà partir en août, ainsi que trois membres polonais du mouvement de résistance, Bernard Swiercynna, Czeslaw Duzel et Piotr Piaty.
Mais à la suite de la trahison d’un des SS qui avait accepté de participer à l’opération, la Gestapo les arrête et incarcère avec eux deux autres dirigeants du Kampfgruppe : Rudolf Friemel et Ludwig Vesely.
André Montagne témoigne : « Les cinq camarades subirent des tortures terribles, mais il ne fut pas possible d’obtenir d’eux le moindre renseignement. Après un premier interrogatoire, ils furent enfermés au Bunker du trop célèbre block 11. Nos camarades (…) tentèrent de s’empoisonner (…). Tout fut mis en oeuvre pour les ramener à la vie, la Gestapo voulait à tout prix savoir, mais nos camarades restèrent fermes et courageux. Le dossier fut envoyé à Berlin et le verdict fut impitoyable : la pendaison publique dans le camp fut décidée.Aussi le 27 décembre, en rentrant au camp, nous avons pu constater qu’un portique était dressé en vue de la sentence finale. L’exécution n’eut pas lieu ce jour-là. (…) Le 30 décembre, l’exécution eut lieu devant les prisonniers, sur la place d’appel, face aux cuisines. (…). Ils furent alignés devant leurs cordes respectives, puis écoutèrent stoïquement l’acte d’accusation qui avait pour motif : « tentative d’évasion et organisation d’un complot dirigé contre la sécurité du camp d’Auschwitz… » (5). J‘étais aux premiers rangs des détenus, car le commandant du camp avait ordonné que les Reichsdeutsch fussent placés devant les potences.
Ce fut un des moments les plus douloureux de ma déportation. Je connaissais personnellement certains de ces condamnés. Il suffisait de voir le visage franc et ouvert d’Ernst Burger pour voir qu’il était quelqu’un de bien. Ils firent preuve d’un courage impressionnant. Les Autrichiens crièrent des mots d’ordre où ils affirmaient, une dernière fois, leur hostilité au nazisme, leur confiance dans l’Armée Rouge et leur foi dans la liberté. Les Polonais reprirent une phrase de l’hymne national polonais. Le soir de l’exécution tous les camarades rentrèrent dans leurs Blocks respectifs, dans un silence impressionnant. Jamais les allées du camp ne furent aussi désertes. « Ainsi décapitée– écrit Hermann Langbein –la Résistance ne put jouer de rôle décisif dans la phase finale de l’histoire d’Auschwitz ».
Cet épisode douloureux, André Montagne l’avait également évoqué pour le Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah :
« De septembre 1944 au mois de janvier 1945, il est Blockschreiber au Block 7A effektenkammer et responsable du Block 7. Il est témoin de pendaisons.
« En décembre 1944 après l’appel du soir, cinq dirigeants de l’organisation de résistance du camp sont pendus : trois Autrichiens et deux Polonais. Ce soir-là, les SS exigent que les Allemands soient présents au premier rang devant la potence.
Le chef de Block est malade. C’est moi qui commande pour amener en rang devant la potence les 150 – 200 occupants de mon Block. Les camarades meurent courageusement avant qu’on ne leur passe la corde autour du cou : « A bas Hitler », « A bas le fascisme ». Les Polonais crient : « Pologne pas morte », « Vive la Pologne « . C’est un moment bouleversant et inoubliable. J’y repense tous les 30 décembre avec une grande émotion. »
Le soir du 18 janvier 1945, dans la nuit, André Montagne fait partie – avec Georges Guinchan et 18 autres «45 000» – d’une colonne de 2500 détenus évacués d’Auschwitz-I (3 jours à pied dans une de ces terribles « marches de la mort« , traversant le Sud de la Silésie jusqu’à Wodislaw) vers Mauthausen.
Puis, le 22 janvier, les survivants continuent en train, sous la neige, dans dix wagons découverts.
Lire l’article sur les itinéraires suivis par les survivants.
Traversant la Tchécoslovaquie, ils sont dirigés sur le camp de Mauthausen, où ils arrivent le 25 janvier 1945.
André Montagne y reçoit le matricule « 118 108 ».
Il est transféré successivement vers plusieurs camps annexes avec trois autres «45 000» (Georges Autret, Emile Bouchacourt et Clément Pellerin) : le 29 janvier André Montagne est transféré à Melk, puis à Gusen 1 le 1ermars et Gusen 2 en avril, où il travaille dans une usine souterraine où les déportés épuisés produisent des carlingues d’avions Messerschmitt Me 262 Schwalbe, le premier avion à réaction de l’histoire : « un enfer » se souvient il.
L’armée américaine les libère le 5 mai 1945. Après un trajet de 400 km en camions de l’armée Leclerc à travers la Bavière, un wagon de marchandises, puis un train de voyageurs ramènent André Montagne à l’Hôtel Lutétia à Paris, via le centre de rapatriement de Longuyon.
Il retrouve ses parents dans l’Orne (ils ont été évacués à Flers après les bombardements alliés sur l’agglomération de Caen à partir du 6 juin 1944).
Il est l’un des huit rescapés du Calvados sur 80 déportés et informe les familles Colin, Nonnet et Pecker de la mort de leurs proches.
«Le Comité de libération de Bayeux le sollicite également, le 18 juillet 1945, pour connaître le sort d’Assier, Bigot, Cadet, Duchemin, Lacroix, Lecarpentier et Morin » (Jean Quellien -1992).
Le 26 avril 1946 «Les Lettres Françaises» publient son article «La mort de Benjamin Fondane».
Il reste dans l’Orne, où il reprend des activités militantes, et devient secrétaire à la propagande ou à l’organisation de la Fédération du Parti communiste de l’Orne.
Il allait être embauché comme ouvrier d’usine à Flers, quand il regagne Caen en septembre (ou octobre) 1946 où ses parents se sont réinstallés.
Au début des années 1950, André Montagne est homologué comme «Déporté politique» puis, par la suite comme «Déporté Résistant».
En octobre 1946, André Montagne part à Paris où il trouve du travail à l’association «France-URSS» où il s’occupe du cinéma. Mais il doit quitter sa place en novembre, car il a quitté la Normandie et ses responsabilités fédérales sans l’aval du Parti communiste, André Marty ayant qualifié son attitude « d’abandon de poste ».
Il épouse Germaine Briand le 3 février 1958 à Paris 5°. Il devient le secrétaire de Pierre Béteille, financier touche-à-tout, acteur, imprésario d’Orson Welses et de Georges Moustaki, directeur du théâtre Edouard VIl (de 1944 à 1951), président du PUC (Paris université club), investisseur dans l’aménagement de la station de sports d’hiver de Châtel (Val d’Abondance).
André Montagne entre ensuite aux éditions Hachette où il travaille avec Pauline, Marie, Pia, Allez, son grand amour, qu’il épouse le 5 janvier 1979 à Paris 16°.
Il a en charge la collection des « Guides bleus », puis de celle de « Hachette littérature ». Il termine sa carrière comme contrôleur de gestion.
Dès lors, il multiplie ses activités au service de la Mémoire de la déportation concernant Auschwitz.
Il est le Secrétaire général-adjoint de l’Amicale d’Auschwitz (France) durant les années 1980.
Il est également vice-président du Comité International d’Auschwitz entre 1984 et 1993.
Afin de faire connaître l’histoire singulière de son convoi, il rédige un article que publie le quotidien “Le Monde”, le 20 juin 1975.
Il est à l‘initiative avec David Badache, de l’installation à Caen, en 1982 d’une plaque rendant hommage aux otages caennais et calvadosiens arrêtés en mai1942.
Il s’est effeorcé d’écrire ce dont il se souvenait au sujet de ses camarades de déportation caennais , afin que leur mémoire perdure : Les Caennais, témoignage d’André Montagne
En 2008, une nouvelle plaque est inaugurée.
André Montagne fait partie des quatre "45 000" qui créent au cours des années 1970, un petit comité chargé de maintenir la liaison entre les rescapés et les familles des 45000 disparus, d'organiser des commémorations et des visites des camps d'Auschwitz et de Birkenau. Ses compagnons sont Fernand Devaux, Lucien Ducastel et Roger Abada, qui sera remplacé après sa mort en 1987 par Georges Dudal. Cette organisation est à l'origine de la création de l'association « Mémoire Vive des convois des 45000 et des 31000 d'Auschwitz-Birkenau» en 1996.
André Montagne est de tous les rescapés du convoi celui qui a le plus soutenu Roger Arnould quand il projette en 1970 d’écrire l’histoire du convoi des 45000.
Au milieu des années 1980, il s’emploie avec Marie-Elisa Cohen à rechercher un(e) historien(ne) capable de prendre sa relève et de faire paraître un ouvrage d’un niveau universitaire.
Et c’est sur les conseils de Germaine Willard, qu’il prend contact avec moi.
Il m’accompagne dans les centres d’archives, me met en contact avec Hermann Langbein, et me soutient moralement de sa chaleureuse amitié.
Avec ses trois camarades «45 000» (Georges Dudal, Fernand Devaux, Lucien Ducastel), il passe de nombreuses séances de travail pour m’aider à comprendre, évaluer, trier les divers témoignages que j’ai recueilli.
André Montagne est homologué Résistant au titre des Déportés et Internés résistants (DIR), comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). C.f. service historique de la Défense, Vincennes GR 16 P 427122
Il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 7 janvier 2004 par Gisèle Guillemot, née à Mondeville (Calvados) où travaillaient ses parents à la SMN, déportée-résistante, en présence de nombreux amis, de la veuve de Georges Dudal, de Lucien Ducastel et de Fernand Devaux, ses camarades rescapés d’Auschwitz.
Pour avoir travaillé comme postier auxiliaire, à Caen- Gare, entre le 13 septembre 1939 et le 10 juillet 1940, André Montagne participe à l’édition du livre « Caen-Gare, histoire d’un centre de tri » d’Yves Lecouturier.
André Montagne est décédé après une longue maladie, le 12 mai 2017 au matin, dans son sommeil.
Un article lui a été consacré le surlendemain dans la presse caennaise (Ouest-France), dans l’Humanité du 17 mai et un hommage solennel lui a été rendu au cimetière du Père Lachaise, lors de ses obsèques le 17 mai 2017.
Le cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah lui a consacré une longue biographie : https://www.cercleshoah.org/spip.php?article608
André Montagne avait souhaité que je sois celle qui « parlerait de lui » lors de ses obsèques : on peut lire dans le site cet hommage, prononcé en présence de son épouse, Pauline : Hommage à André Montagne.
Ont ensuite, tour à tour, pris la parole : Serge Frydman, co-créateur du « Comité Pour la Mémoire d’Auschwitz » (CPMA), Yves Jégouzo président de l’Association « Mémoire vive des convois des 45000 et des 31000 » et Raphaël Ezraï, président de l’« Union des déportés d’Auschwitz » (UDA).
Dans l’assistance se trouvaient son camarade de déportation Fernand Devaux, âgé de 95 ans, désormais l’avant-dernier survivant du convoi du 6 juillet 1942 (Fernand est décédé le 31 mai 2018), Yvette et Claudine Ducastel (veuve et fille de Lucien Ducastel), des enfants et petits enfants de « 45 000 » et de « 31 000 », Pauline Montagne et sa famille et la fille adoptive d’André, Claude Spaperi.
Claudine Cardon-Hamet
- Note 1. Dans ses souvenirs d’enfance rapportés dans De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, André Montagne se souvient qu’à l’école primaire de la SMN, il a eu pour institutrice l’épouse du docteur Pecker (déporté et mort à Auschwitz en 1942), puis à l’École primaire supérieure Gambetta, rue de Bayeux à Caen, de 1935 à 1939, il a eu Emmanuel Desbiot (Déporté et mort à Auschwitz en 1942), comme professeur d’anglais.
- Les Caennais, témoignage d’André Montagne
- Note 2. Hitler ordonne que 28 otages soient immédiatement fusillés, puis 28 autres chaque jour jusqu’à l’arrestation des coupables. Il exige également la déportation de 1000 communistes.
- Note 3. Eugène Garnier, « Organisation de la Résistance, Août 44-27 janvier 45« , p. 179.
Sources
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- Entretiens avec André Montagne et citations, extraites de mes ouvrages.
- Articles d’André Montagne dans Les Lettres Françaises et dans le quotidien Le Monde.
- Le Monde du 25 juin 1975 : collection Georges Guinchan.
- Entretiens d’André Montagne avec François Legros, professeur au collège d’Evrecy in site © Beaucoudray)
- Photos : collection André et Pauline Montagne.
- Photo de la remise de sa légion d’honneur à Paris et photo avec Pauline à Saint-Malo et au Minihic-sur-Rance à notre domicile © Pierre Cardon.
- André Montagne en Bretagne en 2007, photo © Pauline Montagne.
- La photo noir et blanc ci-dessus a été prise par © Pauline Montagne.
- « Documents Mauthausen et Gusen in « International Center on Nazi Persecution, Bad Arolsen Deutschland
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (complétée en 2018, 2021 et 2024), pour l’exposition organisée par des enseignants et élèves du collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com