Géraud Tardieu : né en 1905 à Paris 14è ; domicilié à Montrouge (Seine) ; boulanger puis clicheur ; syndicaliste et communiste ; arrêté le 6 mai 1941 ; condamné à 8 mois de prison : écroué à la Santé, Fresnes, maison d'arrêt de Clairvaux ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 27 octobre 1942.
Géraud (1) Tardieu est né le 10 février 1905 à Paris 14è au domicile de ses parents au 34, rue Pierre Larousse.
Il habite au 23, rue Roger Salengro à Montrouge (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Inès, Bonnafous, 36 ans, couturière et de Jean, Marie, Joachim Tardieu, 45 ans, boulanger son époux.
Sportif, il pratique le cyclisme et est affilié à l’USF ((Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), fédération sportive française omnisports). Il participe notamment – en compagnie des trois frères Péllissier – au circuit de Paris en 1921 (seniors et juniors). Le Circuit de Paris était une course cycliste d’un jour comprenant amateurs et professionnels disputée de 1919 à 1945, qui se déroulait chaque jeudi de l’Ascension sur le parcours Suresnes-Paris ou Versailles-Paris.
Le 10 mai 1925, il est appelé au service militaire, incorporé au 61è régiment d’artillerie de campagne hippomobile. Il est « réformé temporaire n° 2 » et renvoyé dans ses foyers. En 1926, il est classé “service auxiliaire”, puis rappelé à la 22è section de COA (section de commis et ouvriers d’administration), puis à nouveau réformé temporaire.
En 1926, il travaille comme boulanger et habite au sentier du Val Robert à Fontenay-aux-Roses, où il s’inscrit sur les listes électorales de la commune. En mai 1928, il est réformé définitif.
Géraud Tardieu est embauché le 3 janvier 1937, comme ouvrier imprimeur (clicheur), à l’imprimerie du Journal Officiel, 33 Quai Voltaire à Paris.
Il est membre du Parti communiste depuis 1936, et du Syndicat du Livre parisien CGT.
Il fait partie d’une délégation syndicale qui se rend en URSS en 1936.
Le 16 janvier 1940, la commission de réforme de la Seine le classe « bon service armé » en raison de son « bon état général ».
On ignore s’il est vraiment incorporé.
Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Avant guerre Géraud Tardieu est surveillé par la police, en tant que militant communiste. Il a donc fait l’objet de fiches policières comme cela a été le cas dans la plupart des communes de la Seine (lire à titre d’exemple dans le site : Le rôle de la police française (Rouen, Ivry et Vitry, BS1).
Ces données sont reprises à l’occupation par la Brigade spéciale des RG (BS1) et transmises à l’occupant.
Géraud Tardieu épouse Charlotte, Héloïse Pompon le 22 février 1941. Elle est née le 19 avril 1903 à Paris 14è. Divorcée, elle travaille comme coupeuse en chaussures.
Le 6 mai 1941, Géraud Tardieu est interpelé par des agents du commissariat de Montrouge, alors qu’il transportait du matériel de propagande. Il se débat vivement, mais les policiers saisissent vingt feuilles de L’Humanité clandestine intitulés « Vive le 1er mai », un numéro de La Vie Ouvrière et deux tracts intitulés « La vérité sur l’Union des Républiques socialistes soviétiques ». Le domicile familial est perquisitionné.
Y sont découverts plusieurs tracts, journaux et brochures (dix-huit exemplaires du numéro spécial de La Vie Ouvrière de mars 1941, huit tracts intitulés Pour le salut du peuple de France, une brochure Jeunesse de France, deux brochures Le parti communiste a 25 ans, un numéro des Cahiers du bolchévisme du 1er trimestre 1941, six brochures de l’Histoire du parti communiste de l’URSS, des brochures intitulées Révolution et contre-révolution au 20ème siècle, Vers la réalisation du communisme (cours n° 3). Il est arrêté ainsi que son épouse et mis à disposition du Procureur.
Sa veuve pense qu’ils ont été dénoncés. Un autre militant est déféré avec eux devant devant la 12è chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Géraud Tardieu est condamné à une peine de prison de 8 mois, son épouse à 4 mois avec sursis. Il est écroué à la Santé, puis à la prison de Fresnes. De Fresnes il est interné administrativement à la Maison centrale de Clairvaux (Aube).
A son arrivée à « l’arrêt Clairvaux » de la gare de Ville-sous-la-Ferté, il est transféré au camp dans un wagon cellulaire, escortés par des gardes mobiles (souvenirs de Pierre Kaldor et d’Henri Hannart).
Lire dans le site : La Maison centrale de Clairvaux
Le 13 février 1942, le Préfet de l’Aube reçoit des autorités d’occupation l’ordre le faire transférer avec quatre autres internés (Roger Le Bras, Frédéric Ginolin, René Paillole, Charles Véron) au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), en vue de sa déportation comme otage.
Ce transfert a lieu le 23 février.
A Compiègne, il reçoit le matricule n° 3634. Son épouse qui a obtenu plusieurs droits de visite, réussit à faire passer les messages d’autres internés à leurs familles, comme les lettres d’Angel Martin à sa mère.
Géraud Tardieu envoie une carte-lettre (officielle) à son épouse le 5 juillet 1942, la veille de leur départ. Le photostat est de très mauvaise qualité, mais en voici la transcription approximative. « Ma chérie, Nous partons demain 6 ou après demain pour une destination inconnue. Nous allons certainement travailler en Allemagne. Ma chérie je t’embrasse de tout mon cœur et sois sure de mon amour infini. Je n’ai malheureusement pas reçu le 1er colis de juillet. Embrasse bien mes parents. A toi ma vie ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Géraud Tardieu est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignore son numéro d’immatriculation à Auschwitz. Le numéro « 46 128 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Géraud Tardieu meurt à Auschwitz le 27 octobre 1942, d’après les registres du camp.
Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué le 20 octobre 1954 (carte N° 1 175 03 436).
Gérard Tardieu est homologué (GR 16 P 562077) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
Son nom est honoré sur une des stèles dans le hall de la Mairie de Montrouge – « Aux montrougiens morts pour la France 1939-1945 ».
- Note 1 : L’acte d’état civil précise bien la singularité du prénom (d’origine germanique) dans la marge.
Sources
- Photostat (presque illisible) datée de Compiègne le 5 juillet 42 « Nous partons demain 6 ».
- Lettre d’Alexis Le Bihan (26 mars 1973), ancien d’Oranienburg, qui communique avec sa veuve, Madame Tardieu
- Lettre de Roger Arnould à Madame Tardieu qu’il prénomme Monique (c’est peut-être son prénom d’usage).
- Photos d’avant-guerre à l’imprimerie du Journal Officiel, et lettre du 5 juillet 1942, transmises par sa veuve à José Martin, frère d’Angel Martin, que j’ai rencontré et enregistré sur cassette audio lors d’un pèlerinage à Auschwitz en mai 1987. Les tirages papier de ces photos ont été effectués par la FNDIRP. Roger Arnould me les a transmis.
- L’acte de décès porte le 15 décembre 1942 comme date de décès : dans l’ignorance des dates précises, les services français d’Etat Civil ou les ACVG (pour établir les pensions), ont souvent fixé des dates fictives dans les années qui ont suivi la guerre (1°, 15, 30, 31).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016, 2019 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com