Matricule « 45 675 » à Auschwitz
Jules Huon ; né en 1890 à Reims (Marne), où il habite au moment de son arrestation ; blanchisseur, livreur, commerçant sur les marchés en 1940 ; sympathisant communiste; arrêté en décembre 1940, condamné à 6 mois de prison; arrêté seconde fois le 26 février 1942; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il décède le 30 septembre 1942. Il a 52 ans.
Jules Huon est né le 20 janvier 1890 au domicile de ses parents 8, rue de Contrai à Reims.
Il habite au 11, rue du Fossé Briotin à Reims au moment de sa deuxième arrestation (le 26 février 1942).
Il est le fils de Françoise, Félicité Devise, 26 ans, tisseuse et de Paul Huon, 28 ans, tisseur, son époux, tous deux nés à Rethel (Ardennes).
Il a sept sœurs et frères (Léon, né en 1881 à Rethel, puis Narcisse Alexis, né en 1887 , Artémise, née en 1892, Henri, né en 1894, Léon, né en 1896, Clara, née en 1898, et Eugène, né en 1899, tous nés à Reims). Leur père décède à Reims le 27 novembre 1902.
En 1906, Jules Huon habite au 60, rue Sutaine à Reims avec sa mère et ses sept frères et sœurs. Il travaille dans une blanchisserie.
Leur mère s’est remariée avec Émile Alexandre Briot, et tous vivent en 1911 au 60, rue Sutaine, avec sa fille Amélie.
Jules Huon épouse Marie, Gabrielle, Gary le 15 avril 1911 à Reims. Elle est née à Saint-Denis (Seine / Seine-Saint-Denis) le 17 décembre 1891. Le couple a deux filles, qui naissent à Reims : Paulette, le 25 août 1910, et Renée, le 5 juin 1913.
Conscrit de la classe 1910, recensé cette même année Jules Huon effectue à partir d’octobre 1911 son service militaire au bout duquel il est renvoyé « dans ses foyers » à Reims au 132, rue de Courlancy en novembre 1913.
Le décret de mobilisation générale du 1er août 1914 le rappelle aux « armées ». Jules Huon est mobilisé au 332ème Régiment d’infanterie qui quitte Reims le 11 en direction de la Belgique. Embarqué pour le secteur de Verdun en 1916, le régiment combat au Fort de Vaux.
Blessé à deux reprises, Jules Huon sera titulaire de la Croix de guerre avec étoile de bronze, puis d’argent et de la Médaille militaire.
Il est cité l’ordre du régiment : « Brancardier courageux et dévoué. A évacué avec un beau mépris du danger des blessés sous de violents feux de mitrailleuses » (le 10 septembre 1918).
Il devient militant de l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).
Selon son registre militaire, après sa démobilisation il donne une adresse au 6, rue Bistour à Romans (Isère). En septembre 1920 il revient au 132, rue de Courlancy à Reims.
En 1921, il est livreur Au Planteur de Caïffa. En 1923, il est domicilié aux établissements Goulet-Turpin à Crugny (Marne). Fin novembre 1928, il est revenu à Reims et y habite route de Vitry. A partir de mars 1933 il habite au 17, rue du Chemin de Bétheny à Reims.
Lors de la déclaration de guerre, il semble avoir été rappelé sous les drapeaux : du 2 septembre 1939 au 1er novembre 1939 (dates inscrites sur son registre matricule militaire). Pourtant il a 49 ans et, conscrit de la classe 1910, il est père de deux enfants vivants et de ce fait ramené à la classe 1906 qui n’était pas mobilisable !
En 1940, l’évacuation de Reims est décrétée par les autorités militaires françaises le 19 mai devant l’avancée allemande. Le 11 juin 1940 des éléments de la 45è division d’infanterie allemande entrent à Reims. Le 14 juin, la Wehrmacht défile à Paris, sur les Champs-Élysées. Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 22 juin 1940, l’armistice est signé : la moitié nord de la France et toute la façade ouest sont occupées. Le pays est coupé en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée et celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Dès septembre 1940, le Préfet de la Marne, René Bousquet fait établir par commune, des listes de “communistes notoires” et effectue des enquêtes dans les entreprises. Ainsi, en décembre 1940, 200 militants sont identifiés et photographiés dans une trentaine de communes du département. Au lendemain de l’invasion de l’Union soviétique, il donne des instructions très précises pour la surveillance des « menées communistes ». En septembre 1941, avec l’institution de la « politique des otages », les autorités allemandes se font remettre les notices individuelles des communistes arrêtés et incarcérés par la police française.
Jules Huon exerce la profession de commerçant fruitier sur les marchés de Reims après guerre.
Sympathisant communiste, Jules Huon entre dans la Résistance sitôt de retour à Reims après l’armistice de 1940.
Jules Huon est arrêté une première fois en décembre 1940 après une distribution de tracts, probablement communistes.
Il est condamné par la justice française à six (ou huit) mois de prison, qu’il effectue à la Maison d’arrêt de Reims.
Libéré à l’expiration de sa peine, il est arrêté une seconde fois le 26 février 1942, à son domicile, par les Feldgendarmes, après – selon le journal l’Union -, une manifestation de ménagères « pour le pain », place de l’Hôtel de Ville, dont il a été soupçonné d’en être l’organisateur. Mais comme cette arrestation a lieu le même jour que celle de 17 autres marnais, arrêtés par la police allemande à Reims et à Châlons-sur-Marne au sein de la communauté juive et parmi les militants syndicaux et politiques, en représailles à la suite d’attentats commis contre les troupes d’occupation à Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines, on peut supposer que Jules Huon est arrêté pour les mêmes motifs.
Le 26 février 1942, la Feldgendarmerie arrête à Reims 18 militants syndicaux et politiques dont huit seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 » : Marcel Gauthier, Jules Huon, Guy Lecrux, René Manceau, Félix Reillon, Maurice Roussel, Henri Roy, Roland Soyeux, ainsi que des membres de la communauté juive.
Jules Huon est détenu à la prison Robespierre à Reims. Il est ensuite remis aux autorités allemandes à leur demande.
Celles-ci l’internent le 5 mars 1942 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) : il y reçoit le matricule « 3672 », Bâtiment A2, chambre 11.
« Mis par erreur au Camp des Juifs« , il en décrit les dures conditions à ses proches.
Ramené au camp des politiques, il envoie 23 lettres, cartes-officielles ou lettres clandestines (celles-ci adressées à sa famille par l’intermédiaire du fils d’un détenu) datées du 8 mars au 5 juillet 1942.
Dans ces lettres pleines de tendresse, il est surtout question de nourriture et de recommandations pour la vie de sa famille, comme c’est le cas pour quasiment toutes les lettre d’internés dont nous avons pris connaissance. Il explique à son épouse qu’elle peut envoyer un colis au nom de Degrelle, que celui-ci, qui n’a sans doute pas de famille pouvant lui envoyer de la nourriture, lui remettra.
Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation :
La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Sa dernière lettre est lancée du convoi 6 juillet 1942 depuis le pont de Witry à 2 heures, route de Witry-en-Jassons.
Lire dans le site : Les lettres jetées du train :
« Ma bonne chérie. Deux mots, nous venons de quitter Compiègne ce matin par le train comme des bêtes à 12 heures. Nous allons en Allemagne pour travailler, je crois en Silésie. Nous ne savons pas dans quelles conditions. Je crois que je dois maintenant (attendre) la fin de la guerre. Sois courageuse (…). Je ne pourrais plus t’écrire qu’avec du papier allemand. Je te fais ce petit mot en hâte dedans ce train. Je croyais passer par Reims, où j’aurais jeté une lettre du pont de la route de Witry, mais le train passe par le nord. Je t’attestes que je serais fort…(partie illisible). Je l’ai jeté depuis la route de Witry, car le train a changé de direction. Santé, courage. Jules».
Depuis le camp de Compiègne, Jules Huon est déporté à Auschwitz par le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Jules Huon est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 675 ».
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession.
Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date. Mais sa profession a dû le maintenir à Birkenau.
Jules Huon meurt à Auschwitz le 30 septembre 1942 (date inscrite dans les registres du camp et transcrite à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz ; in Death Books from Auschwitz, Tome 2, page 480.
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Le journal l’Union, dirigé par Michel Sicre, résistant communiste devenu maire de Reims, lui rendait hommage le 26 avril 1946 :
« … L’armistice de 1940 ne le trouva pas abattu et sitôt de retour à Reims, il entra dans la Résistance. Arrêté en décembre pour distribution de tracts, il fut condamé à 6 mois de prison et ensuite libéré, mais les boches le mirent en surveillance. Le 26 janvier 1942, il fut de nouveau arrêté comme otage, à la suite d’une manifestation de ménagères réclamant pain, sur la place de l’hôtel de Ville. Il était soupçonné d’être l’organisateur de ce mouvement. Enfermé à la prison du Bd Robespierre une seconde fois, il fut ensuite transféré à Châlons et Compiègne. Le 6 juillet 1942 on l’emmenait avec d’autres camarades pour les camps nazis de torture. Aucune nouvelle de lui, ne parvint jamais à sa famille, il, a été impossible de connaître Ie camp où il trouva la mort. Héros obscur de la résistance, comme tant d’autres il est tombé en Français ». Nous savons maintenant que ce camp était celui d’Auschwitz-Birkenau.
Jules Huon est homologué au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) et DIR (Déportés et Internés Résistants) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.Une plaque commémorative a été apposée en 1947 par la Ville de Reims à son domicile au 11 rue du Fossé Briotin.
Une autre plaque refaite à l’identique est apposée au Square des victimes de la Gestapo.
Sa famille a été durement frappée : son neveu René Huon a été fusillé et ses deux frères ont été déportés et sont morts en déportation, ainsi que l’épouse de l’un d’entre eux. Aline Huon, née Aline Monin, épouse de René Huon, rescapée des camps, est décédé dans les années 2010 selon son petit-fils, Jean Huon.
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Collection complète des lettres de Compiègne, photocopies confiées par une des filles de Jules Huon, Madame Rubert.
- Témoignage de Madame Simone Lecrux, veuve d’un « 45 000 » rémois rescapé (1981).
- Communication de madame Jocelyne Husson, professeur à Reims (juin 1990).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Site du CRDP de Reims, biographie de Jules Huon, par Mme Jocelyne Husson.
- Archives en ligne de la Marne.
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« Reims souviens-toi ». Plaquette réalisée dans le cadre d’un PAE par 27 élèves des classes de troisièmes B et C (année scolaire 1984-1985) du Collège St Rémi de Reims. Dessin de Jérôme Beunier.
Notice biographique réalisée en 2001, modifiée en 2011, 2016, 2023 et 2024, réalisée à l’occasion de la conférence donnée au CRDP de Reims sous l’égide de l’AFMD de la Marne en décembre 2002, par Claudine Cardon-Hamet en 2002, auteure des ouvrages :«Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 »Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com