Matricule « 45 494 » à Auschwitz Rescapé
Georges Dudal : né en 1922 à Binic (Côtes du Nord) ; domicilié à Paris 13ème ; pâtissier, puis ingénieur des Arts et Métiers après guerre ; arrêté le 2 octobre 1940 ; interné à Aincourt, Voves, Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, Gross-Rosen, Hersbrück, Dachau ; rescapé ; décédé le 11 avril 2003.
Georges Dudal, dit « Jojo », est né à Binic (Côtes du Nord / Côtes d’Amor / 22) le 11 décembre 1922. Il habite dans le 13° arrondissement de Paris au moment de son arrestation.
Il est le fils de Germaine, Jeanne, Marie Pruvot et de Georges, Jean-Baptiste, Dudal, né en 1899 à Plouvara (22). Ses parents se sont mariés le 19octobre 1921 à Binic. Célibataire, il exerce le métier de pâtissier.
Son père est un militant actif de la CGT et un proche d’André Tolet (1), qui venait très souvent à leur domicile. Il est fiancé avec Germaine, qu’il épousera à son retour des camps.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Fin août 1940, André Tollet, ancien dirigeant CGT de la région parisienne, qui le connaît pour être venu souvent au domicile de ses parents et qui est en train de constituer avec Eugène Hénaff et Henri Gourdeaux le triangle de direction communiste de la région parisienne, en relation avec Benoît Frachon, lui propose de devenir « cycliste » chargé du transport et de la répartition de la Vie Ouvrière, journal clandestin de la CGT.
Il dira de lui « Georges Dudal, un petit gars sérieux, volontaire et ponctuel, un jeune garçon énergique et plein d’humour » dans le récit de leur arrestation (in souvenirs de la V.O. de la nuit). Mais le groupe clandestin est démantelé rapidement : la police française a profité de la dénonciation de l’un de ses membres par sa femme, agissant par jalousie et vengeance. Et de tabassages en trahison, cet homme finira par donner tous les rendez-vous du groupe (devenu rédacteur en chef du journal de Doriot, il sera exécuté par la Résistance en juin 1942).
Tout le groupe va alors être filé. Ils sont arrêtés les uns après les autres par la Brigade spéciale (lire le récit qu’en a fait André Tollet). D’abord les trois du « groupe technique », comme Georges Dudal le 2 octobre. Puis les dirigeants : le 3 Charles Michels et Jean Poulmarch, le 5 Jean-Pierre Timbaud, le 16 André Tollet, le 18 Eugène Hénaff.
Le 2 octobre 1940, Georges Dudal est arrêté avenue Daumesnil, à Paris, passé à tabac au commissariat des Affaires spéciales, à Boulogne-sur-Seine. Incarcéré au Dépôt le 6 octobre, à la Santé le 7, il est jugé à la fin de l’année 1940 et condamné à 6 mois de prison « avec sursis« . Lire dans le site son témoignage : L’arrestation de Georges Dudal, témoignage d’André Tollet, Georges Dudal. Août 1940 : impression de la « V.O. ». A 18 ans, au mitard à Fresnes , La « DJ » à Aincourt. Témoignage de Georges Dudal
Georges Dudal est interné à Fresnes, puis à Aincourt en janvier 1941. Le camp de séjour surveillé d’Aincourt, dans le département de laSeine-et-Oise(aujourd’hui dans le Val d’Oise), près de Mantes, a été ouvert spécialement, en octobre 1940, pour y enfermer les communistes arrêtés dans la région parisienne par le gouvernement de Vichy. Il s’y retrouve à la « DJ », la division des jeunes. Lire dans le site : Le camp d’Aincourt .
Il est transféré au camp de Voves le 26 avril 1942 (les 23 et 26 avril 1942, ce sont 153 internés en provenance d’Aincourt qui sont transférés à Voves). Lire dans le site l’article sur Le camp de Voves.
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande, et celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le 10 mai 1942 (2), en vue de sa déportation comme otage. Georges Dudal a raconté ses préparatifs au moment de quitter Royallieu, évoquant la dernière nuit passée à cuire une sorte de pudding fait de nouilles et de chocolat à l’usage de ses camarades de chambrée qu’ils dévorèrent durant le transport.
Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Georges Dudal est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 494 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. Lire dans le blog le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale »
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé comme ses compagnons sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi). Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Georges Dudal est affecté à Birkenau, jusqu’en mars 1943. Il fait partie des 25 survivants de Birkenau (sur 600) qui regagnent le camp principal (Auschwitz-I) en mars 1943.
Il est affecté aux cuisines des civils, ce qui lui permettra de détourner de la nourriture et ainsi d’aider ses compagnons, et de transporter des messages pour la Résistance du camp.
En application d’une directive datée du 21 juin 1943 accordant aux détenus français des KL la possibilité de correspondre avec leur famille et de recevoir des colis renfermant des vivres, il reçoit le 4 juillet 1943, comme les autres détenus politiques français d’Auschwitz, l’autorisation d’échanger des lettres avec sa famille – rédigées en allemand et soumises à la censure – et de recevoir des colis contenant des aliments.
Lire dans le site : Le droit d’écrire pour les détenus politiques français
Entre le 14 août 1943 et le 12 décembre 1943, il est en quarantaine au Block 11 avec la quasi totalité des Français survivants. Lire l’article du site : Les « 45000 » au Block 11 – (14 août-12 décembre 1943).
Le 12 décembre 1943, les Français quittent le Block 11 et retournent dans leurs anciens Kommandos.
Dès 1944, devant l'avancée des armées soviétiques, les SS commencent à ramener vers le centre de l’Allemagne les déportés des camps à l’Est du Reich, dont Auschwitz. Les premiers transferts de "45.000" ont lieu en février 1944 et ne concernent que six d’entre eux. Quatre-vingt-neuf autres "45.000" sont transférés au cours de l'été 1944, dans trois camps situés plus à l'Ouest – Flossenbürg, Sachsenhausen, Gross-Rosen - en trois groupes, composés initialement de trente "45000" sur la base de leurs numéros matricules à Auschwitz. Une trentaine de "45.000" restent à Auschwitz jusqu'en janvier 1945.
Le 7 septembre 1944, il est transféré au camp de Gross-Rosen, où il reçoit le matricule « 40 994 » : c’est dans ce camp qu’il a ses 22 ans (il évoque ce jour-là dans une lettre à ses parents, écrite à sa libération).
Transféré pendant quatre jours dans des wagons découverts au camp d’Hersbrück, Kommando de Flossenbürg, le 15 février 1945 (matricule 84497 au Kommando K 11, avec Fernand Devaux), il commence au moment de l’évacuation d’Hersbrück le 8 avril ce que l’on a appelé une marche de la mort en direction de Dachau.
Partis à 2500, ils ne sont plus qu’environ 200 à l’arrivée le 24 avril 1945 : Les dix 45.000 présents dans la colonne ont survécu.
Le 29 avril, le camp est libéré par les troupes américaines. Mais le rapatriement tarde à venir, Dachau étant consigné par crainte d’une épidémie de typhus.
Las d’attendre, Georges Dudal s’évade – en compagnie de Fernand Devaux – dans un camion de l’armée française qui les dépose quelques kilomètres plus loin.
Marchant le long d’une voie ferrée, ils arrêtent un train (une locomotive et wagon) qui les amène à Augsbourg où ils rejoignent un centre de rapatriement.
Partis de Dachau le 13 mai ils arrivent à Paris le 19 mai 1945. On lira le récit qu’il en a fait : D’Auschwitz à Gross-Rosen, puis Dachau
Le 8 mai 1945, à Dachau, il écrit une lettre à ses parents et à ses camarades.
Le 19 mai 1945, ils sont à Paris, à hôtel Lutétia, ayant regagné la France par leurs propres moyens.
Georges Dudal épouse Germaine, qui l’avait attendu pendant cinq ans et devient le beau-frère de son ami Fernand Devaux (ils ont épousé les deux sœurs), et comme lui, entreprend des études : il obtient un diplôme d’ingénieur des Arts et Métiers.
Le couple a une fille, Françoise.
Homologué « Déporté Politique« , puis « Déporté Résistant » en juin 2002, il a reçu la Croix du Combattant et la médaille du Combattant volontaire de la Résistance.
Georges Dudal a témoigné à maintes reprises devant les jeunes (cf. photos en fin de notice). Il a témoigné par des récits, lettres et cassettes : il a continué, par sa présence chaleureuse et son activité, à participer à l’œuvre de mémoire.
Il a participé aux commémorations du départ de son convoi.
Par exemple sur la la photo ci-contre, prise par Roger Arnould à Compiègne, le 27 juin 1982 pour le quarantième anniversaire du départ du convoi.
Avec trois autres 45000 (Fernand Devaux, Lucien Ducastel, André Montagne) il a passé de nombreuses journées pour m’aider à comprendre, évaluer, trier parmi les témoignages recueillis. Chacune de ces séances a été pour eux quatre, une douloureuse épreuve leur faisant revivre l’enfer d’Auschwitz.
Georges Dudal est mort le 11 avril 2003 à l’hôpital de Massy-Palaiseau.
- Note 1 : André Tollet (1913-2001), militant CGTU, puis CGT, secrétaire du syndicat des tapissiers, secrétaire de l’Union régionale parisienne ; militant à la JC puis au Parti communiste ; résistant ; président du Comité parisien de Libération ; il fut président du Musée national de la Résistance à Ivry-sur-Seine puis à Champigny-sur-Marne) (Seine, Val-de-Marne).
- Note 2 : Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Raymond Delorme figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite «afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les
internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique également «ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises». Les 10 et 20 mai 1942, 109 internés de Voves sont transférés sur réquisition des autorités allemandes au camp allemand (leFrontstalag122) de Compiègne (Oise). 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi dit des « 45000 » du 6 juillet 1942.
Sources
- Roger Abada le rencontre à la commémoration de la libération d’Auschwitz, au Palais d’Orsay, le 27 janvier 1946. Ils correspondent.
- André Tollet a décrit le jeune garçon énergique et plein d’humour avec lequel il militait, au temps de la V.O. clandestine.
- Documents audio et témoignages manuscrits confiés par Georges Dudal.
- © Photo « Georges Dudal et de Fernand Devaux le 18 mai 1945 au centre de la Croix rouge de Romilly », in « Mémoire Vive » n° 19 de juin 2003 page 9, lettre de l’association des 45000 et des 31000 d’Auschwitz-Birkenau.
- Pendant le pèlerinage de 1987 à Auschwitz, Georges Dudal a cueilli pour moi des fleurs dans le jardin de Chopin à Varsovie. Je les ai précieusement conservées.
Témoignages pour l’avenir |
Notice biographique rédigée en janvier 2001 (modifiée en 2003, 2016, 2017, 2019 et 2023) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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