Samuel Emile Goldstein est né en 1901 à Paris 12è ; domicilié à Montreuil (Seine / Seine-Saint-Denis) il est représentant de commerce, employé de mairie à Montreuil. Militant communiste, Emile Goldstein est interné au camp de Compiègne et déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 19 novembre 1942.
Arrêté le 26 juin 1941 par la Gestapo en même temps que trois avocats communistes qui seront fusillés, il est possible qu’il ait d’abord transité par le camp de Romainville, mais sa première lettre de Compiègne est datée du 28 juin 1941, ce qui signifie qu’il est interné au camp de Royallieu peu de temps après son arrestation, sans doute le 27 juin.
Au «Frontstalag 122», camp destiné à l’internement des «ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande, il reçoit le matricule « n° 313 ».
Il séjourne au « camp des politiques » au moins jusqu’au 20 mai 1942 (date de sa dernière lettre). Il est successivement affecté aux bâtiments C1, B6, A8, A7, A2. Entre le 28 juin 1941 et le 20 mai 1942, il envoie 31 lettres à son épouse, au 18 rue Alexis Lepère.
Sa fille, madame Léone Mayéro a relevé et analysé le contenu de ces lettres, retrouvées dans les papiers de sa mère dans les années 1990.
Son père arrive dans les premiers temps de l’internement à évacuer ses sombres pensées, grâce au comité des loisirs du camp (lire dans le site Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne et La solidarité au camp allemand de Compiègne).
Lettre n° 4, du 3 août 1941 » (…) Dans quelques instants, je vais aller au spectacle du Camp pour oublier les soucis du moment, mais à la minute même, on me retient pour un bridge, donc, adieu spectacle ». Mais il espère surtout une libération, un de ses camarades de détention venant d’être libéré. Il demande à sa femme de faire des démarches. »
Lettre n° 5, du 13 août 1941 « Ma chère Adèle et mes chers petits-enfants. Le porteur de ce mot, Lenoble Roland, un de mes meilleurs amis du Camp, vient d’être libéré et vous donnera lui-même de mes nouvelles. J’espère et veux souhaiter que mon tour viendra aussi et que je pourrais bientôt vous serrer tous dans mes bras. (..) Si tu veux venir me voir, va à l’Hôtel Matignon, avenue Matignon à Paris, demandes un laissez-passer et tu auras le droit de me remettre de la main à la main, les colis que tu voudras bien m’apporter, et principalement mon pardessus marron. Vois si Mr L… veut te faire une attestation, comme quoi, je travaillais au moment de mon arrestation, et que dans toutes les conversations qu’il a eues avec moi, je n’ai jamais causé de politique, et aussi après enquête parmi son personnel ; il serait bon, si c’était possible, que Mr A… et Mr B… de la Mairie de Montreuil, attestent également de la même façon ; ils peuvent me rendre ce service, car c’est la vérité (…) Si tu réussis au plus vite à obtenir ces attestations, tu les feras voir à l‘Hôtel Matignon, et là, ils te diront ce que tu dois faire avec les pièces « (…). Note de sa fille : Deux attestations ont effectivement été faites, mais la première en date ne paraît pas avoir été le résultat de la demande d’Emile : un seul jour de différence. La plus précise, du 14 août 41, établie par son chef de chantier, sans se référer aucunement à pensée ou appartenance politique en dehors du lieu de travail, dit : « (…) C’est un ouvrier très sérieux et travailleur dont nous étions entièrement satisfaits. Il n’a jamais fait de politique sur le chantier ni en paroles ni en écrits » . La seconde, du 18 août 41, dit simplement : « (…) il a toujours donné toute satisfaction dans son travail » (signature précédée de : pour Le Maire).
Lettre n° 6, du 16 août 1941 (…) « Aujourd’hui, je prends mon courage à deux mains pour t’écrire, car depuis le départ de mes meilleurs amis, j’ai constamment le cafard (…) Une femme a été autorisée aujourd’hui à voir son mari par un officier supérieur du Camp, mais cela est difficile malgré tout à obtenir« .
Le 19 août, il reçoit les attestations demandées par son épouse pour le passage devant la Commission de libération.
Lettre n° 7, du 20 août 1941 (…) « Hier soir on m’a remis les papiers que tu as déposé et dont je t’en remercie, mais j’ai beaucoup souffert de ne pas t’avoir vue. « (..) As-tu vu Roland ? Donne lui le bonjour et dis-lui que je suis resté à ma place, avec Lacour et Antony ». Il s’agit des attestations. Concernant les deux noms cités, il peut s’agir de Louis Lacour, d’Issy les Moulineaux et très certainement d’Emile Antony (3). Il est possible qu’il donne à son ami Roland Lenoble confirmation qu’après son départ, il ait formé un triangle du P.c. avec ces deux autres militants.
Lettre n° 10, du 6 septembre 1941 (…) « Antony est à l’hôpital de Compiègne ».
Lettre n°11, du 8 septembre 1941 (…) « Mes chers. J’ai reçu ta triste lettre du 27. Il ne faut pas te désoler ainsi. Vois Jean pour ma chaîne de montre, il te conseillera si tu dois la vendre ou la mettre au clou. Je n’ai pas encore vu les membres de la Commission, pour leur soumettre les documents prouvant l’erreur de mon internement ».
Lettre n° 13, du 22 septembre 1941 (…) « Mes chers. Mes meilleurs vœux. Samedi 13 septembre je suis passé devant la Commission, et j’ai fait valoir les documents. Mais je crains que la question raciale jouera pour la libération ». A la suite de ce passage devant la commission de libération, sa fille note que son père leur a souhaité le nouvel an Juif. Elle ne le savait pas pratiquant.
Lettre n° 16, du 15 octobre 1941 (…) « Présente de ma part à Madame Antony mes condoléances les plus sincères à l’occasion de la perte cruelle de son mari qui fut aussi un bon ami pour moi (..) ».
Lettre n° 17, du 22 octobre 1941 (…) « En ce qui concerne ma libération, prends patience comme dit le (illisible: proverbe?) ‘Un jour viendra’.
Lettre n° 18, du 30 octobre 1941. Il a changé de baraque
Lettre n° 20, du 13 novembre 1941 « Ma petite Adèle chérie. Je viens de recevoir ta lettre du 6 nov. dans laquelle tu me dis espérer me voir rentrer pour le 25 de ce mois ; que Dieu t’entende, car je commence d’en avoir marre de rester ici loin de vous. fi.) Adèle. Je te demande de m’écrire plus souvent, car j ‘ai un cafard monstre » . Note de Léone Mayero : « Le fait d’être emprisonné peut suffire à donner un cafard monstre. Cependant, il ne l’exprime pas souvent, car ses lettres tendent au contraire à donner du courage à son épouse. Ici, cette affirmation me paraît être bien proche : 1°) du changement de bâtiment, dont il ne donne pas forcément la raison, à supposer qu’il la connaisse ou la devine ; 2°) de la discussion (dont il n’a pas eu l’initiative) avec son épouse.
Lettre n°19 du 7 novembre 1941 – sur la personne qu’il affirme l’avoir dénoncé. Il donne, le prénom du dénonciateur et le nom de la personne officielle ayant reçu ladite dénonciation. Même au plus fort de la discussion, qui se poursuit sur plusieurs lettres, il l’atténue par le terme « involontairement », mais ne la renie jamais. Je souhaite effectuer les recherches qui me permettront d’en avoir le cœur net (pour moi, mais aussi pour lui, car c’est tenir compte de lui).
Lettre n° 21, du 26 novembre 1941 (…) « En ce qui concerne (…) je te le jure sur ma vie, et je n’ai pas besoin de te dire qu’ici, elle ne tient qu’à un fil ». Emile Goldstein sait qu’il est otage, et qu’il peut à tout moment être appelé vers le peloton d’exécution, car les internés nommés lors de « l’appel » du camp de Compiègne sont nombreux.
Lettre n° 22, du 1er décembre 1941 (…) « Quand à moi. Dieu merci la santé est bonne, mais ma libération ne vient pas vite. Courage – patience – Espoir. Baisers. Emile ».
Lettre n° 23, du 11 décembre 1941 (il a encore changé de baraque de A8 à A7). « Je suis très heureux d’apprendre que Mr R… a été libéré et je lui souhaite de se rétablir au plus vite. Quand à Mme G…, le jour viendra également pour son fils, de toute façon elle n’a pas à s’inquiéter pour lui, car il n’est pas retenu comme otage comme moi. Crois-moi que, comme toi, je désirerais rentrer chez nous, et il faut prier Dieu que les odieux attentats contre les membres de l’armée d’occupation cessent. Car j’en ai le cafard et je ne voudrais pas mourir pour une cause qui n’est pas la mienne. Ma petite femme chérie, il faut continuer à m’écrire, surtout de bonnes nouvelles ».
L’opinion exprimée dans la dernière partie de sa lettre est partagée par de nombreux citoyens en 1941. Toutefois, le courrier du camp étant soumis à la Censure, on peut aussi se demander si cette déclaration ne vise pas à constituer un argument en faveur de sa libération.
Lettre n° 24, du 18 décembre 1941 (…) « Depuis une quinzaine de jours, je suis souffrant, je ressens une faiblesse générale avec fièvre et le médecin ne peut m’envoyer à l’infirmerie, faute de place ; par contre, il m’a ordonné un médicament que tu réclameras pour moi à la Croix Rouge qui se trouve 6 Rue de Berri à Paris 8ème arrondissement, qui s’occupe des internés civils et de leurs familles, car tes moyens ne te permettent pas de payer ce médicament. Y a-t-il du nouveau parmi nos amis de race. Reverrai je un jour ma petite femme adorée et mes petits enfants chéris ? Nous devons jusqu’au bout garder cet espoir et dans cette attente. Recevez mes chers amours, les meilleurs baisers de votre Emile ».
Lettre n° 25, du 30 décembre 1941 (…) « J’ai beaucoup souffert d’apprendre que les enfants Reine et Riri sont partis à Brévannes. Mais je veux espérer que là-bas, ils se rétabliront très vite. Tu leur diras de m’écrire le détail de leur nouvelle vie. Si Léone doit partir d’ici 1 mois ou deux, je souhaite de pouvoir rentrer à la maison, afin que ma petite Adèle adorée ne se trouve pas esseulée. N’écris jamais à mon Commandant du Camp pour ma libération, car il ne peut rien pour ça, il est chargé simplement de nous garder, un point c’est tout. La veille de Noël, j’ai reçu un petit colis de la Croix-Rouge et ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est qu’il contenait un paquet de cigarettes. Mon Adèle, je brûle du désir de te revoir, ainsi que nos enfants, nos amis et le ciel de Montreuil : espérons que ce beau jour arrivera bien vite ».
Lettre n° 26, du 4 janvier 1942 « Occupes toi avec l’assistante pour envoyer de suite la petite Léone à Brévannes afin que l’on puisse la sauver à temps. Je t’embrasse follement et les enfants idem. Ton Emile ».
Lettre n°28, du 9 janvier 1942 (…) « Mon Adèle chérie Avant-hier, j’ai reçu ton colis contenant la bouteille de vin, quelle bonne surprise. Aujourd’hui, j’ai reçu ton colis contenant les médicaments et les bonnes choses qui m’apportent vie et santé, et j’ai reçu en même temps ta lettre du 5 – Je remercie Mme Reisner pour sa gentillesse envers vous. Avec le pain que tu m’envoies, tu peux dire que tu me rends la vie, tu me ressuscites, mais je ne voudrais pas que tu te sacrifies pour moi, car il faut que tu vives aussi, pour les enfants et pour moi, car je désire te revoir en bonne santé. Remercies de ma part, tous ceux qui s’occupent de toi et de moi, principalement Madame Genevois et les Favennec. Ne t’occupes pas de réclamer ma libération, elle viendra d’elle-même avec l’aide du Dieu tout puissant. Madame Genevois n’a pas à s’excuser pour les cigarettes, elle-même a son prisonnier et je la remercie infiniment pour sa »… Le feuillet contenant la fin de la lettre manque.
Lettre n° 29, du 27 février 1942 (…) « Ma chère petite femme. Hier, j’ai été avisé par la Caisse de Solidarité du Camp, que l’on t’avait adressé un secours de 200 frs. Cela m’a fait plaisir pour toi. Avises Maryse que j’ai bien reçu le colis le 24 adressé le 19. Avec les derniers 100 frs que j’ai reçu, j’ai acheté à la cantine des sardines salées, des carottes, amandes et biscuits, etc., je suis obligé d’en profiter quand il y en a, c’est pour cela que je manque d’argent. Quand tu pourras m’envoyer toi-même un colis, mets du gros pain si possible, car je crois qu’il se mange moins vite, et achètes un peu d’herbe à fumer de Favennec, afin de l’essayer, car je n’ai pas reçu celui dont tu m’as parlé, il a dû être perdu dans le déballage du colis. Envoie moi aussi le paquet de Ninas qui se trouve dans la poche de mon gilet, accroché dans la penderie. Comment vas-tu ma petite chérie ? Et nos enfants adorés ? Que je voudrais bien vous revoir, et le temps me semble bien long, vu que je commence le 9e mois de séparation. Quant à moi la santé se maintient, mais je m’ennuie beaucoup, car je pense beaucoup à vous tous. N’envoyez pas plus de 3 colis par mois, car le 4e vous serait retourné, et ce mois-ci, j’en ai reçu que deux. Je termine en forcément, en vous embrassant tous de tout cœur. Bien le bonjour à Mmes Genevois, Rimbert, Favennec, les voisins et tous les amis. Celui qui pense toujours à vous. Emile
Lettre du 20 Mai 1942. Bâtiment B2. « Ma petite femme chérie. Depuis dimanche soir j’ai quitté l’infirmerie, afin de laisser la place à un autre malade, mais dans huit jours, je rentrerai de nouveau à l’infirmerie et le médecin allemand décidera si l’on doit m’opérer. J’ai reçu tes deux colis d’Avril et le 30 Mars, j’ai touché les 150 frs de Rémy et depuis je n’ai plus reçu d’argent et suis sans un centime en poche. J’ai reçu une lettre de Maryse du 30, et remercie la, ainsi que Rémy pour tout ce qu’ils font pour moi. J’ai reçu ta lettre du 5, mais je n’ai pas reçu ton colis du 4 ; j’ai fait une réclamation, mais sans résultat. Ecris de suite à la /illisible/ où tu as déposé le colis avec timbre pour réponse et aussi va à la Croix-Rouge expliquer le cas. Je suis étonné de ne pas t’avoir vu le 16 à l’infirmerie, vu qu’un sous-officier est venu me demander pour connaître mon N° matricule et je suis à me demander si tu es venue, puisque je n’ai pas reçu de colis du 16. Envoies moi dans ton prochain colis, quelques pains au germe de blé, marque Hovis, et aussi, si possible, de la farine Nestlé sucrée. Remercies bien Madame Genevois et lui souhaite de se rétablir au plus vite. Je t’adresse 2 lettres par mois et ne suis pas fâché du tout contre toi, j’espère te revoir au plus vite, ainsi que les enfants, et en attendant ce beau jour, qui ne tardera pas, je le souhaite de tout cœur, je t’embrasse, ainsi que les enfants, de toutes mes forces. ton Emile« .
Note de sa fille « Je pense que la demande du n° de matricule, liée à l’état de santé d’Emile, peut avoir un rapport avec la confection de la liste des déportés du convoi des « 45 000 ». J’ai trouvé un document (plus exactement une moitié de document) du 24 juin 42 (soit 12 jours avant le départ du convoi), signée Hauptmann. Compiègne, qui indique la fin du prénom de mon père (…uel), sa date de naissance (18/01/1901), et le mois et l’année de son arrivée à Compiègne (6/41). Apparaît la fin d’un mot en Allemand : … inigzing. Il y a un laps de temps de deux mois, ce qui est énorme, entre cette dernière lettre et l’antérieure. Cependant, les indications de dates de réceptions de lettres et colis qu’elle contient laissent entendre qu’il n’en manque aucune. Pourquoi ce long silence? Je l’ignore ».
Nous n’avons aucune certitude concernant la présence ou non de Samuel, Emile Goldstein sur la liste des Juifs du convoi. Toutefois la reconstitution que j’ai faite de la liste générale semble indiquer que son nom se trouvait bien dans celle-ci.
Depuis le camp de Royallieu administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire sa notice biographique complète : GOLDSTEIN Samuel, Emile