Joseph Tortora, agrandissement © Marcel Tortora

Matricule « 46 151 » à Auschwitz

Joseph Tortora : né en 1896 à La Calle (Constantine, Algérie) ; domicilié à Clichy-la-Garenne (Seine) ; charpentier mécanicien ; communiste ; arrêté le 28 novembre 1940, condamné à 6 mois de prison (Santé, Fresnes, Poissy) ; interné aux camps d’Aincourt, Voves et Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le  20 novembre 1942.
© Marcel Tortora

Joseph Tortora est né le 20 mars 1896 à La Calle (Constantine, Algérie).
Il habite au 27, Villa Emile à Clichy-la-Garenne (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Maria Farella, 27 ans, née à Resina (Italie) et de Luigi, Vincente Tortora, 33 ans, né à Gaeta (Italie), jardinier, son époux.
Il est né au sein d’une fratrie de 7 enfants : Antoine, Jean, Casimir, et Constant (24 ou 26 /10/1898 (1) et Costanza (décédée à l’âge de 10 mois en 1891), Raymond.
Le 1er août 1914 la mobilisation générale est décrétée. Âgé de 20 ans en 1916, Joseph Tortora a dû être mobilisé, mais nous n’avons pas trouvé de document officiel le confirmant (2).

Venu travailler en métropole, d’abord ouvrier du bâtiment, Joseph Tortora travaille ensuite chez Moreuil (chocolaterie), rue du Landy à Clichy-la-Garenne comme charpentier mécanicien.
Joseph Tortora, qui s’est inscrit sur les listes électorales de Clichy, est domicilié au 5 bis, rue des Écoles en 1933.
En 1934 et 1936 il habite au 20, rue Villeneuve. Il y est indiqué comme seul occupant du logement n° 35, travaillant comme tôlier.

Joseph Tortora et Lucie Kerike © Marcel Tortora.

En 1939 il vient habiter au 27, villa Émile. Il y vit maritalement avec Lucie Kerike (information et photo de famille communiquée par son neveu, M. Marcel Tortora).
Il est membre du Parti communiste, ainsi que son frère Raymond.
Le 21 décembre 1939,  son domicile est perquisitionné par des agents du commissariat de police de la circonscription, perquisition au cours laquelle sont saisis « un lot de livres, brochures et papiers du Parti communiste ». Il n’est pas arrêté.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Toute la banlieue parisienne est occupée les jours suivants.Un premier détachement allemand occupe la mairie de Nanterre et l’état-major s’y installe.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le 28 novembre 1940 à Clichy, Joseph Tortora est arrêté en flagrant délit par la police française au cours d’un affichage de papillons et distribution de tracts «à tendance communiste, en compagnie d’un autre individu qui n’a pu être retrouvé». Il s’agit d’Amand Danesse, militant communiste, lui aussi domicilié villa Emile. « On collait l’appel au peuple de France« , témoignage oral recueilli auprès d’Amand Danesse par Pierre Cardon. Joseph Tortora était porteur d’un pot de colle et d’un pinceau, et 25 tracts sont saisis.
La perquisition opérée à son domicile amène la découverte de brochures communistes.

Joseph Tortora est inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste). Le 3 décembre 1940, il comparaît devant la 12ème chambre du Tribunal correctionnel de la Seine qui le condamne à six mois d’emprisonnement. Il est d’abord écroué à la Maison d’arrêt de la Santé, puis le 16 décembre, il est transféré à Fresnes puis il est écroué à la Maison d’arrêt de Poissy.

La Voix Populaire de Clichy mars 1941

En mars 1941, la Voix Populaire » de Clichy, feuille clandestine ronéotée recto verso, dénonce son arrestation ainsi que celles de Constant Launay et  Pierre Lecomte (CF montage photo Pierre Cardon, ci-contre).
Depuis le début mai 1941, le directeur de la Maison centrale de Poissy transmet au Préfet, « en exécution des notes préfectorales des 14 novembre 1940 et 18 février 1941 », les  dossiers des détenus communistes de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours des mois suivants. Le Préfet les transmet alors au secrétaire général de la Police à Paris.
Le 23 mai 1941, jour prévu de sa libération à la fin de sa peine d’emprisonnement, le préfet de police de Paris, François Bard, ordonne son internement administratif, en application de la Loi du 3 septembre 1940 (3). Joseph Tortora est conduit le même jour au « centre de séjour surveillé » d’Aincourt ouvert spécialement, le 5 octobre 1940, par le gouvernement de Vichy pour y enfermer les communistes arrêtés.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt
.

Fiche d’internement de Joseph Tortora (Préfecture de police)

Du camp d’Aincourt, il aurait été  transféré au camp de Rouillé (fiche au DAVCC à Caen. Mais je n’ai pas trouvé trace pour l’instant de cet internement dans les archives de la Préfecture).
Il est transféré au camp de Voves, le 26 avril 1942. Lire Le camp de Voves

Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. Joseph Tortora figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ».

Transfert le 10 mai 1942

Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ».

A Compiègne il y reçoit le matricule n° 5718. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Joseph Tortora est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Joseph Tortora est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46 151» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Joseph Tortora meurt le 20 novembre 1942 selon la liste par dates de décès et matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. Après guerre, le Ministère des ancien combattants a retenu la date du 15 novembre, se basant sur le témoignage de René Petitjean, seul rescapé clichois (les dates alors retenues sont en général le 1er, le 15 ou le 30 du mois).
Il est déclaré « Mort pour la France » le 25 mai 1948, et homologué comme « Déporté politique » le 5 mai 1948.
Une cellule du PCF à Clichy (92) a porté son nom, jusque dans les années 1980, ainsi que celui de son frère Raymond.

  • Note 1 : Le 23 selon son acte d’état civil et le 26 selon son certificat de bonne conduite militaire. Il est décédé à Aubagne le 8  mars 1967.
  • Note 2 : La seule trace officielle (dans le fichier ANOM pour l’Algérie) d’une mobilisation de la fratrie pendant la guerre 1914-1918, est celle de son frère cadet Constant, de la classe 1918, recensé à Tunis, dont son fils m’a envoyé la photocopie d’une citation à l’ordre de son régiment de Zouaves et son certificat de bonne conduite. Par contre, j’ai trouvé un avis de mariage dans l’Echo d’Alger du 1er septembre 1918 mentionnant un « Tortora Joseph, mobilisé et Inviluppo Anna ». Sans aucune certitude cependant, car les Tortora sont nombreux en Algérie.
  • Note 3 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.

Sources

  • Fichier national de la Division des archives des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Archives de la Préfecture de police, cartons occupation allemande, BA 2374. 
  • Death Books from Auschwitz, / Sterbebücher von Auschwitz (registre des morts), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Témoignages de René Petitjean, rescapé du convoi du 6 juillet 1942 et de Pierre Cardon, secrétaire de la section du PCF dans les années 1970.
  • Photo usines Moreuil in nouveau blog de Dan Jubert-Bizien.
  • Recensement de la population, Clichy 1936.
  • © Photos de famille communiquée par son neveu, M. Marcel Tortora.

Notice biographique (complétée en 2016, 2019, 2021 et 2024), réalisée initialement pour l’exposition sur les «45000» de Gennevilliers 2005, par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, Paris 2005. Prière de mentionner les références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

3 Commentaires

  1. Nous avons lu avec beaucoup d’intérêt votre article sur Joseph TORTORA qui était le « grand oncle » de ma femme.
    Nous connaissions vaguement son destin tragique car une cousine qui vivait à l’époque à Clichy avait connu la compagne de Joseph et nous avons même conservé un cadeau qu’elle avait fait à cette cousine en l’occurence une lampe de chevet, celle de Joseph-Nous l’avons conservée bien entendu.Je m’intéresse à la généalogie et j’ai fait des recherches sur la famille TORTORA et j’ai -peut-etre-quelques modifications à vous adresser concernant JOSEPH.
    Autre « détail »je suis moi même d’origine Juive ,mon père était à la même époque militant communiste à ST Denis 93
    quand l’extrême droite dirigeait la municipalité(le sinistre Doriot) et curieusement je suis né à quelques centaines de mètres de l’usine ou travaillait Joseph(rue du Landy).Nous avons échappé à l’holocauste avec beaucoup de chances et grâce à des faux papiers …..Mais ceci est une autre histoire!
    Avec mes remerciements.
    LEIB Claude .
    La Dionne 36600 VILLENTROIS
    EM:dionne36@aol.com
    tel:0254410605
    port:0782691954

    1. Désolés de répondre aussi tard à votre sympathique courriel : nous avons donné la priorité la refonte de notre site (près d’un an de travail) et avons délaissé les commentaires !
      Bien entendu nous sommes preneurs d’informations nouvelles concernant Joseph Tortora. Mon époux, qui a été secrétaire de la section du PCF de Clichy pendant dix ans et député suppléant de Clichy-Levallois connait bien la ville. Né en 1943, il habitait chez ses parents au 83 rue d’Alsace, très proche lui aussi des usines Moreuil, dont l’odeur de chocolat était souvent très présente.
      Bien cordialement
      Claudine Cardon-Hamet

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