Matricule « 45 530 » à Auschwitz

Paul Faurie, 1940, envoi de son épouse

 

Paul Faurie : né en 1905 à Chamboulive (Corrèze) ; domicilié à Levallois-Perret (Seine) ; chauffeur de taxi ; communiste, mutualiste et syndicaliste ; arrêté le 24 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 19 février 1943.

Léonard, Paul Faurie est né le 28 juillet 1905 à Chamboulive (Corrèze).
Il habite au 125, rue Edouard Vaillant à Levallois-Perret (ancien département de la Seine) au moment de son arrestation.

Il est le fils de Marie Ferrière, 25 ans, née à Louzac en 1880, sans profession, et de Jean Faurie, 26 ans, né à Chamboulive en 1879, fermier, son époux. Ses parents quittent Chamboulive (où résident encore deux familles Faurie) avant le recensement de 1911. En 1911, la famille est domiciliée au village de Blancherie, sur la commune de Beaumont (Corrèze).
Il a un frère Jean, né en 1910 à Beaumont.
Paul Faurie épouse Renée Paupy, le 6 avril 1929, à la mairie de Levallois-Perret. Elle a 20 ans, est née le 26 juin 1908 au Trucq (Creuse), elle travaille comme « fille de salle » (on dirait aujourd’hui aide soignante).
Le couple a deux enfants, dont Josette, née en 1934.
Conscrit de la classe 1925, Paul Faurie est appelé au service militaire pour un service de 18 mois.
Il est « rendu à la vie civile » avec le grade de Brigadier dans la réserve.
En 1928, devenu propriétaire d’un taxi (immatriculé 8352 RM 3), il travaille à son compte. Le 25 juin 1935 il adhère à « l’Union », coopérative ouvrière de production, au 11 et 13, rue d’Alsace, à Levallois-Perret, où il gare son véhicule (1). Il est membre de la Chambre syndicale des cochers-chauffeurs du département de la Seine (affiliée à la CGT), devenue après guerre Chambre syndicale des cochers-chauffeurs CGT-Taxis. Selon la police, il est adhérent au Parti communiste, à la section de Levallois.

Un tirage avec 2 photos confié à la FNDIRP par madame Faurie.

Le 14 avril 1936, il est élu au conseil d’administration de la société mutuelle d’assurance « La Fraternelle automobile », 59, boulevard Pereire et en devient vice-président (la société existe toujours, au 3, rue Jules Guesde).

Fin août 1939, il est mobilisé (avec le grade de brigadier de réserve) à la 536è  compagnie automobile, dotée de voiturettes Simca, dépendant d’un régiment du Train des équipages.
Après la dissolution du Syndicat des cochers-chauffeurs CGT le 9 novembre 1939 (dans le droit fil du décret Dalladier de dissolution du Parti communiste du 26 septembre), il s’est affilié au Syndicat des conducteurs de taxis (nombre de militants cégétistes ont ainsi infiltré les syndicats « officiels », obtenant ainsi une couverture. C’est par exemple le cas de Louis Eudier au Havre).

Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Fin juillet 1940, Paul Faurie est démobilisé dans la Creuse. Revenu à Levallois, il est inscrit au fonds de chômage de la ville (du 27 juillet au 18 décembre). Grâce à un ancien compagnon d’armes, propriétaire d’un restaurant à Paris 8ème, le Saint-Moritz, au 29, rue de Marignan, il trouve du travail comme caviste.

Liste des RG, 24 juin 1941, montage avec l’entête de la liste

Toutefois, son affiliation au «Syndicat des conducteurs de taxis» lui vaut d’être surveillé.
Le 13 janvier 1941, un rapport des services de la Préfecture de police établit : « des renseignements recueillis (…), il  résulte que Faurie a toujours gardé ses convictions révolutionnaires et que, sous le couvert d’action syndicale, il se livre à une active propagande en faveur de l’ex-Parti communiste, mais, très adroit, il évite de manifester ses opinions afin qu’aucune preuve ne puisse être retenue contre lui ».

Le 16 février, il est contraint de démissionner du Conseil d’administration de La Fraternelle, suite à une mesure d’épuration.

Militant syndicaliste et communiste connu des services de police, Paul Faurie est arrêté le 24 juin 1941, par la police française, comme communiste. La liste des Renseignements généraux mentionne « Membre actif de l’ex-Parti communiste, meneur des plus habiles ».

Le 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, sous le nom d’Aktion Theoderich, les Allemands arrêtent dans la zone occupée et avec l’aide de la police française, plus de mille communistes. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy (l’hôtel Matignon, puis au Fort de Romainville), ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des “ennemis actifs du Reich”.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Madame Faurie a fait de nombreuses démarches, tant auprès du Préfet que de la  Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, (De Brinon). Démarches qui n’aboutissent pas, malgré le fait qu’elles aient été appuyées par une pétition de leurs voisins.

Depuis le camp de Compiègne, Paul Faurie est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Paul Faurie à Auschwitz le 8 juillet 1942
Un tirage avec 2 photos confié à la FNDIRP par madame Faurie.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45530 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Son épouse l’a identifiée.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dans une lettre adressée le 25 juillet 1945 à sa veuve, Eugène Garnier raconte les conditions dans lesquelles Paul Faurie a disparu.

Lettre d’Eugène Garnier à madame Faurie

« Paul Faurie, Roger Bonnifet et l’un des frères Clément (Ernest) ont été tous les trois pris dans une sélection et destinés à passer à la chambre à gaz. (…) Ils ont été emmenés en camion et tous trois chantaient de toutes leurs forces la Marseillaise. Cet événement a fait beaucoup de bruit dans le camp de Birkenau où il eut lieu, aussi bien que dans le camp (principal) d’Auschwitz où les SS eux-mêmes furent ébranlés par l’héroïsme de nos camarades. D’ailleurs, quand nous avons été libérés par l’Armée rouge, nous avons fait (André Faudry de Saint-Maur et moi) un rapport la Commission d’enquête soviétique dans lequel nous avons cité cet événement »Eugène
Garnier
 situe ce départ pour la chambre à gaz en janvier 1943.

Le nom de Paul Faurie figure sur un registre de l’infirmerie le 7 janvier 1943, mais pas dans les livres des morts d’Auschwitz conservés au Musée d’Auschwitz. Mais on y trouve celui d’Ernest Clément à la date du 19 février 1943. Compte tenu du témoignage d’Eugène Garnier on peut donc penser que Paul Faurie est mort le même jour que lui, le 19 février 1943.
Le titre de Déporté politique » lui a été attribué.
Il a été déclaré « Mort pour la France » le 11 juin 1947.

Paul Faurie est homologué (GR 16 P 218214) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance. Les renseignements le concernant ont été communiqués au Ministère des Anciens combattants par  M. Paupy, 7 villa Léger, Malakoff.

Son nom est honoré sur la plaque commémorative à la Bourse du Travail de Paris, rue du Château d’Eau – « A
la Mémoire des dirigeants de Syndicats tombés dans les combats contre le
nazisme pour la libération de la France – Lorsqu’on ne tuera plus ils seront
bien vengés et ce sera justice »
Paul Eluard.

Le nom de Paul Faurie est également inscrit au Cimetière communal de Levallois-Perret, à gauche du rond-point précédant le monument aux Morts.
« La Chambre syndicale des cochers-chauffeurs du département de la Seine – En hommage à ses camarades chauffeurs de taxi parisiens tombés dans les luttes pour l’émancipation des
travailleurs pour la liberté, pour la démocratie, pour la France et pour la République
« .
Cette plaque commémorative installée sur un monument funéraire, a été fleurie chaque année de sa mandature par Parfait Jans, Député, maire de Levallois de 1965 à 1983. Ancien métallo cégétiste inscrit sur les listes noires patronales, il était devenu chauffeur de taxi à la G7 avant d’être élu.

  • Note 1 : il y a six chauffeurs de taxi parmi les « 45000 » de Levallois :  Maxime Collet , Aimé Doisy, Paul Faurie, Germain Feyssaguet, Jean-Baptiste LoryJean Marétheux. C’est à partir des souvenirs recueillis auprès de son mari, ancien « taxi » de Levallois, que madame Faurie a pu nous le préciser. Après les grèves de 1938, plusieurs de ces militants communistes se fontembaucher à la « G7 » comme chauffeurs de taxi, après avoir été licenciés de leurs entreprises où ils étaient ébénistes, comptables, électriciens…
  • Note 2 : 524 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau du 1.11.1942 au 150.7.1943.
  • Témoignage de sa veuve (20 avril 1972).
  • Lettre d’Eugène Garnier à Madame Faurie (25 juillet 1945).
  • La photo d’immatriculation à Auschwitz a été identifiée par sa femme, qui a envoyé sa photo d’avant guerre à la FNDIRP en avril 1972.
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
  • Recensement de la population de Chamboulive 1911.

Notice biographique rédigée en novembre 2005 (complétée en 2016,  2019 et 2021) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) à l’occasion de l’exposition organisée par l’association « Mémoire vive » et la municipalité de Gennevilliers.  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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