Matricule « 45.944 » à Auschwitz

Lucien Pairière : né à Bourges (Cher) domicilié à Puteaux (Seine) ; ébéniste ; communiste ; communiste ; arrêté le 5 février 1941 ; ; interné aux camps de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 18 août 1942.

Lucien, Camille Pairière est né au 41, rue de St Amand le 14 décembre 1897 au domicile de ses parents à Bourges (Cher). Il habite au 2, rue Collin à Puteaux (ancien département de la Seine / Hauts-de-Seine) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Madeleine Jolivet, 28 ans, sans profession et d’Alexandre, Alphonse Pairière, 25 ans, ébéniste, son époux. Il a une sœur, Simone, Andrée, Lucienne (1901-1984).
En 1912-1913, il est élève à l’Ecole des Beaux Arts de Bourges. En juillet 1913, il reçoit une récompense en espèces de 5 F. En 1913-1914, il est élève à Bourges à l’Ecole nationale des Arts Appliqués à l’Industrie. En juillet 1914, Lucien Pairière y obtient la 1ère mention de dessin d’ébénisterie (in « l’Emancipateur » du 16 juillet 1914).
Au moment du conseil de révision, Lucien Pairière  habite Paris 12ème. Il travaille comme ébéniste comme son père.
Son registre matricule militaire indique qu’il mesure 1m 66, a les cheveux châtain, les yeux gris, le front couvert et le nez petit, le menton rond à fossette, le visage ovale et la bouche petite. Il a un niveau d’instruction « n°3 » pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée). Conscrit de la classe 1917, il est mobilisé par anticipation (le 11 janvier 1916) comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre, et il est incorporé le jour même au 85ème régiment d’infanterie. Il est transféré le 19 juillet au 95ème régiment d’infanterie 1916. Son régiment monte au front le 26 juillet 1916.

Craonne, 1917

Le 7 mai 1917 Lucien Pairière est blessé par éclat d’obus au Plateau de Craonne (plaie à l’avant-bras droit et fracture du radius) lors de l’offensive du Chemin des Dames. Il est évacué et hospitalisé jusqu’au 3 décembre 1917. Admis à la réforme temporaire n°1 le 2 décembre 1918, il est proposé pour une pension de 20%. Réforme confirmée en avril, juillet et décembre 1918, puis 1919. Il est démobilisé le 24 décembre 1918 (« certificat de bonne conduite » accordé) et sera classé « service auxiliaire » au titre de la réserve en 1920 et 21. Il se retire à Bourges, 36 rue des Mazières.
Lucien Pairière est ébéniste. Il épouse Marie-Louise, Amélie Auclerc le 2 septembre 1919 à Bourges. Employée de bureau, elle est née le 18 août 1897 à Meilland (Cher). Elle est domiciliée au 19, rue Porte Jaune à Bourges.  Le père de Lucien Pairière est décédé au moment du mariage. Le couple a une fille, Lucienne, qui naît en 1928 à Paris.
Adhérent du Parti communiste dès 1920, il en démissionne.
En 1929 il anime avec Sorieul la Section Rugby de l’association : « Jeunesse sportive putéolienne » (JSP).
Il est membre de l’ARAC et du Mouvement Amsterdam-Pleyel. Il est présent sur une liste communiste en 1929, comme sympathisant, puis il ré-adhère en 1934 selon son épouse.
Il s’inscrit sur les listes électorales de Puteaux en 1932. Il est alors domicilié au 38, bis rue Auguste Blanche (son camarade de Parti, Raphaël Manello qui sera déporté avec lui à Auschwitz, y habite au n° 7). 
Il est candidat pour le Parti communiste aux municipales de 1935. Il a des responsabilités syndicales (Syndicat unitaire en 1935, syndicat du Bâtiment en 1938).
En 1936, la famille habite au 2, rue Collin, appartement n° 676. Il est alors menuisier chez Charles Mochet au 68, rue Roque-de-Fillol, à PuteauxLe 15 janvier 1938 il est classé comme « affecté spécial » au titre de la réserve en cas de mobilisation, à l’Ecole Centrale de Pyrotechnie de Bourges,
comme un autre militant Louis Buvat.
Ayant déménagé en région parisienne (en juillet 1938, il habite Puteaux au, 2 rue Collin), il est rayé de cette affectation, placé en « renforcement » puis réintégré comme « affecté spécial » au titre du tableau III et de l’Arsenal aéronautique de Vélizy-Villacoublay jusqu’au 24 janvier 1940.
Mais comme la majorité des « affectés spéciaux » connus comme communistes ou syndicalistes, il est rayé de l’affectation spéciale (décision du général commandant la région militaire le 2 décembre 1939) et affecté le 15 avril 1940 au dépôt d’infanterie n°212 où il arrive le 19 avril 1940.

Le vendredi 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Un premier  détachement  allemand  occupe  la mairie de Nanterre et l’état-major  s’y  installe. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le 14 juillet 1940 il est démobilisé. Selon sa veuve, il est « relevé d’usine » en 1940 (il n’est pas repris ou licencié). Professionnel hautement qualifié, il retrouve du travail chez Charles Mochet, au 68 rue Roque-de-Fillol à
Puteaux. Y travaille également un autre putéolien militant communiste : Emile Poupleau . 
Devant la recrudescence de l’activité de propagande clandestine (inscriptions à la craie, collage de papillons gommés et diffusion de tracts), le commissariat de police de Puteaux et les Renseignements généraux
intensifient les surveillances, filatures et enquêtes de voisinage. Fin janvier 1941, une structure communiste clandestine d’une trentaine de membres est découverte. 26 militants, dont André Bisillon, Louis Leroy, Lucien
Pairière
et Emile Poupleau, sont arrêtés à partir du 27 janvier et inculpés d’infraction aux articles 1 et 3 du
décret du 26 septembre 1939 (dissolution du Parti communiste), pour : « recrutement d’éléments susceptibles de
participer d’une manière particulièrement active à l’organisation de la propagande communiste clandestine à Puteaux »
et « confection, répartition et diffusion du « matériel de propagande (tracts, papillons, placards) ».

Lucien Pairière est arrêté le 5 février 1941 d’après Marie-Louise Pairière, à son domicile, par des policiers français de la brigade des Renseignements généraux et des jeux. « le soir, nuit et neige » se souvient Marie-Louise Pairiere, qui croit à une dénonciation. Elle essaie de le voir en vain au commissariat. Lucien Pairière est incarcéré 3 semaines au Dépôt de la Préfecture, puis 8 mois à la Santé.

Le Camp de Rouillé in VRID

Il est interné au camp de Rouillé le 11 novembre 1941, où sa femme peut le voir. Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
Il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp de Royallieu à Compiègne, le 22 mai 1941 , en vue de sa déportation comme otage.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Lucien Pairière est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Avant la frontière allemande, son camarade Pierre Orsatti a lancé sur le ballast une lettre destinée à son épouse. Il y écrit qu’il est dans le même wagon que Lucien Pairière et André Bisillon.

Lucien Pairière est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45944 ».
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Lucien Pairière meurt le 18 août 1942, à l’infirmerie d’Auschwitz d’après les registres du camp. Le titre de « Déporté politique » lui a été attribué.
L’association Nationale des anciens FFI-FTP l’a proposé pour la médaille commémorative, remise à sa veuve le 14 juillet 1949. Une cellule du PCF porte son nom à Puteaux de 1946 à 1991.
En mai 1970, son nom est gravé sur le monument à la mémoire des Martyrs de la Résistance. Une plaque était prévue, avec le nom des « 3 de la rue Cartault » : Elle n’a pas été apposée selon madame Pairière.

Sources

  • Plaquette mai 1981, « La Résistance à Puteaux, Juin 1940 à Août 1944 ». Témoignages vécus et recueillis par Jean Nennig,
  • M. Philippe Buyle, historien (février 1991).
  • Mlle Chabot, archiviste (juin 88 et février 1991).
  • Témoignage de Mme Marie-Louise Pairiere, veuve de Lucien Pairiere, un des « 45000 » de Puteaux, juillet 1972, recueilli par Roger Arnould.
  • Liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne en mai 1942. Archives du Centre de documentation juive contemporaine : XLI-42.
  • Death Books from Auschwitz / Sterbebücher von Auschwitz (registre des morts), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national du Bureau des archives des conflits contemporains (BACC), Ministère de la Défense, Caen.
  • © Archives en ligne du Cher, état civil et registres matricules militaires.

  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique rédigée en novembre 2007 (complétée en 2016,  2019 et 2022) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) .  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique. Pour la compléter ou la corriger cette notice biographique, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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