Matricule « 45 265 » à Auschwitz

Angelo Bolognini le 8 juillet 1942
Angelo Bolognini : né en 1913 à Sotto-il-Monte (Italie) ; domicilié à Mancieulles (Meurthe-et-Moselle) ; syndiqué à la CGT ; arrêté le 15 juillet 1941 ; arrêté le 20 février 1942 comme otage ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.  

Angelo (ou Angel) Bolognini est né le 2 mai 1913 à Sotto-il-Monte (Italie), le village de naissance de Joseph Roncalli (le pape Jean XXIII, né en 1881).
Il habite au 333, rue du Chemin des Dames à Mancieulles (Meurthe-et-Moselle) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Maria Rigamonti, née en 1891 et de Giovanni Bolognini, né en 1889, tous deux à Sotto il Monte.
Il a un frère et cinq sœurs, ses cadettes et cadet. Elisa (devenue madame Elizabeth Subtil), née en 1915, Carolina, née en 1922 toutes deux à Sotto-il-Monte. Marino, né en 1925, Olga, née en 1928 ou 1929, Maria, née en 1931 et Eglée née en 1933, tous quatre à Mancieulles.
En 1924, la famille a quitté l’Italie et vient habiter au 329, cité de la Mine à Mancieulles (Meurthe-et-Moselle).
En 1926 ils habitent au 7 rue de l’Argonne. En 1931 la famille habite au 4 rue de l’Argonne.

En 1932, Angelo Bolognini est embauché comme manœuvre («accrocheur») à la mine de Saint-Pierremont de Mancieulles. Puis il sera ouvrier mineur ou chargeur-mineur à Mancieulles.
En novembre 1933 les parents et les enfants Bolognini sont tous naturalisés français (26 novembre 1933 par décret collectif. Dossier de naturalisation : 31101 X 33 (conservé aux Archives nationales sous la cote 19770881/152).
En 1936 la famille a déménagé au n° 20 de la même rue, Angelo vivant toujours au domicile de ses parents.
Il est syndiqué à la CGT et membre du Parti communiste, Selon le rapport de police établi lors de sa dénaturalisation à la demande du Préfet a police il est secrétaire adjoint de la cellule de Mancieules..

Rapport de police de 1942

« Sa conduite et sa moralité n’ont fait l’objet d’aucune remarque spéciale, mais il en est tout autrement de son attitude au point de vue national et politique. Cet individu inscrit au parti communiste était secrétaire adjoint à la cellule de Mancieulles. Il assistait assidûment aux réunions et manifestations organisées par ce parti. C’était un propagandiste fervent, de caractère hypocrite et railleur, il état réputé violent dans ses rapports avec ses employeurs et était un exemple déplorable pour ses camarades. Il a participé au mouvement de grève génerale du 30 novembre 1938 et actuellement il est interné au camp de Compiègne ».

Angelo est sportif, footballeur, licencié au Club amateur du F.C. Mancieules jusqu’en juillet 1938, date à laquelle il demande sa mutation pour la saison suivante pour le club de la J.S. d’Audun-le-Tiche (L’Est républicain du 11 juillet 1938).

Angelo épouse Cléonice, Huerte Gusmini. Ils ont un garçon, Maurice, né à Mancieules le 21 mars 1940, âgé de 9 mois au moment de l’arrestation de son père.

A la déclaration de Guerre, Angelo Bolognini est mobilisé au 128° RIF (Régiment d’infanterie de forteresse) au camp de Ludelange. Il est fait prisonnier à Verdun. Il a été mis en congé de captivité (les allemands ont ainsi libéré un certain nombre de mineurs de Meurthe-et-Moselle pour pouvoir continuer l’exploitation du minerai).

Le courrier du Préfet de Meurthe-et-Moselle demandant le retrait de la nationalité française d’Angelo Bolognini

« Pendant la « drôle de guerre », l’étranger « suspect » est particulièrement visé. En application des instructions ministérielles du 17 septembre 1939, le préfet Léon Bosney demande à la gendarmerie, par circulaire du 30 septembre, de lui fournir la liste « des étrangers ou étrangères indésirables, suspects au point de vue national ou dangereux pour l’ordre public, en vue de leur internement éventuel, se trouvant actuellement encore dans votre circonscription ou votre secteur », avec rapport sur chacun d’eux » (Jean-Claude Magrinelli, chercheur au CRIDOR).

Par décision de l’Occupant, la Meurthe-et-Moselle se trouve dans la « zone fermée » ou « zone réservée », destinée au futur « peuplement allemand ».

Fin juin 1940, toute la Meurthe-et-Moselle est occupée : elle est avec la Meuse et les Vosges dans la « zone réservée » allant des Ardennes à la Franche-Comté, destinée au « peuplement allemand ». À l’est de la « ligne du Führer », tracée depuis la Somme jusqu’à la frontière suisse, les autorités nazies envisagent une germanisation des territoires suivant différentes orientations. C’est un autre sort que celui de la Moselle et de l’Alsace, annexées par le Reich, du Nord et du Pas-de-Calais, mis sous la tutelle du commandement militaire allemand de Bruxelles, qui attend les territoires situés le long de cette ligne dite du Nord-Est. En tout ou partie, ces départements, et parmi eux les francs-comtois, font l’objet d’une « zone réservée » des Allemands (« En direct », Université de Franche-Comté). Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). L’Alsace Moselle est occupée. Plus de 20 000 Allemands, soit l’équivalent de deux divisions, sont stationnés en permanence en Meurthe-et-Moselle. Le Préfet de Meurthe-et-Moselle collabore sans état d’âme avec les autorités allemandes, il « ne voit aucun inconvénient à donner à la police allemande tous les renseignements sur les communistes, surtout s’ils sont étrangers » (Serge Bonnet in L’homme de fer p.174).

Le sabotage du transformateur d’Auboué dans la nuit du 4 au 5 février 1942, entraîne une très lourde répression en Meurthe-et-Moselle.
Lire dans le site : Meurthe et Moselle Le sabotage du transformateur électrique d’Auboué (février 1942).
Hans Speidel à l’Etat major du MBF annonce qu’il y aura 20 otages fusillés et 50 déportations. Les arrestations de militants commencent dès le lendemain dans plusieurs sites industriels de la région : par vagues successives, du 5 au 7 février, puis entre le 20 et le 22, et au début de mars. Elles touchent principalement des mineurs et des ouvriers de la métallurgie. 16 d’entre eux seront fusillés à la Malpierre.

Angelo Bolognini est arrêté Place de la Mairie le 20 février 1942, par la police allemande lors d’une distribution de tracts anti-nazis, et pris en otage, en même temps que Stanislas Slowinski et Henri Creutzer qui seront déportés avec lui.
Angelo Bolognini est interné au camp d’Ecrouves. Puis il en est extrait le 3 mars et est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu (le Frontstalag 122) à Compiègne le 5 mars en vue de sa déportation comme otage.

Journal officiel du 26 mai 1943 © montage Pierre Cardon

Angelo Bolognini est déchu de sa nationalité française (Décret du 5 mai 1943, publié au Journal officiel du 26 mai 1943, après « examen au cours de la séance n° 904 du 3 décembre 1942 par la commission 1 »).

Le 22 juillet 1940, l’État français vote le réexamen de toutes les naturalisations accordées depuis 1927. Il « entend, sinon débarrasser le pays des étrangers indésirables, du moins les placer sous contrôle étroit et, pour les plus dangereux, les priver de la citoyenneté française qu’ils auraient pu acquérir. L’anticommunisme va de pair ici avec la xénophobie » (Jean-Claude Magrinelli, chercheur au CRIDOR). La conséquence pour nombre d’entre eux : la déportation et la mort. Plus de 15 000 personnes furent concernées en France jusqu’en mai 1944.
Par décret du 5 mai 1943, publié au Journal officiel du 26 mai 1943, après examen au cours de la séance n° 904 du 3 décembre 1942 par la commission 1, alors qu’il a été déporté et qu’il est peut-être déjà décédé à Auschwitz, Angélo Bolognini est déchu de sa nationalité française, comme l’ont été huit autres de ses camarades issus de l’immigration italienne de Meurthe-et-Moselle.

Lire dans le site :  Douze « 45 000 » dénaturalisés par Vichy

En effet, depuis le camp de Compiègne, Angelo Bolognini va être déporté à destination d’Auschwitz le 6 juillet 1942. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Angelo Bolognini est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Angelo Bolognini le 8 juillet 1942

Angelo Bolognini est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45265 ». Sa photo d’immatriculation à Auschwitz (1) assez abîmée (nous l’avons retouchée) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Demeuré à Birkenau, il entre à l’infirmerie de Birkenau le 4 novembre 1942. On ignore sa date de décès.

Son nom est inscrit sur le monument aux morts de la commune.

  • Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Mairie de Mancieulles (mai 1992).
  • Questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Mme Louise Bermand, sœur d’Henri Creutzer en mai 1992, qui mentionne Angel Bolognini.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp (sous le nom d’Angel Bolognini).
  • « Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz » (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (octobre 1993).
  • Recensement de la population de Mancieulles, 1931, 1936.
  • Base gouvernementale Dénat.
Affiche de la conférence du 5 juillet 1997 salle Pablo Picasso à Homécourt
Le Républicain Lorrain 28 juillet 1997

Notice biographique rédigée en 1997 pour la conférence organisée par la CGT et le PCF de la vallée de l’Orne, à Homécourt le 5 juillet 1997, complétée en 2015, 2018 et 2021 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45.000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000.
Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger , vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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