Matricule « 45 410 » à Auschwitz

Paul Crauet d’après © Cédric Hoock  CCBY-NC-SA 2.0.
Paul Crauet : né en 1906 à Monchy-Saint-Eloi (Oise) ; domicilié à Creil (Oise) ; dessinateur industriel chez Citroën ; communiste ; arrêté le 16 juillet 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 14 août 1942

Paul, Louis, Théophile Crauet est né le 28 mars 1906 à Monchy-Saint-Eloi (Oise).
Il habite Creil dans un HBM, au 4, rue Etienne Dolet au moment de son arrestation.
Il est le fils de Lydie, Juliette Mordaque, 22 ans (1884-1972) ouvrière en chaussures (contremaîtresse) ou en mannequins et de César, Charles Crauet, 26 ans (né le 8 mai 1880 à Margny-lès-Compiègne,(Oise), ajusteur, son époux.
Son père est mort le 12 février 1915 à l’hôpital du Val de Grace, des suites de ses blessures (artilleur) contractées au combat. Paul Crauet est déclaré pupille de la Nation (jugement du tribunal civil de Paris, 6 novembre 1919).

Paul Crauet, in © Résistance 60

Paul Crauet travaille au laminoir « chez Desnoyer » avant son service militaire, qu’il effectue dans la gendarmerie.
Il s’est marié le 22 mars 1932 à Herchies (Oise). Le couple a une fille, Maryse, Emilie , Lydie.
Il devient dessinateur industriel et travaille chez Citroën à Paris.
Paul Crauet est un militant communiste connu. Convoqué par la police le 29 janvier 1940, il refuse selon le rapport de police « de renier ses anciennes idées« .

Dès le début juin 1940, l’Oise est envahie par les troupes de la Wehrmacht. Nombre de villes et villages sont incendiés ou dévastés par les bombardements. Département riche en ressources agricoles, industrielles et humaines l’Oise va être pillé par les troupes d’occupation. Ce sont les Allemands qui disposent du pouvoir réel et les autorités administratives françaises seront jusqu’à la Libération au service de l’occupant (Françoise Leclère-Rosenzweig, « L’Oise allemande »). Le 14 juin, les troupes allemandes défilent à Paris, sur les Champs-Élysées.  Le 22 juin, l’armistice est signé : la France est coupée en deux par la « ligne de démarcation » qui sépare la zone occupée de celle administrée par Vichy. Le 10 juillet 1940 Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le 4, rue Etienne Dolet à Creil. Sur le fronton, une plaque honore sa mémoire Voir plus bas

Pendant l’Occupation Paul Crauet appartient à un groupe de l’O.S. (Organisation Spéciale du Parti communiste) de la région de Creil (dont le responsable est André Gourdin, et qui opère des sabotages et fait de la récupération d’armes). Selon le site Résistance 60, il est membre de l’OCM, dans le groupe Bataillard.

Paul Crauet est arrêté le 16 juillet 1941 par la police allemande, « pour actions de résistance« , dans la même période que Georges Gourdon (45622), Marcel Bataillard (45203) et André Gourdin (45621) également déportés à Auschwitz dans le même convoi.
La fille d’un de ses camarades, François Rochex, rapporte son arrestation (in site « Mémoire vive »). Le 16 juillet 1941, avec son camarade, ils descendent du train en gare de Creil. « Ils aperçoivent sur le quai un déploiement de forces de police allemande accompagnées du commissaire français de la ville. À la sortie du souterrain passant sous les voies, un agent de police désigne Paul Crauet aux gendarmes allemands qui l’arrêtent immédiatement. François Rochex n’est alors pas reconnu. Mais, arrivant dans la cour de son immeuble, il est arrêté sous les yeux de son épouse par des gendarmes allemands qui l’y attendent ».
Ils sont conduits à la Maison d’arrêt de Senlis. Puis au bout de 36 heures, avec 25 autres oisiens à la Gendarmerie de Liancourt (Oise), puis ils sont remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). Il y reçoit le matricule n° 1307.

Le 18 septembre 1941, le commissaire spécial de la Sûreté nationale de Beauvais écrit à Paul Vacquier, Préfet de l’Oise, pour l’informer que « le Kreiskommandant de Senlis a demandé de lui transmettre une liste de quinze individus, choisis parmi les communistes les plus militants de la région creilloise, destinés, le cas échéant, à être pris en qualité d’otages. En accord avec le commissaire de police de Creil, la liste a été établie« .
Il semble que Paul Crauet soit inscrit (sous le prénom de Pierre) en 2è position de cette liste avec la mention « déjà interné ». Sa date d’arrestation et son profil militant correspondent. Parmi les autres noms de cette liste, cinq d’entre eux seront comme lui déportés à Auschwitz : Marcel Bataillard, Georges Gourdon , André Gourdin,  Cyrille De Foor, Marc Quénardel.

Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux (1) transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant les présumés communistes internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45.000”. Sur celle qui concerne Paul Crauet, on peut lire : « Ex-militant communiste. A continué la propagande après la dissolution du Parti, en distribuant clandestinement des tracts ».

Depuis le camp de Compiègne, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Paul Crauet est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45410 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Paul Crauet meurt le 14 août 1942 à Auschwitz d’après la liste par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.Son état civil établi dans les années d’après guerre repris par l’arrêté du 18 novembre 1987 publié au J.O. du 29 janvier 1988 portant apposition de la mention « mort en déportation » portent une autre date « décédé le 15 août 1942 à Auschwitz (Pologne). » La raison en est simple : afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés, l’état civil français n’ayant pas eu accès dans les années d’après-guerre aux archives d’Auschwitz emportées par les armées soviétiques, a fixé celle-ci à une date fictive (le 1er, 15 ou 30 d’un mois estimé) sur la base du témoignage d’un de ses compagnons de déportation.

© Cédric Hoock  CC BY-NC-SA 2.0.

La municipalité de Laigneville a donné son nom, associé à celui de François Forget à une rue de la ville.

Plaque de rue de Laigneville

Une plaque rappelle son souvenir dans le Cimetière Communal de
Monchy Saint-Eloi et une autre plaque honore sa mémoire au dessus de l’entrée
de son domicile au 4 rue Etienne Dolet à Creil.

  • Note 1 : Georges Gourdon, rescapé du convoi, porte plainte à la Libération contre l’ancien commissaire de police de Creil et son secrétaire qui ont pris part à son arrestation et celle de Marcel Bataillard, Paul Crauet, André Gourdin, Cyrille De Foor, et Marc Quénardel.  Les deux policiers sont condamnés à 15 ans de prison (ce type de peine sera levé au début des années 1950 par les lois d’amnistie votées par le Parlement).

Sources

  • Correspondance (mai 1991) avec Jean Pierre Besse, chercheur à Creil (ses recherches aux archives départementales, séries M et 33 W 8250.
  • L’arrestation de Paul Crauet est mentionnée dans le questionnaire biographique (contribution à l’histoire de la déportation du convoi du 6 juillet 1942), envoyé aux mairies, associations et familles au début de mes recherches, en 1987, rempli par Geoges Gourdin, fils d’André Gourdin.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • « Livre des déportés ayant reçu des médicaments à l’infirmerie de Birkenau, kommando d’Auschwitz«  (n° d’ordre, date, matricule, chambre, nom, nature du médicament) du 1.11.1942 au 150.7.1943.
  • Listes – incomplètes – du convoi établies par la FNDIRP après la guerre (archives de la F.N.D.I.R.P consultées en 1992).
  • Photos de © Cédric Hoock CC BY-NC-SA 2.0. in Mémorial Genweb

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2011, 2018 et  2021. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *