Jules Dubrulle © Archives familiales
Jules Dubrulle : né en 1897 à Armentières (Nord) ; domicilié à Nanteuil-le-Haudouin (Oise); cheminot ; communiste, conseiller municipal ; arrêté le 16 juillet 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 3 novembre 1942.

Jules Dubrulle est né le 17 octobre 1897 à Armentières (Nord). Cheminot, Il habite à Nanteuil-le-Haudouin (Oise) au 32, rue Gambetta, au moment de son arrestation.
Il est fils d’Adélaïde, Julie Hélin, 35 ans, sans profession (ménagère), et de Augustin, Florimond Dubrulle, 40 ans, tisseur, son époux.
Le registre matricule militaire de Jules Dubrulle indique qu’il habite Aubry (Nord), où il est employé de commerce, puis livreur charbonnier au moment du conseil de révision.
Il mesure 1m 67, a les cheveux blonds, les yeux bleus, le front et nez moyens et le visage ovale.
Conscrit de la classe 1917, il est mobilisé par anticipation en 1916, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre.
Il est mobilisé le 9 janvier 1916 au 43ème régiment d’infanterie où il arrive le jour même. Il « passe » au 401èmerégiment d’infanterie le 17 janvier 1917. Le 3 février 1917 il est évacué blessé (intoxication par les gaz). Puis au 110ème RI le 24 mai 1917. Le dimanche 9 octobre 1917, il est blessé par un éclat d’obus (plaie pénétrante à la cuisse) lors d’une attaque à la Ferme des Lances (bataille des Flandres). Il est évacué sur l’hôpital mixte d’Abbeville du 13 octobre 1917 au 25 novembre 1917. A cette date il est dirigé sur l’hôpital 107 de Saint-Brieuc où il reste jusqu’au 28 février 1918. Son état nécessite une convalescence d’un mois. A son retour au corps, il est affecté au 128ème RI le 3 juin 1918. Il est cité à l’ordre du régiment le 3 octobre 1918 (O.J. 128) : « Bon soldat, brave au feu. Blessé en faisant son devoir les 3 février et 3 octobre 1917 ». Il est envoyé en congé illimité de démobilisation le 10 septembre 1919 par le 127ème RI. Il se retire à Aubry, rue Courcelle.

Il se marie le 30 octobre 1919 à Nanteuil-le-Haudoin avec Sophie Carré (née le 10 août 1897), gros bourg picard où le couple s’installe. Le couple a deux enfants (Marcelle née le 10 octobre 1918 et Jules né le 16 août 1922).
Jules Dubrulle est embauché comme cantonnier aux Chemins de fer du Nord en 1925. Il travaille à Paris La Chapelle en 1929, et la famille habite rue Saint-Laurent à Nanteuil. Il est classé dans « l’Affectation spéciale » pour la réserve de l’armée en tant que cantonnier aux Chemins de fer du Nord à Paris la Chapelle en 1929.
Il adhère au Parti communiste en 1930Secrétaire de la cellule locale, puis secrétaire-adjoint de la section (en 1938), il est élu conseiller municipal en juillet 1936 lors d’un scrutin de ballotage.

Le Courrier de l’Oise 25 septembre 1936

« Il avait beaucoup d’ennemis chez les gros cultivateurs de Nanteuil » écrit sa fille.
Comme la plupart des affectés spéciaux connus comme syndicalistes et/ou communistes, Jules Dubrulle est rayé de son « affectation spéciale » par mesure disciplinaire (décision du général commandant la 2ème région militaire) le 17 février 1940, et « versé dans le droit commun ».
Le 3 mars 1940, La famille Dubrulle est revenue habiter à Aubry.
Jules Dubrulle est rappelé sous les drapeaux le 8 mars 1940 (il a été reclassé « classe 1913 » comme père de famille de deux enfants) et affecté au Dépôt d’Infanterie 211 (caserne Latour-Maubourg à Paris) où il arrive le jour-même.
Il est déchu de son mandat en février 1940 par le Conseil de préfecture (le Parti communiste étant interdit à la suite des décrets de septembre 1939).
Il cesse toute activité politique et déclare avoir renoncé à ses idées d’avant guerre (le maire socialiste de Nanteuil, Becquet, en informe le préfet le 26 février 1940). Jules Dubrulle rédigera une lettre dans le même sens le 2 mai 1942.

« Dès le début juin 1940, l’Oise est envahie par les troupes de la Wehrmacht. Nombre de villes et villages sont incendiés ou dévastés par les bombardements. Département riche en ressources agricoles, industrielles et humaines l’Oise va être pillé par les troupes d’Occupation. Ce sont les Allemands qui disposent du pouvoir réel et les autorités administratives françaises seront jusqu’à la Libération au service de l’occupant » (Françoise Leclère-Rosenzweig, « L’Oise allemande »).
Le 22 juin 1940, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Jules Dubrulle est arrêté le 16 juillet 1941, à sa descente du train, au retour du travail, tout comme Paul Réau (45038), cheminot également. Dans la même période, d’autres communistes de l’Oise sont arrêtés dont Maurice Bataillard (45203), Paul Crauet (45410), André Gourdin (45621), Georges Gourdon (45622), Gustave Prothais (46018), qui seront tous déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Selon sa fille, il aurait été arrêté en raison de sa dénonciation par un cultivateur de Nanteuil. Une possible dénonciation qui n’exclut pas le fait que Jules Dubrulle a arrêté en même temps que d’autres syndicalistes et communistes ayant exercé des mandats électoraux, et  qui plaide d’avantage en faveur d’une liste de noms communiqués par le Préfet de l’Oise sur réquisition des autorités allemandes.
Interné trois jours à la maison d’arrêt de Senlis, il est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent immédiatement au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Sa fille lui rend visite et elle y voit également Paul Réau « un ami de mon père ».
Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux (1) de Beauvais a transmis au Préfet Paul Vacquier 66 notices individuelles concernant des internés au Frontstalag 122 à Compiègne, que le Préfet transmet au Feldkommandant. Parmi eux la notice de Jules Dubrulle qualifié de « Militant dangereux ». 18 autres de ces militants au passé communiste signalés les RG seront déportés à Auschwitz.

Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Jules Dubrulle est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau

Son numéro d’immatriculation à Auschwitz n’est pas connu. Le numéro «45490 ??» figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Cette reconstitution n’a pu aboutir en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks).

Jules Dubrulle meurt à Auschwitz le 3 novembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz tome 2 page 242).
Jean Guilbert (de Mitry-Mory), dit avoir assisté à sa mort, à Birkenau : « un violent coup de pelle (venue d’un de ses gardiens) lui décolle l’épaule. Sans soins pendant 3 jours », il meurt selon lui à la suite de ces sévices, le 4 septembre 1942. Cependant la date des registres du camp, postérieure de deux mois est la plus crédible.
Son acte de décès pour l’état civil français établi sur ce témoignage à la Libération a repris le témoignage de Jean Guilbert et mentionné «décédé le 4 septembre 1942 à Birkenau, Pologne». Il serait souhaitable que le ministère corrige les dates erronées qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les état civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
Sophie Dubrulle meurt le 11 novembre 1944.

Deux plaques commémoratives ont été apposées en 1946 sur sa maison, l’une par le PCF, l’autre par la SNCF. L’immeuble a été rénové, mais les plaques ont été remises à leur place. 

Une rue de Nanteuil porte son nom.

Le bulletin municipal n° 2 «Nanteuil info» de 1992 a publié une biographie que j’avais rédigée à la demande du maire, M. Jean Pierre Hanniet (le document reproduit ci-contre est un photomontage réalisé par mes soins, car à la place de la photo de Jules Dubrulle, figurait un document de 1885 relatif au curé de Nanteuil).

  • Note 1 : Georges Gourdon, rescapé du convoi, porte plainte à la Libération contre l’ancien commissaire de police de Creil et son secrétaire qui ont pris part à son arrestation et celle de Marcel Bataillard, Paul Crauet, André Gourdin,  Cyrille De Foor, Marc Quénardel. Les deux policiers sont condamnés à 15 ans de prison (ce type de peine sera levé au début des années 1950 par les lois d’amnistie votées par le Parlement).

Sources

  • Lettre de sa fille Madame Marcelle Piazza (1991), qui fut conseillère municipale communiste de Nanteuil de 1945 à 1953.
  • Correspondance avec le maire de Nanteuil, M. Jean Pierre Hanniet (octobre 1991).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Correspondance (mai 1991) avec Jean-Pierre Besse, historien, chercheur à Creil, collaborateur du Maitron (communication de ses recherches aux archives départementales de l’Oise (mai 1991), séries M et 33 W 8250).
  • © Registres matricules militaires du Nord

     Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2007, complétée en 2011, 2018 et  2021. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges àAuschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
    Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à 
    deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *