Matricule « 45 191 » à Auschwitz

Paul Baheu le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Paul Baheu avant son arrestation © ADIRP Somme

 

Paul Baheu : né en 1899 à Beaurainville (Pas-de-Calais) ; domicilié à Amiens (Somme) ; cheminot ; secrétaire du syndicat CGT des cheminots d’Amiens, conseiller municipal communiste ; arrêté le 7 mai 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 18 septembre 1942.

Paul, Gustave Baheu est né le 12 septembre 1899 à Beaurainville (Pas-de-Calais). Il habite au 47, rue Vion, à Amiens (Somme) au moment de son arrestation.
Paul Baheu est le fils de Célinie Magnez, cuisinière (1870-1899) et de Gustave Baheu (1870-1938) son époux, ébéniste. Il a un frère et une sœur aînés : Emile né en 1897 et Fortunée 1898. Sa mère décède quelques jours après sa naissance, le 4 octobre 1899 à Beaurainville. Son père s’est remarié l25 septembre 1909 avec Virginie Bourdon (1888-1969). Paul Baheu aura trois demi-frères, Raymond 1914-1985, Yves 1919-2004 et Jean 1921.
Le registre matricule militaire de Paul Baheu nous apprend qu’il mesure 1m 58, a les cheveux châtain foncé et les yeux gris-bleu, le nez cave.
Il est ouvrier agricole au moment de son appel sous les drapeaux.
Conscrit de la classe 1919, il est mobilisé par anticipation (en 1918), comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre.
Il est appelé sous les drapeaux le 23 avril 1918 et incorporé au 1er Régiment d’Infanterie.
Paul Baheu passe au 68è RI le 28 août 1918, puis au 171è le 24 avril 1919. Avec ce régiment il est en occupation de la rive gauche du Rhin depuis le 24 octobre 1919 jusqu’au 20 mars 1921. Il est démobilisé le 21 mars 1921 avec un « certificat de bonne conduite » (et passe dans la Réserve en avril 1921). Il habite alors Beaurainville.

Paul Baheu épouse Maria,
Philomène, Léonie Coquet (1898-1985) le 5 novembre 1921 à Boubers-lès-Hesmond (Pas-de-Calais). Elle est née à Boubers-lès-Hesmond le 11 décembre 1898.
Le couple a six enfants : Noël, (1921-2011), Marcel, Emile né le 17 octobre 1923,  Marcelle née le 7 février 1929, Guy, né le 21 mars 1933 et Jean né le 14 octobre 1940. Noël, et Emile seront du même combat que leur père pendant l’Occupation (Cf. notes 1 et 2),
Le 20 février 1922, il est cantonnier aux Chemins de fer du Nord à Longueau et à ce titre classé « Affecté spécial » dans la Réserve des Chemins de fer
militaires.  En août 1922, le couple habite au 122, rue du Maréchal Foch à Longueau.
Il entre aux chemins de fer du Nord à Longueau en 1922, comme ouvrier menuisier. « Il adhéra au syndicat CGTU et au PCF. Militant actif, il fut délégué du personnel, conseiller municipal à Longueau (…) Résistant de la première heure, à la fin de l’été 1940, il faisait partie de l’OS, qui deviendra plus tard les FTP » (Maitron).
Paul Baheu est réformé définitivement pour l’Armée en 1933 pour décollement de la rétine.
Le 18 août 1935 il est en poste administratif, rue Nouvelle à Longueau, où il est recensé en 1936 avec son épouse et leur trois enfants Noël, Emile, Marcelle et Guy.

Le maire de Longueau, Louis Prot

Il est élu conseiller municipal de Longeau sur la liste de Louis Prot (un cheminot élu en 1925 sous l’étiquette communiste, député de la 2ème circonscription d’Amiens aux élections de 1936). Avec 700 voix, la liste PC-SFIC est élue dès le premier tour. Comme le maire, Paul Baheu sera déchu de son mandat par le conseil de Préfecture en 1940. « En septembre 1939, alors que le PCF était interdit, il participa à la distribution de tracts et de journaux clandestins »  (le Maitron).
Il est secrétaire du syndicat des cheminots d’Amiens.

Jean Catelas

Son ami Jean Catelas, le cheminot d’Amiens devenu en 1936 député communiste, dans une de ses dernières lettres écrite le 22 septembre 1941 à la prison de la Santé, le fait «gardien de sa mémoire et de son passé».

Chars allemands sur la route de Paris

La « drôle de guerre » prend fin le 10 mai 1940 avec l’attaque allemande aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Les conditions d’occupation sont très dures. Le 14 juin, l’armée allemande était entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cessant d’être la capitale du pays et devenant le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.
Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…

Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.
« Résistant de la première heure, à la fin de l’été 1940, il faisait partie de l’OS, qui deviendra plus tard les FTP » (Maitron).
Son ami Jean Catelas, le cheminot d’Amiens devenu en 1936 député communiste, dans une de ses dernières lettres écrite le 22 septembre 1941 à la prison de la Santé, le fait «gardien de sa mémoire et de son passé».
Paul Baheu appartient à la 1ère compagnie des FTPF (corps francs) du 1ermai au 7 mai 1942, date de son arrestation à Amiens (Certificat d’appartenance aux FFI n° 2170 signé par le Général Malaguti, 20 janvier 1954).
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1942, une grue de relevage de 32 tonnes est sabotée au dépôt d’Amiens. La plaque tournante du dépôt d’Amiens saute le 11 mai 1942 (ce qui paralyse pour longtemps le trafic). A titre de représailles, les Allemands arrêteront au total 37 cheminots du dépôt d’Amiens pour ces deux sabotages.


Des policiers allemands (Gestapo) arrêtent Paul Baheu le 7 mai 1942 (8 autres cheminots du dépôt d’Amiens-Longueau sont arrêtés entre le 3 et le 20 mai et seront également
déportés à Auschwitz avec lui : Roger Allou, Fernand Charlot, Clovis Dehorter, Fernand Boulanger, Albert Morin, Emile Poyen, Francois Viaud. Lire l’article du site : Des cheminots d’Amiens-Longueau dans la Résistance. »

Paul Baheu est transféré sans jugement fin mai 1942 de la maison d’arrêt d’Amiens au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Paul Baheu est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Paul Baheu immatriculé le 8 juillet 1942, photo reconnue en 1992 par son fils
Lettre de Jean Baheu , 5/07/1999

Paul Baheu est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule « 45 191 ».
C’est son fils Jean Baheu (né en octobre 1940), qui informé par André Montagne avant un pèlerinage à Auschwitz, reconnaît chez celui-ci, en 1992, la photographie d’immatriculation de son père à Auschwitz.
« Après 50 ans, l’émotion fut grande pour mon frère aîné, ma sœur et moi« .
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Les rescapés des camps rendent hommage à leurs camarades, dont Jean Baheu

Paul Baheu meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 40). De nombreux déportés d’Auschwitz (dont 148 «45000») sont déclarés morts à ces mêmes dates à l’état civil d’Auschwitz : il est vraisemblable qu’il sont morts dans les chambres à gaz de Birkenau, gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée dans les Blocks d’infirmerie.
Lire dans le site : Les dates de décès à Auschwitz.

© Généanet

La mention « Mort en déportation » a été apposée sur son acte de décès (JO 27 juin 1987).
A Amiens, au 47 rue, Vion où il habitait avant guerre, une plaque a honoré sa mémoire. Elle ne semble plus exister en 2024.

Son nom et celui de plusieurs martyrs du nazisme (dont Jean Catelas) est honoré sur une stèle commémorative au cimetière Saint-Acheul ancien, « A la mémoire des camarades des quartiers Noyon St-Acheul – Morts pour que la France Vive« .

  • Emile Baheu

    Note 1 : Les deux fils aînés de Paul Baheu, ont continué son combat dans la Résistance : Emile Baheu, né en 1923, est arrêté en janvier 1943 pour l’attentat du restaurant «Le Royal» à Amiens ou est installé le Soldatenheim, le foyer de l’armée allemande (au moins 25 allemands sont tués). Déporté à Buchenwald puis à Weimar et Billroda, il est libéré à Buchenwald le 11 avril 1945. Il rentre le 1er mai 1945. Il sera élu maire (PCF) de Camon de 1971 à 1982 (il est décédé le 2 décembre 1982, des suites des maladies contractées dans les camps de concentration. in Le Maitron).

  • Note 2 : Noël Baheu est au début de l’année 1944 responsable des F.U.J.P. (Forces Unies de la Jeunesse Patriotique) pour la région de la Somme. En avril, à la suite de l’arrestation de plusieurs de ses camarades, il quitte le département de la Somme pour l’Eure et Loir.
    «Nous n’avons jamais su, nous ne saurons jamais qui a trouvé et transmis la dernière lettre de mon père : quelques phrases écrites sur un morceau de papier d’emballage, jeté du train qui l’emmenait en déportation. Secrétaire du syndicat des cheminots d’Amiens, communiste depuis sa jeunesse, il n’avait cessé de diffuser L’Humanité clandestine, de la Drôle de Guerre à l’occupation. Avec mon frère aîné et lui, nous avons fait partie des premiers groupes armés que l’on appelait l’Organisation Spéciale, à l’automne 1940. Lorsque la plaque tournante du dépôt d’Amiens a sauté, le 11 mai 1942 (ce qui paralysait pour longtemps le trafic), mon père a été arrêté, avec une vingtaine de camarades. C’est au départ de Compiègne, sans doute, qu’il a jeté la lettre. Il disait qu’il avait retrouvé là beaucoup de camarades cheminots, et que nous devions avoir courage et confiance. Peu de choses… Mon frère déporté à son tour, j’ai dû plonger dans la clandestinité, et ma mère est restée seule avec les trois plus jeunes, le dernier né en 1940. Déporté en juillet, mon père est mort en septembre. Il nous restait ses derniers mots. Sur ce bout de papier sauvé par des mains amies.» Noël Baheu, (coll. Musée de la Résistance nationale, fonds Les Inconnus de la Résistance).

Sources

  • Lettre de Jean Baheu (5 juillet 1999).
  • Marcelle Viard, fille de Paul Baheu.
  • Lettres de la fille de Claudius Dehorter (2/12 octobre 1990) et de celle de Georges Poiret (10 octobre 1990) .
  • Courriers d’André Lalou, grand résistant amiénois, compagnon d’Emile Baheu, ADIRP d’Amiens, déporté à Dachau. Décédé en décembre 2006.
  • Mme Jacqueline Jovelin, la fille de Clovis Dehorter m’a envoyé en octobre 1990 la photocopie d’une carte postale (manifestation du souvenir, après la guerre : sur la pancarte «Camarades livrés par les traîtres, 1er mai 1942, disparus au camp d’Auschwitz, Poyens, Poiret, Baheu, Dehorter, Charlot, Boulanger, Morin, Allou»).
  • «Death Books from Auschwitz», Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Paris 1995 (basés essentiellement sur les certificats de décès, datés du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, relatifs aux détenus immatriculés au camp d’Auschwitz.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir). Item Cheminots. Version « bêta » Internet 2011. Notice Julien Cahon.
  • Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste V (N°31632) / Liste S (N°12).
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • www.lesmortspourlafrance80.fr/amiens/…/citadelle.htm
  • © CRDP de Créteil et Humanité. Lettre de Noël Baheu.
  • Registre matricule militaire, Etat civil © Archives en ligne du Pas-de-Calais.
  • ABCdaire des victimes du nazisme dans la Métropole d’Amiens (ADIRP de la Somme, 2008), pages 12, 15 et 102

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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