Clovis Dehorter : né en 1895 à Lederzeele (Nord) ; domicilié à Camon (à l'Est d'Amiens) Somme ; jardinier, cheminot, chauffeur de route ; adhérent CGT et communiste ; arrêté comme otage le 7 mai 1942 ; maison d'arrêt d'Amiens ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 19 septembre 1942.

Clovis Dehorter est né le 3 décembre 1895 au domicile de ses parents au hameau de Boonegham à Lederzeele (Nord).

Il habite 3, chemin de la Blanche Tache, en rue du Tour de Ville (1) à Camon (à l’Est d’Amiens) dans la Somme,  au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Victorine, Eugénie Devynck, 17 ans, ouvrière et d’Elie, Jérémie, Ovide Dehorter, 26 ans, batelier, son époux.
Il est le deuxième d’une fratrie de neuf enfants : dont Lucien, né en 1894, Tobie, né en 1898, Marie Madeleine, née en 1900, Marie, née en 1901, Ernest né en 1907, Maria, Jeanne, née en 1903 et Napoléon né en 1908.
Selon son registre matricule militaire Clovis Dehorter mesure 1m 66, a les cheveux châtain et les yeux gris, le front large et le nez cave, le visage
rond.
Au moment du conseil de révision, il travaille comme jardinier et habite à Saint-Omer, route Clairmarais. Il a un niveau d’instruction « n° 2 » pour l’armée (« sait lire et écrire et compter, instruction primaire« ).
Conscrit de la classe 1915, Clovis Dehorter est mobilisé fin 1914 par anticipation, comme tous les jeunes hommes de sa classe depuis la déclaration de guerre. Il est  incorporé au 57è Régiment d’infanterie le 15 décembre 1914. Après un peu plus de 4 mois d’instruction militaire, il passe « aux armées » (sur le front) le 8 avril 1915 dans le secteur de Verneuil (Aisne), jusqu’au 15 avril.
Il est blessé à Calonne par un éclat d’obus (la tranchée de Calonne est une route forestière reliant sur 25 km Hattonchâtel à Verdun) le 20 avril 1915  et il est
hospitalisé à l’hôpital temporaire de Cluny (Saône-et-Loire) pour une plaie à l’avant-bras gauche du 28 avril au 21 juin. Il est ensuite admis au dépôt de convalescents de Mâcon (Saône-et-Loire) jusqu’au 5 juillet. Il rejoint le dépôt du régiment le 5 août 1915.
Il est classé « service auxiliaire » par le conseil de réforme de Laval du 21 janvier 1916. Puis est déclaré « service armé, inapte un mois » par le même conseil de réforme du 20 avril 1916, pour « plaie par éclat d’obus à l’avant-bras gauche, ankylose du poignet ». Il repasse « aux armées », affecté au 350è Régiment d’infanterie le 31 juillet 1916. Il est à nouveau transféré le 18 août 1917 et rejoint le 46è Régiment d’artillerie. Le 16 août 1918, il « passe » au 209è Régiment d’artillerie de campagne et le 4 septembre 1918 au 278è Régiment d’artillerie de campagne. Le 1er janvier 1919, il est affecté « aux armées » au 227è Régiment d’artillerie de campagne (en opération). Il a fait 2 ans 5 mois 4 jours de « service armé ».

En juin 1919, Clovis Dehorter est embauché comme manœuvre à la Compagnie des chemins de fer du Nord, à Saint-Omer. Pour l’armée, cet emploi le fait alors « passer » administrativement, le 14 juin 1919, dans la réserve de l’armée active, à la 5ème section des chemins de fer de campagne en tant qu’« affecté spécial » (c’est à dire qu’il serait mobilisé à son poste de travail en cas de conflit armé).

Clovis Dehorter épouse Jeanne Janvier le 19 juillet 1919 à Beaumont-en-Artois
(Pas-de-Calais). Elle est née le 21 novembre 1898 à Manchecourt (Loiret). Le couple a deux enfants, Marcel, né le 23 décembre 1920 à Saint-Omer (Pas-de-Calais) décédé en 1995 à Tours, et Jacqueline, née le 5 février 1922 à Montdidier (Somme) décédée en 1996 à Salouël (Somme).
La commission de réforme d’Amiens en 1926, maintient Clovis Dehorter « service armé » avec une pension d’invalidité imputable au service de 10 %.
En août 1927, il travaille comme « chauffeur de route » au dépôt des chemins de fer à Amiens (Somme), et il habite 3, chemin de la Blanche Tache en rue du Tour de Ville à Camon.
En 1936, le registre du recensement indique qu’il est « chauffeur de route », que Marcel est apprenti et Jacqueline apprentie coiffeuse chez Larivière.
Il est adhérent à la CGT (délégué du personnel), membre du Parti communiste et adhérent à l’association des «amis de l’URSS».
Cheminot, « Affecté spécial » sur son poste de travail en cas de mobilisation générale, Clovis Dehorter n’est d’abord pas concerné par le décret de mobilisation de septembre 1939.
Mais il est rayé de « l‘affectation spéciale » le 22 février 1940 par décision du général commandant la 2è région militaire, comme la quasi totalité des cheminots « affectés spéciaux » soupçonnés d’appartenance à la CGT ou au Parti communiste. Il est alors « réintégré dans sa subdivision d’origine » et « rappelé à l’activité par ordre de rappel ». Affecté au dépôt d’artillerie n° 21, à la 402è batterie, il arrive au corps le 7 mars 1940.

Amiens : Archives allemandes, juin 1940

Après la percée allemande à Sedan, les troupes allemandes se ruent vers Amiens. Située sur la Somme elle est le dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris : la ville est un nœud ferroviaire et routier de première importance. Le 19 mai 1940, les Allemands sont aux portes d’Amiens. Malgré une résistance acharnée des armées françaises, Amiens est prise le 20 mai. La prise d’Amiens ouvre à la Wehrmacht la route de Paris et lui permet de poursuivre son offensive vers le sud. Les conditions d’occupation sont très dures. Abbeville, est prise par les Allemands de la 2ème  Panzerdivision le 20 mai 1940 et Le Tréport le 10 juin. Dès l’été 1940, une poignée d’hommes et de femmes forment les premiers groupes de Résistance dans le contexte de la défaite militaire, de l’occupation, de la mise en place du régime de Vichy. Au PCF, dans la clandestinité depuis septembre 1939, les premières structures de résistance sont opérationnelles à l’automne 1940.

Une grue de « relevage du matériel accidenté », octobre 1939, RGCF, site Retronews

Après sa démobilisation, Clovis Dehorter participe à la Résistance et rejoint le « Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France » (1) avec son camarade Roger Allou lui aussi de Camon.
Dans la nuit du 30 avril au Premier mai 1942, une grue de relevage de 32 tonnes est sabotée au dépôt d’Amiens. La plaque tournante du dépôt d’Amiens saute le 11 mai 1942, ce qui paralyse pour longtemps le trafic. (Témoignage de Noël Baheu, membre de l’OS, responsable des FUJP).

A titre de représailles, les Allemands arrêteront au total 37 cheminots du dépôt d’Amiens pour ces deux sabotages.

Carte postale  à la Libération

Des policiers allemands (Gestapo) arrêtent Clovis Dehorter le 7 mai 1942 en même temps que 8 autres cheminots du dépôt d’Amiens-Longueau qui sont arrêtés entre le 3 et le 20 mai et seront également déportés à Auschwitz avec lui : Roger Allou, Fernand Charlot, Paul Baheu, Fernand Boulanger, Albert Morin, Georges Poiret, Emile Poyen, Francois Viaud.
Lire l’article du site : Des cheminots d’Amiens-Longueau dans la Résistance.
Le commissaire central d’Amiens note à propos de Clovis Dehorter : « N’est pas connu des services de police ; toutefois, d’après les renseignements recueillis, aurait manifesté des sentiments communistes ».  La direction de la SNCF d’Amiens écrit : « Assure normalement son service depuis l’occupation allemande, dont les méthodes brutales conviennent mieux à son esprit obtus ».

Selon le témoignage de sa fille, Madame Jacqueline Jovelin, Clovis Dehorter a participé à la préparation du sabotage de la grue de relevage au dépôt d’Amiens..

De la prison d’Amiens, Clovis Dehorter est transféré sans jugement au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), vers la mi-juin pense sa fille.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz.
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Clovis Dehorter est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi.
Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.       

On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro « 45435 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces).
Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

© Dessin de Franz Reisz, 1946

Clovis Dehorter meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942,d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 1218). De nombreux déportés d’Auschwitz (dont 148 «45000») sont déclarés morts à ces mêmes dates à l’état civil d’Auschwitz : il est vraisemblable qu’il sont morts dans les chambres à gaz de Birkenau, gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée dans les blocks d’infirmerie.

Sa fiche d’état civil établie en France après la Libération porte toujours la mention «décédé le 15 octobre 1942 à Auschwitz (Pologne)». Il serait souhaitable que le ministère corrige ces dates fictives qui furent apposées dans les années d’après guerre sur les état civils, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Cette démarche est rendue possible depuis la parution de l’ouvrage « Death Books from Auschwitz » publié par les historiens polonais du Musée d’Auschwitz en 1995.
Lire dans le site Les dates de décès à Auschwitz.

Il a été déclaré « Mort pour la France » et homologué «Déporté politique» puis «Déporté Résistant» selon sa fille.
Il est homologué (GR 16 P 166109) au titre des Forces Française de l’Intérieur (FFI) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance.
La cellule du Parti communiste Français de la ville a été nommée cellule Clovis Dehorter à la Libération.

Stèle commémorative à Camon

Le 23 août 1945 Paul Garçon, maire, MM Jovelin, Capron et Durner demandent au Conseil s’il est possible d’allouer au comité de la Résistance de la guerre 39-45 une concession perpétuelle au cimetière à l’effet d’ériger un marbre à la mémoire des victimes du nazisme allemand. Satisfaction leur est accordée et la place de Duchateau leur est allouée.
Résistants inscrits sur cette stèle : Allou Roger, Bazin Emile et Albertine, Dehorter Clovis, Detourne Orner, Dumesge Jean, Gambier René, Huzieux Armand et Julia.

En avril 1969, le Conseil municipal de Camon donne le nom de Clovis Dehorter à une petite rue de la ville.

  • Note 1 : La rue du Tour de ville est renommée par le conseil municipal où siègent plusieurs communistes, rue Paul Vaillant-Couturier (journaliste et dirigeant du Parti communiste) après le décès de celui-ci le 10 octobre 1937. Le 22 novembre 1939, après la déclaration de guerre et l’interdiction du Parti communiste le conseil municipal, avec Gaston Brunel, maire (1924-1945), par 9 voix contre 5 reconnaît que « dans les circonstances actuelles, il n’est plus admissible que certaines rues de la Commune portent encore le nom de militants du Parti communiste. Le conseil décide en conséquence de redonner aux rues Raymond Lefebvre et Paul Vaillant Couturier les noms qu’elles portaient précédemment à savoir rue Moyenne et rue du Tour de Ville ». A la Libération, la rue du Tour de ville sera à nouveau nommée rue Paul Vaillant-Couturier. Elle donne dans la rue Roger Allou (l’autre « 45.000 » cannonnier).Note 2 : Le Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France est créé en 1941 par le Parti communiste vers la mi-mai 1941.

Sources

  • Questionnaire rempli par Mme Jacqueline Jovelin, sa fille (2/12 octobre 1990). Elle m’a envoyé une photocopie d’une carte postale (manifestation du souvenir, après la guerre : sur la pancarte « Camarades livrés par les traîtres, 1er mai 1942, disparus au camp d’Auschwitz, Poyen, Poiret, Baheu, Dehorter, Charlot, Boulanger, Morin, Allou).
  • M. Lalou, ADIRP d’Amiens (26 mars 1991).
  • «Death Books from Auschwitz», Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Paris 1995 (basés essentiellement sur les certificats de décès, datés du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, relatifs aux détenus immatriculés au camp d’Auschwitz.
  • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz
  • © Photo et infos ADIRP Camon.
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • © Archives en ligne : état civil du Nord. Registres matricules militaires.
  • Arbre généalogique de Madame Anne Planke.
  • Registre matricule militaire de Clovis Dehorter
  • Recensement de 1936 à Camon.
  • Rues de Camon : https://camonpassionnement.pagesperso-orange.fr

Notice biographique rédigée en juillet 2011, complétée en 2015, 2018 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Un Commentaire

  1. Bonsoir je viens de lire cette article
    Monsieur Clovis Dehorter été mon grand père Maternelle
    Ma fille vient de m’envoyer cette article maintenant j’en sais un peu plus sur cette
    Grand homme quettais mon grand père
    J’en suis très fière je ferais cette article à mes deux enfants ainsi que mes petits enfants

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