Eugène Tartasse le 8 juillet 1942

Matricule « 46 130 » à Auschwitz

Eugène Tartasse : né en 1892 à Paris 7è ; domicilié à Paray-Vieille-Poste (Seine-et-Oise / Essonne); peintre en bâtiment, conseiller municipal communiste ; arrêté le 24 octobre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 10 août 1942.

Eugène Tartasse (Léon) est né le 9 mai 1892 à Paris (7è).
Il habite au 23, avenue Pierre Curie à Paray-Vieille-Poste (Seine-et-Oise / Essonne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Jeanne Durand, 31 ans, blanchisseuse et de Prosper Tartasse, 33 ans, peintre en bâtiment, son époux. Il a quatre frères et une sœur : Louis (1877-1948), Prosper (1883-1952), Georges (1885) Jean-Baptiste (1894-1965) et Henriette (1879-1964).
Son registre militaire nous apprend qu’il mesure 1m 66, a les cheveux châtains, les yeux bleus, le front moyen, le nez rectiligne et le visage ovale. Au moment du conseil de révision, Eugène Tartasse habite chez ses parents au 33, rue Normande à Paris 7è. Il est peintre en bâtiment. Il a un niveau
d’instruction n° 2 pour l’armée (sait lire et écrire). Il vit maritalement avec Philomène Grandguillot (elle est couturière, née le 6 juin 1889 à Paris 15è / elle est décédée à Juvisy le 21 août 1970), avec laquelle il aura trois enfants (Léon Henri (1911-1983) , Annette (1912-1991), Eugène (1914-1977).
Conscrit de la classe 1912, Eugène Tartasse est appelé au service militaire le 10 octobre 1913 et incorporé au 45è Régiment d’artillerie de campagne à Orléans.
Il est classé « soutien absolu de famille ».

Le journal du Loiret, publication de mariage

Le 2 mai 1914, Eugène Tartasse épouse Philomène Grandguillot au Kremlin-Bicètre (Seine / Val de Marne).

Mais le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La mobilisation générale française a été décrétée le 1er août.
Léon Tartasse est mobilisé pour la durée de la guerre. Il part donc « aux armées ». Il est transféré au 175è Régiment d’artillerie le 10 avril 1918. Il est transféré au 209ème RA le 11 avril 1919 et démobilisé le 4 septembre 1919 « certificat de bonne conduite accordé ».
En octobre 1919, le couple habite 18 rue Borromée à Paris 15ème. En octobre 1925, il a déménagé au 16, villa des Gobelins à Paris 13ème. Puis il part en Seine-et-Oise à Paray-Vieille-Poste au 23, rue Pierre et Marie Curie.
Eugène Tartasse est élu en 1935 conseiller municipal sur la liste du Parti communiste de Paray-Vieille-Poste.
Il est le secrétaire local du Secours populaire.
En 1936, le couple et leur fils Eugène qui est également peintre en bâtiment, habitent rue des Pervenches.
Le 5 octobre 1939 le maire de Paray, Léon Bertrand, et tout le conseil municipal sont suspendus : à partir du 20 novembre 1939 et pendant toute l’Occupation, la commune est «administrée» (délégation spéciale présidée par M. Chrétien, puis par Marcel Souillat jusqu’à la Libération de Paray, le 24 août 1945). En février 1940, il est placé dans la position « sans affectation » pour l’armée : père de famille de trois enfants, il est passé dans la deuxième réserve (classe 1906).

Le 15 juin la gare de Juvisy est bombardée par la Luftwaffe. Le département de la Seine-et-Oise (une partie constituera l’Essonne le 1er  janvier 1968) est occupé malgré la résistance acharnée du 19ème régiment de tirailleurs algériens sous les ordres du colonel Chartier, qui ne capitulera – faute de munitions – que le 16 juin. Le 14 juin, l’armée allemande est entrée par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.
Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Le maire Léon Bertrand est arrêté le 24 octobre 1940, par la police française, en même temps que l’ensemble du Conseil municipal (cinq d’entre eux seront déportés à Auschwitz : François Malard, Henri Dugrès, Marcel Ouvrier, Eugène Tartasse et Marcel Vaisse).
Ces arrestations ont lieu dans le cadre des rafles organisées à partir du 5 octobre 1940 (avec l’accord de l’occupant) par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la Seine et de la Seine-et-Oise (élus, cadres du parti et de la CGT) avec la remise en vigueur du décret du 18 novembre 1939 sur «l’éloignement des suspects et indésirables».

Eugène Tartasse est interné le 1er novembre 1940 au camp d’Aincourt, en Seine-et-Oise, ouvert spécialement, le 5 octobre 1940 pour y enfermer les militants arrêtés. Le maire Léon Bertand est déporté en Algérie.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Selon le Maitron : « Ayant pris part aux incidents contre les internés partisans de Gitton il est livré aux autorités d’occupation » (note 1).
Le 27 juin 1941 Eugène Tartasse est remis aux autorités allemandes à leur demande. Elles le transfèrent avec 87 autres internés, dont ses quatre camarades de Paray, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122). A Compiègne Eugène Tartasse est affecté au bâtiment C9, il reçoit le matricule 861.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Tartasse est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Immatriculation le 8 juillet 1942

Il est immatriculé à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 46 130 » et sous le
prénom de Léon.
Sa photo d’immatriculation (4) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Les barbelés d’Auschwitz I © Claudine Cardon-Hamet

Eugène Tartasse meurt à Auschwitz le 10 août 1942 d’après son certificat de décès établi au camp pour le registre d’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 3, page 1238). Son acte de décès enregistré le 12 décembre 1946 porte la date du 11 août 1942. Un arrêté du 19 juillet 1999 (JO du 28 octobre 1999) porte apposition de la mention «Mort en déportation».

Monument aux héros de la Résistance

Eugène Tartasse est homologué «Déporté politique» en 1952. Il est homologué (GR 16 P 562559) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance. Son nom est inscrit sur le monument aux morts du cimetière de Paray, ainsi que sur le monument «Aux Héros de la Résistance 1940-1945», place Maxime Védy, avec celui de 12 autres de ses camarades, fusillés ou mort(e)s en déportation.

A l’initiative du maire Léon Bertrand revenu de déportation en Algérie, une rue de Paray honore son nom depuis octobre 1944.

  • Note 1 : Gitton, secrétaire national à l’organisation, rompt avec le Parti communiste à la signature du Pacte germano soviétique. Il crée le POPF, proche de la «Révolution nationale». «Il voulait rassembler les dissidents communistes autour de lui et se fixa comme une priorité absolue la libération d’un maximum d’internés après, s’entend, les avoir récupérés. (…) Quant au directeur du camp d’Aincourt il comprit le parti qu’il pouvait en tirer. En février 1941 il recevait dans son bureau les amis (internés) de «Gitton, Clamamus, Doriot» et entretint des contacts réguliers avec Gitton et Capron. Avant juin 1941, il fut relayé par la presse parisienne visant la clientèle anciennement communiste, ainsi de La France au travail et du Cri du peuple qui lancèrent une campagne pour la libération des internés. Le POPF suscita ainsi, avec le soutien du chef de camp, une véritable dissidence parmi les internés d’Aincourt. Effectivement, les tensions furent très importantes au sein du camp et les nombreux indicateurs permirent de démanteler trois directions communistes clandestines.(…) Le résultat était là : selon un rapport en forme de bilan, le chef d’Aincourt estimait, en février 1942, à quelque 150 le nombre de membres du POPF, soit 13 % des internés passés par le camp. En outre, la moitié des signataires de la première «Lettre ouverte aux ouvriers communistes» du POPF et le cinquième de la seconde étaient des anciens du camp. On mesure l’ampleur de la fracture, même si les déclarations de reniement méritent d’être nuancées à l’aune du marché implicite. En fait, la libération obtenue au prix d’un reniement officiel et du soutien des gittonistes ne déboucha que pour une petite minorité sur un engagement au sein du POPF ». (Denis Peschanski, in La France des camps, p. 515 à 517).
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des
    « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des
    membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver
    de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les
    archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André
    Montagne
    , alors vice-président de l’Amicale
    d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Correspondance avec Mme Janine Henin professeur d’Histoire : courriers et envoi d’une partie de la maquette du livre «Paray d’hier et d’aujourd’hui» / Collectif, Henin (J.), coord. Ville de Paray-Vieille-Poste, 1988.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, tome 42, page 46, notice rédigée par Nadia Tenine-Michel et CD-Rom édition 1997.
  • Bureau de la Division dess archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (fiche individuelle consultée en octobre 1993).
  • Liste du Mouvement de Libération Nationale : dossier AU2.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. « Premier camp d’internement des communistes en zone occupée« , Dir. C Delporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines /
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • © Archives en ligne de Paris.
  • Photo du monument aux héros de la résistance © Musée de la résistance en ligne.
  • Registres matricules militaires de la Seine.

Notice biographique rédigée en août 2011 (mise à jour en 2017 et 2019) par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942», Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

Un Commentaire

  1. Bonjour,

    Cette personne est mon arrière-arrière grand-père, j'ai découvert son passé il y a quelques mois en faisant des recherches. Hier j'ai enfin pu mettre un visage sur sa personne..

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