Matricule « 45 561 » à Auschwitz

 

Eugène Friot : né en 1889 à Paris 10ème ; domicilié à  Graville Sainte-Honorine (commune rattachée au Havre en 1919 – Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; cordonnier, ouvrier d’usine, épicier-cafetier ; radical socialiste puis, communiste ; syndiqué CGT ; arrêté le 22 ou le 23 juin 1941, arrêté le 23 ou 24 février 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 2 septembre 1942.

Eugène Friot est né le 4 octobre 1889 à Paris 10ème. Il habite au 59, rue des Chantiers à Graville Sainte-Honorine (commune rattachée au Havre en 1919 – Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Amélie Friot, 25 ans, domestique, domiciliée à Saint-Ouen au 64, rue des entrepôts.
Conscrit de la classe 1909, il est recensé à Lestrem (Pas-de-Calais) où il est domicilié dans le canton de Béthune (Pas de calais). Matricule 3915, il a les cheveux châtains, le front dégarni, le nez fort, le visage plein. Il mesure 1 m 59 et a pour l’armée un niveau d’instruction n° 3 (sait lire, écrite et compter, instruction primaire développée). Il est exempté par le conseil de révision pour « rétractation de l’aponévrose palmaire des deux mains » (maladie de Dupuytren).
Lors de la déclaration de guerre, il s’engage volontairement le 14 octobre 1914 au 129° Régiment d’infanterie à Béthune et rejoint le corps le 22 octobre 1914. Mais il est classé service auxiliaire le 15 janvier 1915 par décision du contre amiral commandant la 8° subdivision. Il est alors détaché aux usines Schneider du Havre, jusqu’à sa libération  le 25 juillet 1919.
En 1918, au moment de son mariage il est donc ouvrier d’usine, domicilié au 14, Hoc à Graville (adresse des usines Schneider). Il se marie le 1er juin 1918 avec Jeanne, Emélie Boudechen, à Graville-Sainte-Honorine. Mineure sans profession, elle est née le 29 mai 1898 au Havre.
En 1919, la commune est rattachée au Havre. Le couple va habiter au 71, rue des Chantiers à Graville, chez le père de la mariée, Louis Ferdinand Boudechen, métallurgiste.
Le couple a deux filles et un garçon : Renée Germaine, née le 9 juin 1919, Louise Delphine, née en 1921, Eugène, Maurice naît le 11 novembre 1925, mais décède le 30 juin 1926.
Louis Friot tient par la suite un commerce qui fait à la fois épicerie, café, vente et livraison de charbons et déménagements.

Le Petit Havre du 13 mai 1935

Eugène Friot est adhérent au Parti radical-socialiste. Il est élu, avant 1933, président du Comité de défense du quartier des Neiges.
Il est élu conseiller municipal du Havre (1) dès le premier tour du scrutin de ballotage du 12 mai 1935 en dix-septième position sur la liste du maire sortant, Léon Meyer (source Mme Sylvie Barot, archiviste au Havre et Le Petit Havre du 13 mai 1935).

Il adhère au Parti communiste en novembre 1938
(source policière) et il est également militant syndical CGT. Le 18 juillet 1938, il est condamné à 16 francs d’amende avec sursis pour l’organisation d’une loterie clandestine. Et il « reçoit dans son établissement des  communistes notoires » selon la police.
Après la déclaration de guerre et l’interdiction du Parti communiste, Eugène Friot est déchu de son mandat de conseiller municipal. « L’aggravation de la répression à l’égard de ceux qui ont été qualifiés de « défaitistes », avec l’application de la loi de déchéance du 20 janvier 1940, priva de leurs mandats de conseillers généraux et d’arrondissement d’abord René Cance et Lucien Vallée, le 2 février 1940, puis Jules Le Troadec et Georges Déziré le 9 février. Dans le même temps, Eugène Friot, devenu communiste, fut déchu de son mandat de conseiller municipal » (in Marie-Paule DHaille-Hervieu « Communistes au Havre « / Chapitre 4. Les années troubles et les souvenirs de gloire : Résistance et déportation (1938-1944), note 21).

Le Havre occupé, 1941 AJPN © D.r.

Les troupes allemandes entrent dans Le Havre le jeudi 13 juin 1940, et transforment la ville et le port en base navale (on comptera jusqu’à 40.000 hommes de troupe). Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, et Rouen. Une Kreiskommandantur est installée à L’Hôtel de ville du Havre. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Eugène Friot est arrêté par les Allemands le 22 ou le 23 juin 1941, en même temps que Gaston Mallard. Cette arrestation a lieu dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française les internent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Eugène Friot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Eugène Friot le 8 juillet 1942 à Auschwitz

On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 jusqu’à l’exposition des fusillés et déportés du Havre organisée par l’Union locale CGT fin 2014.
Grâce à cette exposition et à la vigilance de Jean-Paul Nicolas, nous avons pu comparer cette photo avec celle du matricule «45 561» dont le numéro, quoique plausible, ne pouvait être attribué de façon certaine à Eugène Friot en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules.
Mais la ressemblance de la photo d’avant guerre, où il est bien plus jeune, avec celle de l’immatriculation à Auschwitz publiée ci-dessus est cependant patente.

Eugène Friot se déclare comme cordonnier lors de son enregistrement à Auschwitz, son ancien métier.
Cette photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz

Eugène Friot meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 318).

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès paru au Journal Officiel du 21 novembre 2009, et qui porte toujours une date inexacte (15 septembre 1942) : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).

Son nom a été donné à la Libération à une cellule du Parti communiste du Havre dans le quartier des Neiges, et, par délibération du Conseil municipal du 9 juillet 1956, à une rue du Havre, qui croise la rue des Chantiers où il habitait.

Une plaque est apposée sur son ancien domicile au 59, rue des Chantiers «Souviens-toi. Ici a demeuré Eugène Friot, mort le 10 octobre 1942 à Auschwitz».

Rue Eugène Friot

Un stade (avec gymnase, tennis et dojo) porte également son nom, 10, rue Eugène Friot au Havre.

©Thierry Prunier / Mémorial Genweb

Le nom d’Eugène Friot est également inscrit sur le monument commémoratif de la Résistance et de la Déportation du Havre «Le 29 avril 1990, l’urne contenant des cendres de nos héros et de nos martyrs morts en déportation a été transférée dans ce monument».

Mémorial du PCF à Rouen, Relevé Thierry Prunier

Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».

Note 1 : On trouve sur au moins deux sites internet la mention « il est élu conseiller départemental du Havre en 1935 ». Il s’agit sans doute d’une erreur : d’une part il n’y a pas d’élection de « conseiller départemental » en France avant la réforme de 2013, et d’autre part s’il s’agit d’une confusion avec le titre de conseiller général ou d’arrondissement, nous n’avons pas trouvé mention du nom d’Eugène Friot dans la liste des conseillers généraux ou conseillers d’arrondissement élus dans un des cantons du Havre, ni en 1934 ni en 1936. Nous savons par contre qu’il est élu conseiller municipal sur la liste du Maire sortant, Léon Meyer en 1935 (cf. illustration plus haut.

Sources

  • « Liste Boisard » des « Habitants du Havre morts dans les camps de concentration et dont il a été possible de retrouver les noms« , établie en 1968 et fournie en 1973 par Louis Eudier à Roger Arnould, documentaliste à la FNDIRP.
  • Renseignements fournis par Mme Sylvie Barot, conservateur des Archives du Havre (18 juin 1992 et 23 mars 1994).
  • Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
  • Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie parla CGT de Seine Maritime.
  • « 30 ans de luttes au service des Travailleurs Normands et de la Pai »« , page 59 (brochure édité par la Fédération de Seine Maritime du Parti communiste en 1964).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993. Archives de Caen du ministère de la Défense(archives du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre : photocopie de la déclaration de son décès à l’état civil d’Auschwitz).
  • © Rue Eugène Friot, site GGHMS, Christian Leguyon
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb».
  • © Site Internet Légifrance.gouv.fr
  • Photo d’Eugène Friot avant-guerre © Union Locale Cgt du Havre, in exposition photographique de 78 militants CGT du Havre fusillés ou déportés. Remerciements à Pierre Lebas et Thierry Leballeur. Photo transmise par Jean-Paul Nicolas en janvier 2015.
  • Etat civil de Paris.
  • Annuaire des Havrais en Résistance(s).

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018, 2022 et 2024. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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