Matricule « 45 340 » à Auschwitz

Hilaire Castelli le 8 juillet 1942 à Auschwitz
Extrait du film © Cio Chini firmarà

Hilaire Castelli : né en 1888 à Carcheto (Corse) ; domicilié au Petit-Quevilly  (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; brigadier des douanes ; communiste, secrétaire de cellule ; arrêté le 23 juin 1941 ; écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt

Hilaire, Pierre, Toussaint Castelli est né le 16 janvier 1888 à Carchetto (Corse / Haute-Corse). Il est le fils de Marie, Philomène Casabianca et de François, Antoine Castelli, gendarme à pied, son époux. Il a deux sœurs.
Hilaire Castelli signe un engagement de quatre ans pour l’armée en 1906. Il effectue cette période au 163ème Régiment d’Infanterie. Il est libéré en 1910 avec le grade de sergent.
Son registre matricule militaire nous le décrit : cheveux et yeux « châtain foncé », teint basané, 1 m 60.
Après la déclaration de guerre, il est mobilisé le 26 avril 1915 au 39ème RI.
Il est nommé adjudant en 1916 et adjudant-chef le premier mai 1917. Il passe au 172ème RI le 19 janvier 1918. Il est libéré le 28 janvier 1919.

Il a reçu la croix de Guerre avec étoile de bronze.

Hilaire Castelli a été blessé plusieurs fois, en 1915 et en 1917 (blessure au coup par éclat de grenade). Il est cité à l’ordre de la brigade (n° 28 le 26 avril 1917) : « Chef de section brave et plein d’allant, véritable entraîneur d’hommes, a assuré pendant 48 heures la défense du barrage constamment attaqué par l’ennemi ».  Il reçoit la croix de Guerre avec étoile de bronze.

Il se retire alors à Rouen et il habite avenue du Mont Riboudet et devient préposé administratif des douanes.
Hilaire Castelli a épousé Marie-Françoise Scampucu, institutrice. Elle est le 26 août 1887 à Casabianca (au nord-est de Corte). Elle quitte son métier abandonne ensuite son métier pour s’occuper de leurs enfants : Marie, Philomène, née le 18 janvier 1911 à Rouen ; Albert, Sébastien, Edmond, né le 6 juin 1912 à Rouen (décédé le 12 mai 1922),  Marie, Jeanne, née le 22 février 1915 à Rouen (décédée le 27 décembre 1935), Françoise, Antoinette, née le 21 février 1918 à Rouen (décédée le 12 février 1940) et Albert, Sébastien, Edmond, né le 14 mai 1923 à Pont-Audemer (). Le couple a cinq enfants nés entre 1911 et 1923, mais trois d’entre eux meurent entre 1922 et 1940.
Hilaire Castelli passe brigadier des Douanes : il est nommé chef de poste à Petit-Couronne (Seine-Inférieure-Seine-Maritime), au début des années 1930, puis, après son départ en retraite obtenu en 1938, il devient cafetier à Rouen (Seine-Maritime).
Il est secrétaire de la cellule du Parti communiste des Douanes n°52, en 1935-1936. Il est ensuite secrétaire du sous-rayon du Parti communiste au Petit-Quevilly.
Militant de la CGT, il semble avoir été inscrit le 30 août 1939 au Carnet B de la police française répertoriant les éléments qui représentent « réellement » un danger pour l’ordre intérieur (ces archives de la rue des Saussaies sont saisies en 1940 par l’Abwehr, les services secrets de l’armée allemande).

Troupes allemandes à Rouen

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Ces listes ont été préparées par la surveillance des anciens militants communistes opérée par différents services de police de la région Rouennaise, ainsi qu’en témoigne le rapport de police (1) en date du 31 mars 1941 résultant des enquêtes et filatures de l’inspecteur principal C… qui en a
fait rapport le 31 mars 1941 au commissaire divisionnaire de police spéciale, Jean D. à Rouen. 
Ce rapport est transmis au Préfet René Bouffet en juillet pour établissement de la liste demandée par les Allemands. Concernant Hilaire Castelli, le rapport du 31 mars indique :

Photo montage de l’en tête de la première page du rapport  et des pages 3 et 4

« CASTELLI, Hillaire, ancien Brigadier des Douanes, communiste notoire, ancien Chef de Section et de cellule. Il a été signalé à maintes reprises comme un élément dangereux, bras droit de Vallé Lucien ; il fut proposé à un moment donné pour l’inscription au Carnet B.
Depuis sa mise à la retraite, il exploite un café meublé, avenue Jean-Jaurès, à Petit-Quevilly. Son établissement est un lieu propice pour la rencontre recherchée des éléments douteux, et c’est là pour la plupart du temps que se prépare la forme d’action de propagande 
».

Hilaire Castelli est arrêté le 23 juin 1941 et interné par les Allemands en juillet au camp de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122), sous le numéro  n°1395. En effet, à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique, les Allemands arrêtent
plus de mille communistes en région parisienne et dans la zone occupée, avec l’aide de la police française (nom de code de l’opération : «Aktion Theoderich»).

Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Hilaire Castelli est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Hilaire Castelli à Auschwitz, le 8 juillet 1942

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45340». (En l’absence de références aux registres du camp, je lui avais attribué ce numéro, de manière hypothétique en tenant compte de l’ordre des listes alphabétiques partiellement reconstituées.
Son fils a reconnu en 2006 le visage de son père sur la photographie d’immatriculation à Auschwitz correspondant à ce numéro).
Cette photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz

Les barbelés d’Auschwitz I © Claudine Cardon- Hamet

Aucun document des archives SS préservées de la destruction ne permet de connaître la date de son décès à Auschwitz. Le ministère des Anciens combattants a fixé celle-ci « en octobre 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Hilaire Castelli serait mort en se jetant sur les barbelés (témoignage recueilli par Roger Arnould), ou se serait pendu dans son block selon le témoignage de Robert Gaillard à sa famille. Il est déclaré «Mort pour la France» le 19 juin 1947. La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (Journal Officiel N° 200 du 30 novembre 2007).

Une rue du Petit-Quevilly honore son nom (Rue Hilaire Castelli, victime du nazisme », qui a été également donné à une allée de Grand-Couronne).
On trouvera sur le site de l’Association «Mémoire vive» plusieurs photos, documents et témoignages de famille, provenant de son fils Albert. Lien : Hilaire Castelli 

  • Note 1 : ce rapport m’a été communiqué par M. Marc Le Dret, petit-fils de Marcel Le Dret , qui l’a reçu de Pierre Jouvin, fils de Louis Jouvin.
  • Note 2 : 524 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Listes de déportés de Seine-Maritime établies à leur retour de déportation parLouis Jouvin et parLouis Eudierin «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
  • Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997 et tome 21, p.290.
  • Mairie juin 1992 : Acte de décès n° 37 ; registre 54, dossier n° 34696, 18 mars 1947.
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb». Le Petit Quevilly (relevé Jean Charles Quirion)
  • © Sitewww.mortsdanslescamps.com
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»
  • © Site Internet «Généanet»
  • © Registre matricule militaire, Corse du Sud.
  • Photo extraite du film © Cio Chini firmarà de Paul Filippi, à partir des photos de famille d’Albert Castelli.

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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