Matricule « 46 214 » à Auschwitz

Julien Aligny au 67ème RI © Anne-Laure Sorin, sa nièce

Julien Aligny : né le 4 mai 1914 à Prétot-Vicquemare  (Seine-Inférieure) ; domicilié à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; magasinier ; communiste, secrétaire de la CGT du Textile de Rouen ; arrêté le 21 juin 1941 ; remis en liberté le 14 juillet 1941 ; sabotage de voies ferrées, agent de liaison ; arrêté le 21 octobre 1941 ;  écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 30 juillet 1942.

Julien , Gustave, Charles Aligny, dit Legran, est né le 4 mai 1914 à Prétot-Vicquemare  (Seine-Inférieure). Il habite au 193 rue Saint-Julien à Rouen (Seine-Inférieure/Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Léopoldine, Angèle Pasquier, 21 ans, journalière-servante, puis lingère, reconnu par sa mère le 2 juin 1914 et reconnu par son père, Auguste, Médéric Aligny, 22 ans, journalier, puis bûcheron le 11 mai 1919 lors de son mariage avec Léopoldine Pasquier.
Il a une sœur, Alice (1921-2005)
Conscrit de la classe 1934, il effectue son service militaire au 67° Régiment d’infanterie.
Le 22 décembre 1937 Julien Aligny épouse à Rouen Georgette Cougy. Agée de 23 ans, née le 29 octobre 1914 au Havre, elle est lingère et domiciliée au 14, place du Vieux marché au Havre.
En 1938, le couple a une fille, Monique, âgée de 3 ans au moment de la première arrestation de son père.
Ouvrier du textile (magasinier), Julien Aligny a été adhérent des Jeunesses communistes.
Puis il adhère au Parti communiste, dont il est un des animateurs de la section de Rouen sous le pseudonyme de Legran.
Il est secrétaire de la  CGT du Textile de Rouen.

«Il était connu pour son appartenance au Parti communiste avant la Seconde Guerre mondiale. Sous le nom de Legran, il animait la section communiste de Rouen » (in Le Maitron, notice de Claude Pennetier)

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940 et au Havre, le jeudi 13 juin 1940 pendant que brûlent les bacs à pétrole de la Shell à Petit-Couronne. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen. A partir de 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional (René Bouffet) réclame aux services de Police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

« Poursuivant, dès le début de l’Occupation, ses activités militantes, il fut arrêté le 21 juin 1941 pour avoir diffusé de la presse communiste. Remis en liberté le 14 juillet suivant, il participa à des distributions de tracts jusqu’à sa nouvelle arrestation dans la nuit du 20 au 21 octobre 1941. Il avait organisé auparavant un sabotage de voies ferrées et assumé des tâches d’agent de liaison» (in Le Maitron).

Julien Aligny est arrêté à nouveau le 21 octobre 1941, à une heure du matin à son domicile, par la police militaire allemande : cette arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly).
Lire  blog Le « brûlot » de Rouen.
Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre. Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Julien Aligny est interné à Compiègne le 25 octobre 1941. Il y reçoit le numéro matricule « 2047 ».

Pendant son internement à Compiègne, son nom figure à plusieurs reprises sur des listes (assorties de fiches d’otages) servant à désigner les otages à fusiller après un attentat.

Sa fiche d’otage indique qu’il est connu de la police française comme communiste et que le SD (service de sécurité allemand) considère qu’il avait continué de militer clandestinement, après l’interdiction du Parti communiste.
Le 29 octobre 1941, son nom figure sur une liste d’otages dans laquelle il est «recommandé de séparer communistes et gaullistes» (CDJC XLII-66). Le 8 décembre 1941, en réponse aux demandes du Haut commandement militaire dans le but de former un convoi de 500 individus vers l’Est, la Feldkommandantur 517 de Rouen établit une liste de 28 communistes : «actuellement au camp de Compiègne et pour lesquels est proposé un convoi vers l’Est. Cette liste a été complétée de quelques personnes arrêtées à la suite de l’attentat du Havre du 7 décembre 1941». Son nom y figure également (CDJC XLIII – 56).

Le 23 décembre 1941, son nom est inscrit sur la liste de recensement des 131 jeunes communistes du camp de Compiègne nés entre 1912 et 1922, aptes à être déportés « à l’Est », en application de l’avis du 14 décembre 1941 du commandant militaire en France, Otto von Stülpnagel (Document montage ci-dessus).
Le 8 février 1942, il figure sur une liste de 25 otages pouvant être fusillés en représailles à l’attentat du 21 janvier 1942 à Elbeuf  (CDJC XL III – 46). Document en tête de cette notice biographique .

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Julien Aligny est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46 214» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Julien Aligny meurt à Auschwitz le 30 juillet 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1430). La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (parution au Journal Officiel du 15 mai 1987). A cette date son acte décès portait «décédé le 15 septembre 1942 à Auschwitz». Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).
On trouvera sur le site de l’association «Mémoire Vive» deux portraits de Julien Aligny.

Paris-Normandie du 1 mai 2015

Pour les cérémonies de 2015 de la Journée nationale de la déportation, Jacques Etancelin instituteur retraité déclare à Paris Normandie : « Depuis des années, je contribue au devoir de mémoire. Julien Aligny, Prétotais, a été déporté. Nous nous devons, pour sa mémoire et celle des nombreuses autres victimes, de poursuivre les cérémonies. »

Sources

  • Liste de militants de la CGT, fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
  • Fiche d’otage (CDJC XLV-42, traduction par Mme Lucienne Netter, professeur au lycée Jules Ferry, Paris).
  • Liste d’otages du 29 octobre 1941 : CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine) XLIII-66.
  • Liste de 25 otages pouvant être fusillés en représailles à l’attentat du 21 janvier 1942 à Elbeuf (liste en date du 8 février 1942) : CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine) XLIII – 46.
  • Liste d’otages du 8 décembre 1941 : CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine) XLIII – 56.
  • Liste des jeunes communistes nés entre 1912 et 1922, «aptes à être déportés à l’Est» 23/12/1941 (archives du CDJC. XLIV-198).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 17, page 80. Notice Stéphane Courtois.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *