Maurice Granjon : né en 1895 à Paris 20è ; domicilié à Sainte-Adresse (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; boulanger, ébéniste ; délégué CGT, sympathisant communiste ; arrêté le 27 janvier 1941, condamné à 13 mois de prison ;  écroué au Havre ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt 20 septembre 1942.

Maurice Granjon est né le 8 décembre 1895 au domicile de ses parents, rue de Terre Neuve à Paris 20è.  Maurice Granjon habite au 32, rue du Puits à Sainte-Adresse (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Joséphine Pierre (31 ans) et de Joseph Granjon (31 ans) son époux. Tous deux sont journaliers.
Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 65, a les cheveux blonds et les yeux marrons, le front ordinaire, le nez rectiligne, le visage ovale. Au moment de l’établissement de sa fiche, il est orphelin de père et de mère. Il est mentionné qu’il travaille comme boulanger, puis ébéniste. Il habite au 40, rue de la Volga à Paris 20ème. Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire écrire et compter, instruction primaire développée).
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. La mobilisation générale française a été décrétée le 1er août. Maurice Granjon, conscrit de la classe 1915, n’aurait dû être mobilisé qu’en décembre 1914, comme tous les jeunes hommes de sa classe. Mais il s’engage volontairement le 28 septembre 1914 à la Mairie de Paris 10è pour la durée de la guerre, au 53è Régiment d’Infanterie où il arrive le 1er  octobre. Il est transféré au 141è RI le 12 octobre.
Il est nommé caporal de 26 octobre 1914. Transféré au 153è RI le 7 janvier 1915. Le 7 août 1915, hospitalisé malade, il est transféré au 7è bataillon de chasseurs à pied. Il est blessé au poignet droit (contusion) par un éclat d’obus le 26 octobre 1916 à Douaumont. Il est évacué blessé jusqu’au 2 décembre. Il retourne au front et il est à nouveau blessé le 15 décembre 1916 lors de l’offensive française à Bezonvaux (ce village est depuis rayé de la carte).
Il épouse Ernestine, Léonie Kieffer le 20 janvier 1917 à Paris 20è. Militaire, il est alors domicilié au 40, rue du Volga à Paris 20è. Léonie Kieffer, cartonnière, est née le 21 juillet 1895 à Paris 20è. Elle est domiciliée au 138, rue d’Avron à Paris 20è.
Revenu au front, Maurice Granjon est blessé au lieu-dit Bois du Paradis (versant sud du Chemin des Dames) par éclats d’obus le 7 mai 1917 (plaies à l’épaule et au bras gauche). Il est évacué et hospitalisé jusqu’au 7 juin 1917, et convalescent jusqu’au 14 juillet 1917. Le 15 juillet 1918, il est cassé de son grade et transféré au 500è Régiment d’artillerie lourde.
Le 13 septembre 1919, il est démobilisé et retourne habiter au 40, rue de la Volga.
En février 1920, le couple habite à Bagnolet, au 37, rue du clos Breton. Ils ont un garçon, René, Félix né le 21 janvier 1926, qui décède le 21 août de la même année. Le couple se sépare, mariage dissous par jugement du tribunal civil de la Seine, le 18 juillet 1927.
En décembre 1927, Maurice Granjon déménage au 49, rue Galliéni toujours à Bagnolet. Il quitte la région parisienne pour Le Havre en février 1928 et habite au 23, rue Saint-Roch. En 1927, il est embauché comme ébéniste plaqueur aux Établissement Doré, au 20 rue Louis-Philippe au Havre.
En 1930 et jusqu’en 1936, il emménage au 24, rue Louis Philippe au Havre.
Le 2 décembre 1932, il épouse Marie, Catherine, Alice Garrec. 34 ans, sans profession, elle est née le 18 juillet 1898 à Penmarch (Finistère). Elle est domiciliée au 24, rue Louis Philippe.
À partir de 1936, Maurice Granjon assiste à un grand nombre de réunions syndicales, puis à plusieurs réunions politiques au moment des élections.
Devenu sympathisant communiste (il existe des cartes de sympathisants à cette époque), il participe alors à plusieurs distributions de tracts
communistes. En 1938, il est élu délégué syndical avec l’étiquette CGT (source policière).
Il est père de deux enfants et de ce fait ramené à la classe de mobilisation 1911.

Les troupes allemandes entrent dans Le Havre le jeudi 13 juin 1940, et transforment la ville et le port en base navale (on comptera jusqu’à 40.000 hommes de troupe). Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, et Rouen. Une Kreiskommandantur est installée à L’Hôtel de ville du Havre. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Fiche d’otage de Maurice Granjon

Maurice Granjon est arrêté le 27 janvier 1941 par la police française (le même jour et pour les mêmes motifs que ses camarades Léon BellengerMaurice Vernichon, et Marcel Couillard.
Sa fiche d’otage (document CDJC XLV-42) établie le 6 mai 1942 indique comme motif d’arrestation «possession et distribution de tracts communistes dans la rue et à ses camarades de travail, en décembre 1940 et en janvier 1941» .

Maurice Granjon est condamné le 19 mars 1941 à 13 mois de détention par le tribunal français du Havre, comme ses camarades Léon BellengerMaurice Vernichon et Marcel Couillard.  Il purgent leurs peines à la prison « Bonne Nouvelle » du Havre.
A l’issue de ces treize mois de prison, libérables, ils sont néanmoins remis aux autorités allemandes, à la demande de celles-ci.
« C’est à l’expiration de leurs treize mois de prison pour appartenance communiste, le 27 avril 1942, que
l’ébéniste Maurice Granjon et le marin Maurice Vernichon sont transférés dans le camp français
« , in Occupation, Epuration, reconstruction de Claude Malon.
Maurice Granjon est transféré avec ses trois camarades le 28 avril 1942 au camp allemand de
Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Maurice Granjon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Aucun document ne permet d’établit de manière certaine le numéro sous lequel Maurice Grandjon a été immatriculé à Auschwitz le 8 juillet 1942.
Mais certains indices permettent de penser qu’il y a reçu le numéro « 45 628 » : on sait en effet par les Death books d’Auschwitz qu’il est mort le 20 septembre 1942, comme le déporté « 45 268 » (liste récapitulative des décès ci-contre en date du 20 septembre 1942. In Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Tome 1).
Par ailleurs, ce numéro est celui que je lui avais attribué, comme étant le plus probable, lors de ma  tentative pour reconstituer la liste d’immatriculation des déportés du convoi.
On peut ajouter que le visage du n° « 45 628 » est celui d’un homme proche de la cinquantaine, comme l’était Maurice Granjon, et que les informations de son registre matricule (visage ovale, nez rectiligne) concordent.
Cependant, seule la reconnaissance par un membre de sa famille ou ami de la photo d’immatriculation publiée au début de cette notice pourrait en fournir la preuve formelle.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz

Maurice Granjon meurt à Auschwitz le 20 septembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 384). Ce certificat porte comme cause du décès «Schwaches Herz und Fleckfieber (faiblesse cardiaque et typhus). S’il est tout à fait vraisemblable que Maurice Granjon ait contracté cette maladie, il convient de souligner que cent quarante-huit «45000» ont été déclarés décédés dans les registres du camp les 18, 19 ou 20 septembre 1942,
ainsi qu’un nombre important d’autres détenus à ces mêmes dates. Les motifs de décès portés sur les registres sont répétitifs et sans doute fictifs.
Voir l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz .  D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste «sélection» interne des «inaptes au travail», opérée dans les blocks d’infirmerie.

© AMREL

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès paru au Journal Officiel n°69 du 23 mars 1994, acte de décès qui porte toujours la date du «20 décembre 1942»: il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 au Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau.

Son nom figure sur le monument aux morts et le monument commémoratif 1939/1945 de Sainte-Adresse et celui du Havre : « Le 29 avril 1990, l’urne contenant des cendres de nos héros et de nos martyrs morts en déportation a été transférée dans ce monument« .
Il est également honoré sur le monument intercommunal de Dreux inauguré par l’AMREL en 2010.

Sources

  • Dossier De Brinon, L.A. 13233.
  • Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en juillet et décembre 1992, Caen.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). « Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948« , établie à partir des déclarations de décès du camp d’Auschwitz. Liste Auch 1/7. Listes n° 31982 et n° 138.
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb».
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»
  • © Archives en ligne de Paris
  • Registres matricules militaires de la Seine.
  • AD 76, registre des mariages 1934 su Havre, AD 75 registre des mariages 1917.

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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