Matricule « 45 588 » à Auschwitz

 

Adrien Gentil DR livre d’Alain Alexandre et Stéphane Cauchois
Adrien Gentil à Auschwitz
Adrien Gentil : né en 1916 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié au Petit-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime ; ouvrier papetier ; communiste, membre de la commission exécutive de l’UD CGT ;  arrêté comme otage dans le 22 octobre 1941 ;  écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt en janvier 1943.


Adrien
, Jean, Baptiste, Marceau Gentil est né le 10 août 1916 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime). Célibataire, il habite au 103, rue Albert Thomas au Petit-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) banlieue de Rouen, au moment de son arrestation.
Il est le fils de Blanche, Marguerite Quesnot, 33 ans, confectionneuse et de Jean, Baptiste, Adrien Gentil, son époux. Ses parents se sont mariés le 27 juillet 1912 au Petit Quevilly.
Adrien Gentil travaille comme ouvrier papetier dans une usine de papier carton.
Militant des Jeunesses communistes, il est aussi l’un des membres de la Commission exécutive de l’Union départementale CGT (entre 1938-39). Conscrit de la classe 1936, il a sans doute été mobilisé en 1939.

Soldats allemands à Rouen

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état
civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

Adrien Gentil est arrêté le 22 octobre 1941 au Petit Quevilly, pour «activités communistes» par des policiers allemands et français, lors de la rafle ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly). Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.

Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre (1). Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Adrien Gentil y reçoit le matricule n° « 2079 ».

Le 23 décembre 1941, son nom est inscrit sur la liste de recensement des 131 jeunes communistes du camp de Compiègne nés entre 1912 et 1922, aptes à être déportés « à l’Est« , en
application de l’avis du 14 décembre 1941 du Commandant militaire en France, Otto von Stülpnagel (archives du CDJC).
Depuis Compiègne, un responsable communiste de Maromme, Marcel Lecour, fait prévenir clandestinement sa famille et celles de certains de ses camarades – dont Adrien Gentil – qu’ils sont arrivés à Compiègne et qu’ils sont en bonne santé ».

Adrien Gentil va être déporté à destination d’Auschwitz.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Adrien Gentil est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Adrien Gentil est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 588». Faute d’avoir retrouvé la liste du convoi, j’en ai réalisé une reconstitution incomplète où il figurait sous ce numéro considéré comme le plus probable. Il me semble pouvoir être validé en comparant la photo d’immatriculation correspondant à ce numéro, quoique floue, avec sa photo d’avant-guerre.

Il est immatriculé le 8 juillet 1942

Cette photo d’immatriculation à Auschwitz (2) a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz

On ignore la date exacte de son décès. Selon le témoignage de Robert Gaillard qui fut témoin de sa mort, elle se serait produite à Birkenau, en janvier 1943. C’est cette date qu’a retenu le ministère des Anciens combattants «décédé en janvier 1943 à Birkenau (Pologne».
Adrien Gentil est déclaré «Mort pour la France». Il est homologué comme «Déporté Politique» en 1954 (la carte est délivrée à son père), GR 16 P 250920.
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (Journal Officiel n° 24 du 29 janvier 1993).

Une rue du Petit-Quevilly honore son nom, « rue Adrien Gentil victime du nazisme ».

© Thierry Prunier / Mémorial Genweb

Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ». Mémorial du PCF à Rouen, Relevé Thierry Prunier.

  • Note 1 : Lucien Ducastel et Robert Gaillard rapportent qu’ont été arrêtés ce même jour André Bréançon (45 298), Michel Bouchard (45278), Jean Delattre (agent des PTT, fusillé le 10 mai 1942), Charles Legac (45 770), Adrien Gentil (45588), Louis Jouvin (45 697) Adrien Fontaine (45 546), Ursin Sheid (fusillé le 10 mai 1942, lire le blog de sa famille U.SCHEID son destin), Maurice Voranget (« 45000 » n° inconnu).
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Témoignages de Robert Gaillard et Lucien Ducastel.
  • Mairie du Petit-Quevilly (juin 1992) : Acte de décès n° 492 registre 64, dossier n° 51506.
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997, et tome 29, p.280, Jean Pierre Besse citant la thèse de Stéphane Courtois, annexe 10.
  • Fichier national du Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en 1991 et octobre 1993.
  • Listes de déportés de Seine-Maritime établies à leur retour de déportation par Louis Jouvin et par Louis Eudier in «Notre combat de classe et
    de patriotes, 1934-1945
    » (annexes).
  • Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
  • Photo publiée dans le livre d’Alain Alexandre et Stéphane Cauchois « Résistance(s) : Rouen et sa région, la vallée du Cailly, entre histoire et mémoire (1940-1944) ». Editeur : L’écho des Vagues.
  • © Site Internet «Mémorial-GenWeb». Le Petit Quevilly (relevé Jean Charles Quirion)
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *