Matricule « 45 754 » à Auschwitz

@ Collection particulière (cf note 1)
Marcel Lecour : né en 1905 à Bayeux (Calvados) ; domicilié à Maromme (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; commerçant, réparateur de cycle ; communiste ; arrêté comme otage le 212 octobre 1941 ; écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 1942.

Marcel Lecour est né le 27 mai 1905 à Bayeux (Calvados). Il est domicilié à Maromme (peut-être au 25, rue de l’Abbaye), où il tient un commerce de cycles au moment de son arrestation.
Il est le fils de Rachel, Désirée, Eugénie Lecouteur, 22 ans (décédée en 1961) et Auguste, Louis, Clément Lecour, 24 ans, cheminot (décédé en déportation en 1943), son époux (note 2).
Il a un frère cadet, Henri, né en 1907 et deux cadettes jumelles – Odette et Thérèse – nées en 1913.

Le 7 février 1925 à Rouen
(Seine-inférieure / Seine Maritime) Marcel Lecour épouse Juliette, Maria Leclerc, (née en 1901), débitante de boissons.

Lui est réparateur et vendeur de cycles. Le couple a deux enfants, Marcelle, Jeanne, Rachel, et Michel.
Il sert quelquefois de « boite aux lettres » pour les Jeunesses communistes, ainsi qu’en témoigne ce pavé ci-contre publié dans L’Avenir Normand du 9 juillet 1937.

Marcel Lecour est secrétaire de la Section du Parti communiste (ou membre du secrétariat de section) de Maromme, selon le témoignage de Germaine Pican.

Les troupes allemandes entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.

La photo ci-contre figurait au bas d’une carte-souvenir édité à la Libération sous le titre “ils aimaient la vie” avec les portraits de 8 militants de la vallée du Cailly, fusillés ou déportés. Elle y est certes légendée « U. Lescour ». Dans ce type de carte les erreurs patronymiques ont été fréquentes et celle-ci a d’ailleurs été  corrigée manuellement, vraisemblablement par Germaine Pican qui l’a transmise à la FNDIRP. Elle a depuis été identifiée par sa petite fille, Madame Martine Groult.

La police française l’arrête, le 21 octobre 1941, de nuit, à son domicile.  Fernand Chatel, dans son ouvrage «30 ans du lutte…» mentionne son arrestation en même temps que celle de Léon Poyer (n° 2090 à Compiègne, déporté et mort à Auschwitz), François Hubler (n°2025 à Compiègne, déporté et mort à Buchenwald) et Raymond Duflo (fusillé le 31 janvier 1942). Julien Villette, également de Maromme, est aussi arrêté la même nuit. Leur arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly), auquel Raymond Duflo (secrétaire du syndicat CGT du Gaz à Déville, membre d’un groupe de l’OS aurait participé (Louis Eudier). Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.

Selon un article de l’Avenir Normand du 18 juin 1947, relatant le procès de l’inspecteur Fernand Madelaine, garde du corps de Laval, (le « traitre Madelaine » titre le journal), celui-ci, qui avait avant-guerre dressé pour la Préfecture des listes de militants communistes considérés comme dangereux, avait arrêté un nombre important de femmes et d’hommes de la région Rouennaise, anciens communistes ou non, qu’il soupçonnait de résistance, forgeant de fausses preuves pour les dénoncer aux allemands. Un des témoins au procès, interné à Compiègne rapporte la formule de Madelaine « communiste ou pas communiste, communiste toujours« . Parmi eux, plusieurs d’entre eux sont déportés à Auschwitz : le journal cite Marcel Lecour, Jean Binar, Gabriel Lemaire)
Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre. Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941. La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Depuis Compiègne, Marcel Lecour fait prévenir clandestinement sa famille et celles de certains de ses camarades qu’ils sont arrivés à Compiègne et qu’ils sont en bonne santé.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.

Depuis le camp de Compiègne, Marcel Lecour est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. 

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro « 45 754 » selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 524 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.  Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Marcel Lecour meurt à Auschwitz le 6 janvier 1943, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 702).
Marcel Lecour est déclaré «Mort pour la France» le 6 octobre 1947 et homologué comme «Déporté Politique» en 1954. La carte est délivrée à Mme Juliette Lecour domiciliée 25, rue Paul Painlevé à Maromme, sa veuve.

La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 3 février 1994 paru au Journal Officiel du 23 mars 1994). Cet arrêté porte toujours la date fictive du 15 janvier 1943 septembre 1942 : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau).

Il est homologué « Déporté politique » en 1954 et la carte est délivrée à son épouse Juliette, au 258, rue Paul Painlevé à Maromme

Une carte commémorative « ils aimaient la France » éditée à la Libération honore sa mémoire et celle de 8 autres de ses camarades, fusillés ou déportés : André Bardel 45198, déporté à Auschwitz, Honoré Brieu, Raymond  Duflo, Hubler, Arthur  Lefebvre, André Pican, A. Poyer, Julien Villette, lui aussi déporté à Auschwitz.

Mémorial du PCF à Rouen, Relevé Thierry Prunier.

Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».

Note 1 : Photo publiée dans le livre d’Alain Alexandre et Stéphane Cauchois « Résistance(s) : Rouen et sa région, la vallée du Cailly, entre histoire et mémoire (1940-1944) ». Editeur : L’écho des Vagues.
Note 2 : Son père, Auguste, Louis, Clément, Lecour, né le 7 juillet 1881 à Bonnemaison (Calvados), est déporté le 24 janvier 1943 à Sachsenhausen et meurt dans ce camp le 26 mai 1943.

Sources

  • Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudierin «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
  • Mme Saint-Yves, conseillère municipale communiste de Maromme.
  • Documents vallée du Cailly : Germaine Pican
  • Fernand Châtel « 30 ans de luttes au service des Travailleurs Normands et de la Paix« , page 60 (brochure édité par la Fédération de Seine-Maritime du Parti communiste en 1964).
  • Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres – incomplets – de l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Fichier national de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère dela Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère dela Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Photo des barbelés d’Auschwitz : Claudine Cardon-Hamet© Site Internet «Mémorial-GenWeb».
  • © Site Internet «Légifrance.gouv.fr».
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Octobre 2015 : courriel de Jean-Paul Nicolas me faisant parvenir des photos de « 45000 » publiées dans le livre d’Alain Alexandre et Stéphane Cauchois « Résistance(s) : Rouen et sa région, la vallée du Cailly, entre histoire et mémoire (1940-1944) ». 

Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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