Matricule « 46 092 » à Auschwitz
Marcel Sallenave : né en 1905 à Paris 18è ; domicilié à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) ; serrurier puis cafetier ; communiste ; arrêté le 9 avril 1942 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 17 janvier 1943.
Marcel, Jean Sallenave est né le 7 mars 1905 à Paris 18è.
Au moment de son arrestation, il habite rue Marat à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne).
Il est le fils de Marthe Desainsanflieux, 26 ans, née le 23 février 1879 à Paris 18è, ménagère et de Jacques Sallenave, 42 ans, né le 6 avril 1862 à Came (Basses-Pyrénées), forgeron, son époux. A sa naissance, ses parents habitent au 10, rue Labat à Paris 18è.
Sa mère décède alors qu’il n’a que cinq ans (le 9 février 1910 à Paris 18è). Il vit alors avec son père, au 35, rue Myrha (Paris 18è), puis au 5, passage d’Ornano, dans le même arrondissement, jusqu’au décès de son père, survenu le 4 juillet 1920 à Paris 12è.
Marcel Sallenave se marie le 20 octobre 1928 à Paris 8è avec Marie Catherine Péron, femme de chambre, 26 ans. Elle est née à Brennilis (Finistère), le 10 octobre 1902.
En 1935, Marie et Marcel Sallenave habitent au 63, rue Parmentier à Ivry.
Marcel Sallenave indique toujours à cette date sa profession de serrurier lors de son inscription sur les listes électorales. Il exerce le métier de serrurier avant d’ouvrir un débit de boissons en 1933 (Le Maitron).
En 1936, ils sont toujours domiciliés au 63, rue Parmentier, appartement 75, mais indiquent la profession de cafetiers lors du recensement. Puis, le couple habite rue Marat à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne), où se trouve son café (face aux HBM du 40, rue Marat).
Marcel Sallenave est membre du Parti communiste à la cellule du quartier Parmentier, dont les réunions se tiennent dans la salle de son café.
Le 3 septembre 1939, à la déclaration de guerre, Marcel Sallenave est mobilisé dans l’artillerie. Après avoir rejoint son affectation à Troyes, il est affecté à Jargny (Yonne), puis à la caserne de Louviers-Val-de-Reuil (Eure).
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Fin juin, le fort d’Ivry est occupé par l’armée allemande, la Maison de santé et de nombreux logements sont réquisitionnés. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Marcel Sallenave est démobilisé le 14 août 1940.
Il poursuit ses activités militantes dans la clandestinité. Au début de l’Occupation, Marcel Sallenave participe avec Marcel Boyer à la réorganisation du Parti communiste à Ivry : affiches confectionnées à la main au cours de la nuit par Pierre Rostaing (1), tracts tirés dans la cave de Cosqueric. « A l’instigation de Jean Compagnon, des paquets de tracts liés par de la mèche d’amadou, sont accrochés aux arbres. La mèche consumée, ils se répandront sur le marché d’Ivry » (René Houzé).
Maurice Binot, militant communiste ivryen qui fut déporté à Buchenwald, a témoigné de cette période : «Je fus démobilisé à Thiviers (Dordogne) et rentrais à Ivry en juillet 1940, où je fus contacté par le camarade Marcel Boyer, qui, avec d’autres camarades restés ici, avait déjà organisé la lutte contre l’occupant : ce rendez-vous eut lieu chez Sallenave (face au 40, rue Marat). Il me mit au courant de ce qui se faisait alors à Ivry. Malheureusement il fut arrêté presque tout de suite après et fut déporté avec Sallenave et d’autres camarades qu’on ne revit plus».
Lise London, qui loge de temps en temps chez son père dans les HBM Parmentier, raconte qu’au soir de l’invasion de l’URSS, elle se retrouve avec son frère Frédo et Gérard (Arthur London), « avec d’autres locataires ayant eu le même réflexe que nous, au café Sallenave pour trinquer à cette nouvelle : l’URSS se bat à nos côtés, la partie est maintenant gagnée » (Lise London, La mégère de la rue Daguerre p. 125).
Selon le dictionnaire Maitron, «Marcel Sallenave fut arrêté le 9 avril 1942 par la police française pour avoir été le promoteur en juin 1941 d’une manifestation organisée sur le marché d’Ivry-Port. Incarcéré au dépôt de la préfecture de Police sous l’inculpation d’infraction au décret du 26 septembre 1939 qui interdisait le Parti communiste». En juin 1941, selon l’attestation de l’ANACR, il militait avec Georges Jehenne (© Ivry94.fr), arrêté le 23 juin 1942 et fusillé le 11 août 1942 au Mont-Valérien.
Après son arrestation, Marcel Sallenave est remis aux autorités allemandes à leur demande. Celles-ci l’internent le 5 mai 1942 au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Marcel Sallenave est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Marcel Sallenave est enregistré à Auschwitz sous le numéro « 46 092 » selon la liste par matricules du convoi, établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (2) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Serrurier de profession, il est affecté au camp central où il se retrouve dans le même kommando de travail qu’Henri Gorgue. Son nom figure sur un relevé du 5 août 1942 des détenus présents au Revier (infirmerie) d’Auschwitz. Selon Henri Gorgue, Marcel Sallenave, atteint en décembre du typhus, entre de nouveau au Revier. Au bout de deux semaines, après avoir échappé à deux des trois « sélections » pour la chambre à gaz qui ont lieu pendant son séjour, il est pris dans la dernière.
Marcel Sallenave meurt le 17 janvier 1943 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1060).
Pour Henri Gorgue, il a été pris dans une des sélections au Revier et il assiste à son départ pour la chambre à gaz. Dans les années d’après-guerre, l’état civil français n’ayant pas connaissance de ces registres fixe la date de son décès au 31 décembre 1942 sur la base des témoignages de ses compagnons de déportation.
Le 27 juillet 1945, le Conseil municipal d’Ivry donne à la rue de la Marne le nom de Marcel Sallenave. Cette rue est aujourd’hui en pleine restructuration.
Il a été déclaré « Mort pour la France». Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué en 1955.
La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès (arrêté du 6 juillet 1993 paru au Journal Officiel du 18 août 1993). Cet arrêté porte toujours la mention fictive «décédé le 31 décembre 1942 à Auschwitz (Pologne)» : il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil de la municipalité d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (in Death Books from Auschwitz).
- Note 1 : Pierre Rostaing est le jeune frère de Georgette Rostaing déportée à Auschwitz dans le convoi du 24 janvier 1943 dit des «31 000». Il est lui aussi déporté et fusillé en Allemagne en avril 1945 (archives municipales). © Photo in «Ivry fidèle à la classe ouvrière et à la France». La rue parallèle à celle qui honore le nom de Georgette Rostaing, porte de nom d’Alexis Chaussinand, déporté à Auschwitz
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
-
© Photo de Marcel Sallenave in « Ivry fidèle à la classe ouvrière et à la France », supplément au numéro 1319 du « Travailleur », brochure de 120 pages, Ivry, 1970 et Musée de la Résistance Nationale, Champigny. Mes remerciements à Céline Heytens.
- «Ivry fidèle à la classe ouvrière et à la France», Ivry, 1977 : p.110 témoignage de Maurice Binot, résistant déporté à Buchenwald et photo p. 94.
- René Houzé, représentant à Londres du Comité Militaire National
des FTPF (in «Ivry fidèle à la classe ouvrière et à la France»page 108,
supplément au «Travailleur d’Ivry» N°1319). - Lise London : L’écheveau du temps. La mégère de la rue Daguerre, souvenirs de Résistance. Ed. Seuil-Mémoire.
- Madame Rault, archiviste municipale : 7 décembre 1992 (service des Archives municipales, esplanade Georges Marrane).
- Archives de Caen du ministère de la Défense(archives du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre (Liste des détenus ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès destinés à l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Le Maitron, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Liste des détenus ayant été soignés à l’infirmerie d’Auschwitz (BAVCC. Ausch 3/T3).
- ©Archives en ligne du Val de Marne
- ©Ivry94.fr, le portail citoyen de la ville d’Ivry-sur-Seine.
Notice biographique rédigée en 2003, mise en ligne en 2012, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
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