Bonneuil-sur-Marne

Matricule « 45645 » à Auschwitz

Alexandre Guillou : né en 1898 à Bannalec (Finistère) ; domicilié à Bonneuil-sur-Marne (Seine / Val-de-Marne) ; mécanicien ; conseiller municipal communiste ; arrêté le 5 octobre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 4 novembre 1942.

Alexandre Guillou est né le 13 novembre 1898 à Bannalec (Finistère). Il habite au 69, rue Montaigne à Bonneuil-sur-Marne (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation. Il est le fils de Marie Salaün, 31 ans, cultivatrice et d’Yves Guillou, 36 ans, cultivateur, et tisserand au lieu-dit Kerborn puis Bivinot. Il est né au sein d’une fratrie d’au moins cinq enfants : Louis, né en 1893, Yves, né le 14 avril 1894, François, Joseph, né le 16 juillet 1902 et une sœur, Louise, née en 1896, et François, né en 1903, tous à Bannalec. En 1906, tous habitent à Kerborn.
Conscrit de la classe 1917, Alexandre Guillou signe un engagement volontaire de 3 ans dans les
équipages de la Flotte, à la mairie de Brest le16 décembre 1916.

Le registre matricule militaire (créé en 1920) d’Alexandre Guillou indique qu’il est domicilié à Bannalec au moment de la rédaction de la fiche. Il a
indiqué cultivateur comme profession, puis chauffeur. Il mesure 1m 68, a les cheveux châtain, les yeux gris-bleus, le nez moyen et le visage large. Il arrive au 2ème dépôt des équipages de la Flotte à Brest le même jour. Il est « apprenti marin » le 7 décembre 1916.
Il est « renvoyé dans ses foyers » le 8 décembre 1920 et « se retire » à Bannalec. Il a effectué 5 mois et 19 jours de service « à terre » et de 31 mois et 15 jours « en mer ». Fin décembre il rejoint la région parisienne et habite en 1921 à Boissy-Saint-Léger (Seine-et-Oise), avec Virginie Colombani, d’abord au 102, rue de Paris, puis par la suite au 22, rue de Paris. Leur fils, Roger, naît le 17 juillet 1921 à Paris 14ème.
« Guillou s’était marié le 9 janvier 1926 à Boissy-Saint-Léger (Seine-et-Oise) avec une originaire de Corse, ouvrière raffineuse chez Say (Paris XIIIe arr.) et avait un fils vérificateur au Printemps » (Le Maitron).
Son épouse Virginie, est née Colombani le 2 juillet 1897 à Prunelli (Corse). Elle travaille à la raffinerie Say.
En février 1930, le couple a déménagé au 120, rue de Paris à Boissy-Saint-Léger. En 1931, ils habitent au 132 rue de Paris. La profession indiquée pour les deux époux est électricien. Le frère d’Alexandre, François, clerc de notaire chez Véron, habite avec eux, juste avant son mariage le 5 juillet avec Colette Cordellier. Puis Virginie et Alexandre Guillou emménagent à Bonneuil-sur-Marne fin 1931, au 69, rue Montaigne, un des 46 pavillons de la rue. Alexandre Guillou travaille alors comme mécanicien chez Chapel et Dumeny. Il s’inscrit sur les listes électorales de Bonneuil en 1932.
« Alexandre Guillou fut élu conseiller municipal communiste de Bonneuil-sur-Marne le 12 mai 1935, en 15ème position (sur 16) de la liste dirigée par Henri Arles et fut délégué titulaire aux élections sénatoriales en 1938 » (Le Maitron). Henri Arlès rejoindra les maquis durant l’occupation et sera réélu maire jusqu’en 1971.
En 1936, Alexandre Guillou est mécanicien aux Etablissements Darras et Jouannin de Neuilly-sur-Seine.
La famille habite au 69, rue Montaigne à Bonneuil. Il entre à la STCRP, au métro, toujours comme mécanicien, en 1939.
Alexandre Guillou est « rappelé à l’activité » par le décret de mobilisation générale au moment de la déclaration de guerre le 3 septembre 1939.
Il est mobilisé le jour même au 215ème régiment régional de Versailles, qui devient le Bataillon de Défense passive de Seine-et-Oise.
Il est déchu de son mandat électif le 9 février 1940 par le conseil de préfecture, avec sept autres élus de Bonneuil, en vertu de la loi du 21 janvier 1940 (1).

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France.. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants.  Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Après sa démobilisation, Alexandre Guillou est arrêté le 5 octobre 1940 par la police française dans le cadre de la grande rafle organisée, avec l’accord de l’occupant, par le gouvernement de Pétain à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la Seine (élus, cadres du Parti et de la CGT).

Exposé des motifs de l’internement d’Alexandre Guillou.

Il est interné le 6 octobre avec ses camarades, au camp de «Séjour surveillé» d’Aincourt, en Seine-et-Oise (aujourd’hui dans le Val d’Oise), ouvert spécialement, en octobre 1940 pour y enfermer les
communistes arrêtés (lire dans le site : Le camp d’Aincourt).
Sur la liste « des militants communistes « concentrés » le 5 octobre 1940» reçue par la direction du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement. Pour Alexandre Guillou on lit : « Ancien conseiller municipal. Agent très actif de la propagande clandestine. Dangereux ».
Le 11 février 1942, il fait partie d’un groupe de 21 internés (2) qui est transféré d’Aincourt au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122).

Sa signature figure sur cette carte : Repas fraternel à Compiègne

A Compiègne, Il participe aux actions collectives organisées par la Résistance du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis : en exemple, on trouve sa signature, au bas du menu d’un « repas fraternel » organisé le 5 mai 1942, à côté de 33 autres signatures, dont celles de plusieurs « 45000 » (3).

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Alexandre Guillou  est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Auschwitz, Immatricule lé 8 juillet 1942

Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45645». Sa photo d’immatriculation a été identifiée par René Besse lors de la réunion organisée par l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948.
Cette photo d’immatriculation (3) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Alexandre Guillou meurt à Auschwitz le 4 novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 409).

L’entrée d’Auschwitz I

René Besse, rescapé qui l’avait connu avant guerre a raconté le départ de son camarade pour l’infirmerie du camp, le « Revier ». « Jusqu’en 1943, personne n’était soigné et ne ressortait vivant de l’infirmerie. (…) Des camarades allaient malgré tout au Revier car ils ne supportaient plus leur condition et espéraient un miracle ou, pire encore, cherchaient à en finir plus vite ». René Besse voit ainsi
partir au Revier ses camarades Camus et Guillou en octobre ou novembre 1942, dit-il. Il ne les reverra plus. « Alexandre Guillou est parti au Revier avec une grosse fièvre, en portant autour de lui et sur moi un regard indéfinissable. Celui d’un homme qui se sait perdu. Des yeux vides, comme s’il était déjà passé de l’autre côté (…). Pour moi, avant, c’étaient des « vieux », des militants chevronnés que j’admirais».
La mention Mort en déportation est apposée sur son acte de décès (arrêté du 6 mai 1994 paru au Journal Officiel du 21 juin 1994). Cet arrêté porte néanmoins une mention erronée : décédé en novembre 1942 à Auschwitz. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date exacte portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Une autre plaque à Bonneuil

Alexandre Guillou est homologué comme Résistant, au titre de la Résistance Intérieure Française (RIF) comme appartenant à l’un des cinq mouvements de Résistance (FFC, FFI, RIF, DIR, FFL). Cf. service historique de la Défense, Vincennes  GR 16 P 279671.

Une rue de Bonneuil-sur-Marne porte son nom qui est inscrit sur le monument aux morts de la commune. Son camarade René Besse habitera dans la rue Alexandre Guillou après-guerre.

  • Note 1 : La loi de déchéance du 21 janvier 1940 stipule dans son article 1 « Tout membre
    d’une assemblée élective qui faisait partie de la Section Française de l’Internationale Communiste, visée par le décret du 26 septembre 1939, portant dissolution des organisations communistes, est déchu de plein droit de son mandat, du jour de la publication de la présente loi, s’il n’a pas, soit par une démission, soit par une déclaration, rendue publique à la date du 26 octobre 1939, répudié catégoriquement toute adhésion au Parti Communiste et toute participation aux activités interdites par le décret susvisé ».
  • Note 2 : La liste est datée du 11 février 1942. Treize d’entre eux seront déportés à Auschwitz : Alban Charles (45160), Arblade Aloyse (45176), Balayn René (45193), Batôt Elie (45205), Bonnel Charles (45273), Chaussinand Alexis (45363), Conord Léon (45371), Deshaies Auguste (45464), Doucet André, Guillou Alexandre (45645), Leroy Louis (45780), Lochin Léon (45800), Marivet Roger. Petitjean.
  • Note 3 : Le menu dit de Gabriel Torralba : Eugène Clément (45374, de Paris), Armand Nicolazzo (45924, d’Argenteuil), Louis Guidou (45637, d’Ivry), Félix Néel (46252, de Romainville), André Doucet (45480, de Nanterre), Auguste Monjauvis (45887, de Paris), Jean Berthoud (45230 de Paris XXème), Louis Gouffé (45620 de Romainville), René Beaulieu (45213, de Rosny), et celles deux bordelais, Eustache (45522 de Pessac), Beudou (45243 de Talence), et d’André Tollet qui s’évadera par le tunnel, quelques jours après.
  • Note 4 : 524 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  •   Témoignages de René Besse, rescapé du convoi.
  •     Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Tome 31, page 129.
  •          Biographie par Eugène Kerbaul.
  •          Liste des 21 internés d’Aincourt remis à la disposition des autorités d’occupation le 11 février 1942 (Archives de la Préfecture de Police, BA 2374 / C 331 / 7).
  •       Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet Mémorial-GenWeb.
  • Site Internet Légifrance.gouv.fr
  • © Registres matricules militaires du Finistère

    Notice biographique mise en ligne en 2012, complétée en 2017, 2020 et 2022 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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