Louis Gouffé in © « Femmes et Hommes de Romainville »
Louis Gouffé le 8 juillet 1942 à Auschwitz

Matricule « 45.620 » à Auschwitz

Louis Gouffé : né à Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis), où il est domicilié ; électricien ; communiste ; arrêté le 9 novembre 1940 ; interné aux camps d’Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 19 septembre 1942.

Louis Gouffé est né le 13 novembre 1901 au domicile de ses parents, 42, rue de Bagnolet à Romainville (Seine / Seine-Saint-Denis). Il habite 5, rue Vassou à Romainville au moment de son arrestation.
Il est le fils de Victorine Brun, 25 ans, journalière et d’Eugène Gouffé, 28 ans couvreur, son époux.
Louis Gouffé est titulaire du Certificat d’Etudes Primaires. Il a une formation de plombier. Conscrit de la classe 1921, il est appelé au service militaire le 1er avril 1921, et passe le CPSM (certificat de préparation militaire) le 14 mai.
alors qu’il effectue son service militaire au 150ème Régiment d’Infanterie, domicilié au 1, rue Saint-Germain, il épouse Charlotte, Léonie Pouthier le 13 août 1921 à Montreuil. Elle est née le 15 juin 1904 à Paris 20ème, 17 ans, caoutchoutière, domiciliée au 25 rue des Rigondes à Montreuil. Le couple a quatre enfants : Lucien (né le 7 novembre 1921), Solange (née le 19 avril 1924), Odette (née le 14 juin 1926), et Madeleine (née le 15 mars 1933). Il est indiqué électricien sur l’acte de mariage. Nommé caporal, le 10 avril 1923, il passe au 25èmerégiment de tirailleurs algériens. Maintenu provisoirement sous les drapeaux (art. 33 de la loi du 21 mars 1905), il est « renvoyé dans ses foyers » le 15 mai et « se retire » au 25, rue des Rigondes, à Montreuil, « certificat de bonne conduite obtenu ».
Il se retrouve au chômage et devient secrétaire du Comité de chômeurs de Romainville (secteur Est), membre de la commission paritaire de chômage de la commune de Romainville.
Louis Gouffé est embauché le 11 juillet 1938 comme cantonnier par la Mairie de Romainville. Il est secrétaire du centre intersyndical CGT (union locale de Romainville).
Lors de la mobilisation générale, il est rappelé le 22 août 1939, et affecté à la 22ème section d’infirmiers militaires (SIM). Il est démobilisé pour cause de charge de famille le 31 octobre 1939.
En 1940 le couple a sa maman et les quatre enfants à charge
Louis Gouffé est révoqué par la délégation spéciale présidée par Félix Dargent, mise en place par le Conseil de préfecture en 1939.

Jusqu’au 10 juin 1940 des troupes françaises (le 401ème régiment d’artillerie de défense anti-aérienne), occupent le Fort de Romainville, qu’elles quittent sans combattre. Un détachement de la Luftwaffe l’occupe alors. Le 13 juin 1940 la Wehrmacht occupe Pantin. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). En octobre 1940, le MBF, Commandement militaire allemand installé à Paris, décide de faire du Fort de Romainville un camp d’internement. Les détenus sont officiellement enregistrés à partir du 1er novembre 1940. 3900 femmes et 3100 hommes y furent interné.e.s avant d’être déporté.e.s. ( 40% de toutes les Résistantes françaises seront internées au Fort de Romainville avant leur déportation).
Suivant les instructions du régime de Vichy, et devant la recrudescence de distributions de tracts et d’inscription communistes dans l’Est parisien, la police surveille systématiquement les militants communistes connus de ses services avant-guerre.

Louis Gouffé est arrêté à son domicile pour «ses idées politiques», devant sa femme et ses enfants, le 9 novembre 1940, en même temps que Félix Néel.
Charlotte Gouffé et Yvonne Néel pensent qu’ils ont été dénoncés. Il est en tout cas vraisemblable que Louis Gouffé ait fait partie du même groupe de militants communistes de Romainville, créé à l’initiative de Jean Lemoine, composé de Félix Néel, Eugène Ducret et Albert Belli qui « assurent l’impression et la diffusion de journaux et de tracts clandestins à Romainville, Noisy-le-Sec et Bondy » (Monique Houssin).
Le même 9 novembre 1940, le Préfet Roger Langeron ordonne son internement administratif (1) et le fait transférer au CSS d’Aincourt, un camp ouvert spécialement en octobre 1940 pour y enfermer les communistes arrêtés (lire dans le site : Le camp d’Aincourt).

Sur la liste des militants communistes internés le 9 novembre reçue des Renseignements Généraux à la demande du directeur du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C331/7). Pour Louis Gouffé on lit : «Meneur très actif». Le terme de Propagandiste a été raturé.
Louis Gouffé – comme plusieurs communistes, dont Félix Néel – écrit en ces termes au directeur du camp le 11 février 1941, à propos de la révision de son dossier « Ignorant actuellement les motifs de mon arrestation, mais supposant que c’est d’avoir appartenu au Parti communiste, j’ai cessé toute activité politique depuis sa dissolution». Et il demande sa mise en liberté pour subvenir aux besoins de sa famille. Celle-ci ne lui est pas accordée.
Le 6 septembre 1941,Louis Gouffé est transféré au CIA de Rouillé avec 148 autres internés venant du camp d’Aincourt.
Lire dans ce site :  le camp de Rouillé ‎

Le 14 octobre 1941 le commandant du Centre d’Internement Administratif de Rouillé s’adresse au Préfet de la Seine pour obtenir des informations concernant les 149 internés provenant d’Aincourt et arrivés à Rouillé le 6 septembre (doc. C-331.24). Ces dossiers lui sont envoyés par les Renseignements généraux le 28 octobre. Pour Louis Gouffé le motif porté sur la liste par les R.G. est presque le même qu’à Aincourt, « communiste » a été rajouté : «Meneur communiste très actif».
Le 9 février 1942, Louis Gouffé comme Félix Néel fait partie d’un groupe de 52 internés communistes de Rouillé qui sont remis aux autorités allemandes à leur demande, et sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Fronstalag 122), via Poitiers. 36 d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui.

Menu d’un repas fraternel à Compiègne

A Compiègne, il participe aux actions collectives organisées par la Résistance du camp pour maintenir le moral des internés et venir en aide aux plus démunis : en exemple, le menu d’un « repas fraternel »
organisé le 5 mai 1942, porte 34 signatures, parmi lesquelles on peut identifier la sienne, celle de Félix Néel, et celle d’André Tollet qui s’évadera par le tunnel, quelques jours après.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Louis Gouffé est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Il est immatriculé le 8 juillet 1942 à Auschwitz

Louis Gouffé est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45620» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz. S

Son matricule sera tatoué sur son avant-bras
gauche quelques mois plus tard. Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. C’est le cas pour Louis Gouffé.

Louis Gouffé meurt à Auschwitz le 19 novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz sous le nom de Gonffe © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, avec son numéro matricule). Henri Gorgue, de Romainville, rescapé du convoi a confirmé cette date.
Un arrêté ministériel du 9 déc. 1993 paru au Journal Officiel du 10 févr. 1994 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur les
actes et jugements déclaratifs de décès de Louis Gouffé, en reprenant une date voisine de celle de la date de décès du camp d’Auschwitz (le 15 novembre 1942).
Louis Gouffé est déclaré « Mort pour le France » et homologué « Déporté Politique ».
Il est homologué (GR 16 P 264557) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements
de Résistance .
Le nom de Louis Gouffé est inscrit en lettres d’or sur la plaque de marbre à l’intérieur de la Mairie (Victimes de la guerre 1939-1945 – Morts dans la Résistance). Plusieurs de ses petits enfants habitaient Montrui dans les années 1980 ( Nadine épouse Mati, Didier, Jacques, Patricia et Patrick).

  • Note 1 : L’internement administratif a été institué par le décret du 18 novembre 1939, et donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement
    et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont
    les communistes.
  • Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45000 » à Auschwitz ont été retrouvées : elles avaient été cachées par des membres de la Résistance intérieure du camp pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz. Elles été retrouvées à la Libération et conservées dans les archives du musée d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Remerciements à Mme Isabelle Denis, chef du service des archives de Romainville.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Etat civil en ligne de Romainville.
  • Témoignage d’Henri Gorgue (11janvier 1973).
  • Photo de Louis Gouffé in « Femmes et Hommes de Romainville »,de la Résistance à la Libération. Par Guy Auzolles et Albert Giry, édité par la ville de Romainville, 1999.
  • Lettre d’Albert Giry à Louis Odru pour l’ANACR 93, concernant les dates de naissance des « 45000 » de Romainville (27 juin 2003). Ce document m’a été transmis par Madeleine Odru.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003.Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. Dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
  • Monique Houssin, « Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire », Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, page 168.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).

Notice biographique mise à jour en 2013, 2019 et 2022 à partir de la notice succincte que j’avais préparée à l’occasion du 60ème anniversaire
du départ du convoi et publiée dans la brochure éditée par le Musée d’histoire vivante de Montreuil. Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour
Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»
, éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et
coordonnées du  blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour la compléter ou la corriger, vous
pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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