Matricule « 45 369 » à Auschwitz

Henri Chlevitzki le 8 juillet 1942
Henri Chlevitzki : né en 1915 à Paris 12ème ; domicilié à Paris 11ème ;  monteur électricien ;  communiste ; arrêté en novembre 1941 ; interné comme otage à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 23 septembre 1942 

Henri Chlevitzki est né le 22 septembre 1915 à Paris 12ème. On le trouve sous le nom de  Chvelitzki dans les archives de la Préfecture de police de Paris et par conséquent dans celles du camp d’Auschwitz.
Il est domicilié au 95, rue de Montreuil, à Paris (11ème) au moment de son arrestation. Il est le fils de Fanny (Feiga, Rifka) Goldberg, 27 ans et de Samuel Chlevitzki, vernisseur sur bois.
Il a un frère cadet, Maurice, né le 31 octobre 1923 (1).
Henri Chlevitzki est électricien.
On lira l’intégralité de la notice biographique de Lynda Khayat, que publie Le Maitron (dictionnaire du Mouvement ouvrier ) dont nous publions ici des extraits : « Fils d’immigrés juifs polonais, originaires de Radom, arrivés en France en février 1913 immédiatement après leur mariage, installés d’abord rue du Faubourg Saint-Antoine, car son père, façonnier vernisseur, tenait non loin de là un atelier où il employait deux ou trois ouvriers, Henri Chlevitzki grandit dans le XIe arrondissement de Paris. Élevé dans une famille ne pratiquant aucun rite religieux, il n’allait jamais à la synagogue. Henri devint français par déclaration en décembre 1925 en même temps que sa sœur aînée Esther et son frère cadet Maurice, alors que ses parents furent naturalisés en avril 1926. Très jeune, il rejoignit les Jeunesses communistes de son quartier. Il participait aux défilés de la Bastille à la Nation, au cours desquels il scandait « les soviets partout » et arborait fièrement le drapeau de la section à laquelle il appartenait. Classe 1935 du recrutement de la Seine, il fut exempté du service militaire pour asthme. Monteur électricien, embauché en août 1937 dans une usine du XIIIe arr., il adhéra alors à la cellule du Parti communiste de cette entreprise, dans laquelle il travailla jusqu’en septembre 1939. Là, il se livrait à d’ardentes discussions avec les ouvriers, auprès desquels il défendait les doctrines communistes ».

Selon l’historien Boris Dänzer-Kantof, il est responsable des Jeunesses communistes de la rue de Montreuil. Il connait Gilbert Brustlein, qui sera un des responsables des « bataillons de la Jeunesse » et qui habitait au 1, rue de Montreuil, chez sa mère Suzanne Momon.
« À la suite de la dissolution du PCF et de ses organisations en septembre 1939, il fut désigné responsable du groupe des JC clandestines du quartier Montreuil (XIe arr.), que Gilbert Brustlein, futur membre des Bataillons de la jeunesse, rejoignit bientôt. En semaine, il organisait, avec son frère Maurice, des collages d’affiches, des inscriptions au fusain et à la craie sur les murs, des distributions ou des lancers de tracts à la volée à la sortie des cinémas » (Le Maitron).

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Fin août 1940, Gilbert Brustlein est « mis en relation en août 1940 avec des membres des Jeunesses communistes par l’intermédiaire de
l’Union sportive ouvrière du 11ème, club omnisport affilié à la FSGT, qui camouflait leurs activités. Il adhéra à l’organisation clandestine,
ce qui, affirme-t-il dans ses mémoires, donna alors sens à sa vie
» (Le Maitron). Il semble qu’Henri Chlevitzki ait été un des ses contacts.

« Après l’attaque de l’Allemagne contre l’Union soviétique le 22 juin 1941, Henri Chlevitzki prit contact avec les responsables de l’arrondissement, pour obtenir les nouvelles directives, afin d’envisager d’autres types d’actions à mener. Il participa alors, avec ses camarades, à l’organisation de manifestations, à des prises de parole dans les files d’attente devant les commerces et sur les marchés, à l’attaque de locaux tenus par les partis collaborateurs et à des interventions bruyantes au moment de la diffusion de la propagande allemande au cours des actualités cinématographiques. Henri réunissait plusieurs dizaines d’entre eux les dimanches après-midi pour camper, lors de sorties sur la plage de Neuilly-sur-Marne ».

Le Matin du 19 novembre 1941

Maurice Chlevitzki (1), frère d’Henri est arrêté lors de la manifestation du 14 juillet 1941 et interné au fort de Villeneuve-Saint-Georges, alors que la Police française et la Gestapo recherchent activement Gilbert Brustlein (l’«affaire Brustlein-Zalkinow») à la suite de l’attentat de Fabien, et où grâce à une dénonciation, la brigade criminelle de la Préfecture de police de Paris a démantelé le groupe Brustlein (arrestations du 30 octobre 1941).
Un vaste coup de filet est lancé dans les milieux communistes connus du 11ème et les familles des 7 jeunes arrêtés le 30 octobre 1941.
62 personnes sont ainsi arrêtées.  « Appréhendé dans le cadre d’un coup de filet mené par la police, Henri Chlevitzki fut interrogé le 5 novembre 1941 par des inspecteurs de la brigade spéciale, sa mère auditionnée et le domicile familial perquisitionné sans succès. Accusé de menées terroristes, il fut livré aux autorités occupantes et incarcéré quelques jours plus tard au quartier allemand de la prison de la Santé » (Le Maitron).

Si on ignore la date précise de son arrestation, il est vraisemblable qu’Henri Chlevitzki, jeune communiste connu, ait été arrêté dans les premiers jours de novembre 1941. Il est inculpé sur ordre des Autorités d’occupation – ainsi que treize autres personnes – et mis à la disposition des Renseignements généraux. Onze d’entre elles sont internées administrativement (2), parmi lesquels Yvan HanletRaymond  Moyen et Henri Chlevitzki qui seront tous trois déportés à Auschwitz.

Avec deux autres détenus, ils sont écroués au dépôt de la Préfecture de police de Paris en attente de transfert dans un camp.
Le 5 mai 1942 Raymond Moyen, Henri Chlevitzki, Yvan Hanlet et dix autres internés du Dépôt sont conduits à la gare du Nord avec une trentaine d’internés administratifs de la Police judiciaire venant de la caserne des Tourrelles. Ils sont mis à la disposition des autorités allemandes et internés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122), le jour même en tant qu’otages.

Depuis ce camp, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Henri Chlevitzki est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On sait qu’Henri Chlevitzki s’est déclaré électricien à son arrivée dans ce camp.

Henri Chlevitzki le 8 juillet 1942

Sa photographie d’immatriculation (2) à Auschwitz a été identifiée par des rescapés lors de la réunion organisée par l’Amicale d’Auschwitz  le 10 avril 1948 (bulletin « Après Auschwitz« , n° 20 de mars-avril 1948).

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».  Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner au camp principal d’Auschwitz (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.

Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant
l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Henri Chlevitzki meurt le 23 septembre 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 882 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec l’orthographe de « Chlevitskii »avec ses dates et lieux de naissance et de décès, et avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Sur le certificat de décès d’Auschwitz, on peut lire qu’il est décédé de « Kachexie und Enteritis » (cachexie et entérite). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz». Il convient de souligner que cent quarante-huit «45000» ont été déclarés décédés à l’état civil d’Auschwitz les 18, 19, 20 ou 21 septembre 1942, ainsi qu’un nombre important d’autres détenus du camp ont été enregistrés à ces mêmes dates. D’après les témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection interne des inaptes au travail, opérée dans les blocks d’infirmerie.
Lire dans le site : Des causes de décès fictives.
Le 18 juin 1947, le ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre demande au maire du 11ème arrondissement d’annoncer avec ménagement à la famille d’Henri Chlevitzki que celui-ci est mort à Auschwitz. Le concierge de l’immeuble fait savoir que ses père et mère sont décédés et déclare « ne pouvoir connaître l’adresse d’aucun membre de la famille ».
Il n’y a donc pas eu de demande familiale pour son homologation comme « Déporté politique ».

Note 1 :  « Maurice Chlevitzki, animateur de l’Union sportive ouvrière du XIe arr. affiliée à la FSGT, dissoute officiellement en janvier 1940 et reconstituée sous l’appellation d’Union sportive du XIe, était chargé d’effectuer en son sein de la propagande

  • Maurice Chevit, 2009

    en faveur du Parti communiste clandestin et d’y recruter des adhérents. Le 13 juillet 1941, il fut une première fois arrêté par la police dans le XIXe arr., à la terrasse de la brasserie La Vielleuse, au cours de l’agitation menée afin de créer une atmosphère de fête et de lutte dans les quartiers populaires de Paris à la veille de la journée du 14 juillet. Relâché le lendemain, il participa à la manifestation organisée sur les grands boulevards à l’occasion de la fête nationale et fut de nouveau appréhendé. Accusé de voie de fait pour s’être défendu lors de son arrestation, il fut conduit au commissariat de police du quartier du Faubourg Montmartre, puis transféré au Fort de Villeneuve-Saint-Georges sur ordre des autorités allemandes » (le Maitron, notice d’Henri Chleviztki).
    A la Libération, le jeune ouvrier né le 31 octobre 1923 prend le nom de Maurice Chevit et entame une belle carrière de comédien dans le célèbre « Père Tranquille » de René Clément en 1949, puis de dramaturge. « Maurice, c’était un cœur chaud qui bat, l’attention aux autres – ce qui sans doute a fait que j’ai vu à la télé la salle de professionnels se lever unanimement pour saluer  non seulement le talent, mais la profondeur de l’homme, sa sensibilité, sa gentillesse, son humilité, j’en suis sûre, aux Molières, quand il a reçu son premier Molière du second rôle »écrira Pascale Fourier en lui rendant hommage dans Médiapart.
    Il meurt le 2 juillet 2012 à Saint-Maurice (Val-de-Marne)

  • Note 2 : La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 3 : 522 photos d’immatriculation des « 45.000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après guerre directeur du Musée d’Etat d’AuschwitzBirkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.

Sources

  • Bureau de la Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen (dossier individuel consulté).
  • Mail de l’historien Boris Danzer-kantof, qui a travaillé sur la Résistance communiste parisienne et plus précisément sur les groupes des Jeunesses communistes autour de Pierre Georges (Fabien) et Gilbert Brustlein.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • Séance d’identification de 122 «45 000» le 30 avril 1948 par les rescapés par les rescapés et familles des déportés du convoi, à partir des photos d’immatriculation de près de 500 de leurs camarades reçues de Pologne (Le Patriote Résistant N° 20).
  • Carton Brigades Spéciales des Renseignements généraux (BS1), aux Archives de la Préfecture de police de Paris. Procès-verbaux des interrogatoires.
  • © Mémorial de la Shoah, Centre de documentation juive contemporaine (CDJC). Paris IVème.
  • Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / © collection André Montagne.
  • Notice en ligne du Maitron par Lynda Khayat, 2008

Notice biographique  mise à jour en 2014, 2019 et 2020 à partir de la notice rédigée en 2002 par Claudine Cardon-Hamet pour l’exposition de Paris de l’association «Mémoire vive». Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com 

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