Marius Barbier : né en 1900 à Verzenay (Marne) ; domicilié à Saint-Ouen (Seine / Seine-St-Denis) ; vigneron, employé de mairie à Bobigny ; communiste, ancien des Brigades internationales en Espagne ; arrêté le 3 janvier 1941; Interné aux campx de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 3 octobre 1942.

Edmond (Marius) Barbier est né à « 1 heure du soir » à Verzenay (Marne), le 20 novembre 1900.  Il habite au 92-94, avenue des Rosiers à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis) au moment de son arrestation. Il est le fils d’Eugénie Bouvier, 36 ans, vigneronne et d’Eugène, Edmond Barbier, 37 ans, vigneron, son époux. Ses parents habitent rue du Paradis dans cette petite commune non loin d’Epernay.
Edmond Barbier utilise Marius comme prénom. Pour les Renseignements généraux, il est aussi surnommé « Trotsky ».

94/92 rue des Rosiers

Son registre matricule militaire nous apprend qu’il mesure 1m 71, a les cheveux blonds, les yeux bleus, le front moyen et le nez rectiligne, saillie horizontale, le visage osseux. Au moment de l’établissement de sa fiche, son père est décédé. Il est mentionné qu’il est vigneron. Il habite à Avize (Marne), un village au pied de la réputée « Côte des Blancs ». Il a un niveau d’instruction n° 3 pour l’armée (sait lire, écrire et compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1920, « classé dans la deuxième partie de la liste » en 1918, pour cause de déformation thoracique,  il est appelé au service militaire le 1er octobre 1920 et incorporé le 11 octobre à la 6è Section d’infirmiers militaires (détachement de Lorraine).
Il est nommé 1ère classe le 2 mars 1921 et caporal le 8 avril 1921. Il est « envoyé dans la disponibilité » le 26 septembre et retourne à la vie civile chez sa mère au 13, rue du Paradis à Verzenay.
En mars 1924, il habite au 51, rue des Rosiers, une des rues populaires de Saint-Ouen.

Le 11 novembre 1932, il est arrêté par des gardiens de la paix et conduit au poste de police de la rue de la Huchette pour avoir écrit à la craie « à bas la guerre » sur les murs de la Faculté de Lettres (le 11 novembre 1932, un rassemblement est organisé par le Parti communiste à Vincennes contre « la guerre impérialiste ». Ces mots d’ordres sont typiques de la ligne dite de « classe contre classe » du PC).

Marius Barbier travaille comme commis aux écritures à la Mairie de Bobigny depuis 1933 (source Renseignements Généraux). En décembre 1934, il a déménagé quelques numéros plus loin, au n° 92.
Pour la réserve de l’armée, il est classé « service auxiliaire » au 6è SIM pour « grosse déformation du thorax ».
Le 2 mars 1936, Marius Barbier, alors commis de mairie à Bobigny, dépose au Parquet du Tribunal de 1ère instance de la Seine une déclaration de gérance pour « La Vie Nouvelle », un mensuel ronéotypé.
Selon le rapport de police demandé par le procureur, Marius Barbier est alors marié (il n’en est toutefois pas fait mention sur son acte de naissance à Verzenay, et au recensement de 1936, il vit seul au 92, rue des Rosiers).

Brigadistes et insigne des BI

Militant communiste, il s’engage dans les Brigades internationales (1936-1938) pour défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco, soutenue par Hitler et Mussolini. Il est un des 20 volontaires de Saint-Ouen. Voir dans le site la Liste des « 45000 » ayant combattu en Espagne (1936-1938).

À son retour d’Espagne, il est réembauché comme commis de bureau à la mairie de Bobigny à compter du 2 mars 1939 (mention sur son acte de naissance).
Il est connu des services de police, comme tous les anciens Brigadistes.
En 1939, à la déclaration de guerre, il est « rappelé à l’activité » le 6 septembre 1939 au 6è SIM.
Il est classé « service armé » le 24 février 1940 (commission de réforme de Reims). Il est nommé caporal-chef le 1
er avril 1940. Selon les Renseignements généraux « au cours de ses permissions diffusait les mots d’ordre de la IIIè Internationale et manifestait des sentiments anti-militaristes« .

Le 13 juin 1940 l’armée allemande occupe Saint-Denis, puis Saint-Ouen. Le 14 juin, l’armée allemande occupe Drancy et Gagny et entre par la Porte de la Villette dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne les jours suivants.  Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Marius Barbier est démobilisé en août 1940.
Dans la France occupée, et devant la recrudescence de la propagande communiste,  le gouvernement de Pétain fait opérer dès le mois d’octobre 1940 par la Police française de nombreuses arrestations à l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la région parisienne.
Le 3 janvier 1941 le Préfet de police de Paris ordonne l’arrestation et l’internement administratif (1) de Marius Barbier en application de la loi du 3 septembre 1940.

fiche des RG à Rouillé

Les termes de celle-ci, qui donnent pouvoir aux Préfets de décider de l’éloignement et, en cas de nécessité, de l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique », correspondent
parfaitement à la note des Renseignements généraux concernant Marius Barbier : « Meneur communiste très actif. Ancien combattant dans les Brigades Internationales en Espagne. Très dangereux ». Selon le procès verbal de perquisition de la Brigade spéciale, il a été trouvé à son domicile un pistolet en état de fonctionnement, chargé, de calibre 6, 35 mm.

Le camp d’Aincourt

Le 17 janvier 1941, Marius Barbier est transféré au « Centre de séjour surveillé » d’Aincourt avec un groupe de vingt-trois autres militants communistes (lire dans le site : Le camp d’Aincourt). Il y est affecté à la chambre 46.
A l’été 1941, le camp d’Aincourt est largement saturé et l’administration centrale qui craint des coups de mains communistes pour libérer le camp a étudié divers projets – dont celui d’un transfert en Afrique du Nord – pour retenir les transferts vers des prisons (Gaillon, Fontevrault, Clairvaux) ou camps plus éloignés de la région parisienne (Rouillé, Voves).
Le 6 septembre 1941, Marius Barbier est transféré avec 148 autres internés d’Aincourt au CIA de Rouillé (3) pour l’ouverture du camp. Lire dans ce site :  le camp de Rouillé ‎

Le camp de Rouillé in VRID

Le 14 octobre 1941 le commandant du Centre d’Internement Administratif de Rouillé s’adresse au Préfet de la Seine pour obtenir des informations concernant les 149 internés provenant du camp d’Aincourt arrivés à Rouillé le 6 septembre 1941.
La réponse du 1er bureau des Renseignements généraux (circulaire n°13.571.D) lui arrive le 30 octobre (doc C-331.24). Pour Marius Barbier on lit, comme à Aincourt, avec ses dates et lieu de naissance, adresse et date d’arrestation, comme cause de l’arrestation « Meneur communiste très actif. Ancien combattant dans les Brigades Internationales en Espagne. Très dangereux ».

Le 9 février 1942, Marius Barbier fait partie d’un groupe de 52 internés communistes qui sont remis aux autorités allemandes à leur demande, et transférés dans deux wagons à bestiaux au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Fronstalag 122), via Poitiers. 36 d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui. D’après sa fiche au DAVCC, il y aurait été immatriculé sous le matricule « 5499 ».
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Marius Barbier est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante  « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

On ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. Le numéro «45197 ?» figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai partiellement reconstituées, de la persistance de lacunes pour quatre noms, mais d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. Seule la reconnaissance, par un membre de sa famille, ami ou camarade, de la photo d’immatriculation publiée au début de cette biographie pourrait désormais en fournir la preuve.

Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».

Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Marius Barbier meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 52 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates et lieux de naissance et de décès, et avec l’indication « glaubenslos » (athée).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

La date portée sur son état civil (le 15 décembre 1942) est fictive et correspond à la fixation dans les années d’après-guerre par l’état civil du Ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre de dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31
d’un mois estimé) afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Un arrêté ministériel du 7 mai 1987 paru au Journal Officiel du 30 juin 1987 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs et reprend la date fictive du 15 15 décembre 1942 à Auschwitz. Il serait logique que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (in Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau) et sur le site internet du Musée d’Auschwitz, qui apporte la preuve de son décès à Auschwitz !
Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

St Ouen Square des 45000 et des 31000

À Saint-Ouen, son nom est gravé sur le Monument de la Résistance et de la Déportation du cimetière communal et sur la stèle érigée en « Hommage aux résistants, femmes, hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau », inaugurée le 24 avril 2005 dans le Square des « 45 000 » et des « 31 000 » (le convoi du 24 janvier 1943).

Bobigny, plaque en Mairie

A Bobigny, une plaque apposée dans le hall de l’hôtel de ville par la section syndicale CGT honore son nom et celui d’un autre employé communal, Henri Nozières tous deux morts à Auschwitz.

Marius Barbier a été déclaré « Mort pour la France » le 12 juin 1946 et homologué comme « Déporté politique ».

  • Note 1 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique« . Les premiers visés sont les communistes.
  • Note 2 : Le 23 décembre 1941 le Préfet de police opère une rafle avec perquisitions et arrestations « chez les membres des Brigades Internationales » fichés par les RG.
  • Note 3 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «Centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. /In site de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.

Sources

  • Archives en ligne de la Marne. Etat civil de Verzenay.
  • Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche microfilmée consultée en décembre 1993.
  • Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition informatique 2014, notice Daniel Grason.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
  • Archives de la police / BA 2374
  • Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
  • Camp de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne (109W75).
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’Étatd’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet Legifrance.
  • © Site Internet MemorialGenWeb.
  • Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau /© collection André Montagne.
  • © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
  • © Le CCS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
  • ©Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
  • Registres matricules militaires.

Notice biographique rédigée à partir d’une notice succincte pour le 60è anniversaire du départ du convoi des « 45 000 », brochure répertoriant les “45 000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, complétée en novembre 2007 (2014,  2019, 2020, 2022 et 2024) par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé) et de Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 (dont je dispose encore de quelques exemplaires pour les familles).  Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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