Matricule « 45 560 » à Auschwitz
Lucien Frichot : né en 1904 à Brosville (Eure) ; domicilié à Maisons-Alfort (Seine / Val-de-Marne) ; aide d’usine ; employé des services publics ; conseiller municipal communiste ; arrêté le 4 octobre 1940, libéré ; arrêté le 27 juin 1941 ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 30 novembre 1942.
Lucien Frichot (1) est né le 27 mars 1904 à Brosville (Eure). Il habite au 31, rue des Ormes (devenue rue Arthur Dalidet à la Libération) à Maisons-Alfort (Seine / Val-de-Marne), au moment de son arrestation.
Il est le fils de Marie, Anna Schwap, 29 ans, née le 7 septembre 1875 à Saint-Cyr l’Ecole, ménagère et d’Emile Frichot, 41 ans, maçon, domicilié à Saint-Cyr l’Ecole. Au moment de sa naissance, sa mère habite chez Aristide Blanchard.
Il a trois frères (Marcel, né en 1898, Aristide, né en 1902 et Albert, né en 1905).
En 1906, sa mère et ses quatre enfants nés Frichot, habitent à Brosville, au domicile d’Aristide Blanchard, comptable à la Compagnie de l’Ouest, né en 1874, que leur mère épousera le 7 novembre 1908 après son divorce d’avec Emile Frichot.
Lucien Frichot est « aide d’usine » puis « employé des services publics ».
En 1924, son frère aîné Aristide habite au 1, rue des Sapins à Maisons-Alfort.
Le 4 juillet 1925, Lucien Frichot épouse à Maisons-Alfort, Simone, Gabrielle Martin.
En 1928, le couple habite au 68, rue Saint-Maur à Maisons-Alfort. Lucien Frichot est inscrit sur les listes électorales de la commune à cette date et à cette adresse.
Militant communiste, il « fut élu conseiller municipal communiste de Maisons-Alfort, le 12 mai 1935, sur la liste dirigée par Albert Vassart » (Le Maitron). Son autre frère aîné, Marcel habite aussi Maisons-Alfort, au 59, rue de Reims, en 1936. Le couple Frichot Lucien habite au 31, rue des Ormes à Maisons-Alfort après 1936 (il ne figure pas sur le recensement de cette année-là). La rue est parallèle à la rue des Sapins, où habite son frère Aristide.
Après l’interdiction du Parti communiste, le 26 septembre 1939, La Préfecture de la Seine suspend la municipalité communiste de Maisons-Alfort en octobre 1939 et nomme une « délégation spéciale » composée de Maugé, Becquerelle, Veinstein, Péroni.
Lucien Frichot, comme ses camarades communistes conseillers municipaux élus, est déchu de son mandat municipal le 16 mars 1940. La préfecture nomme alors Francis Maugé, ancien inspecteur des services communaux de la Seine comme président de la délégation spéciale en 1940, avec Péroni, Ferre, Pasquié et Caillette comme adjoints.
Le 14 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. L’armistice est signé le 22 juin. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « Révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Avec l’Occupation allemande, la police de Vichy surveille les anciens élus communistes, procède à des perquisitions et des arrestations. Vichy entend ainsi faire pression sur les militants communistes connus ou anciens élus pour faire cesser la propagande communiste clandestine.
Le 4 octobre 1940 au soir, Lucien Frichot est arrêté à son domicile par deux policiers français et emmené au commissariat de Charenton, en même temps que son camarade Georges Niquet, ancien chauffeur du Maire Albert Vassart. Son épouse découvre dans la nuit qu’il s’agit d’une véritable arrestation et va prévenir l’épouse de Georges Niquet. Le 5 octobre 1940 Lucien Frichot est emmené au commissariat de Charenton, en même temps que Georges Niquet. Lucien Frichot est libéré après interrogatoire. Georges Niquet est interné le même jour au CSS d’Aincourt et plus tard déporté à Auschwitz avec lui.
Lucien Frichot est à nouveau arrêté le 27 juin 1941 à Maisons-Alfort, dans le cadre de la grande rafle commencée le 22 juin, jour de l’attaque hitlérienne contre l’Union soviétique. Sous le nom «d’Aktion Theoderich», les Allemands arrêtent plus de mille communistes dans la zone occupée, avec l’aide de la police française en application du décret-loi du 18 novembre 1939 : « individus dangereux pour la défense nationale et pour la sécurité publique ».
La liste des Renseignements généraux répertoriant les communistes internés administrativement le 27 juin 1941, mentionne pour Lucien Frichot : « Meneur particulièrement actif ». D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht et qui ce jour là devient un camp de détention des ennemis actifs du Reich.
Lucien Frichot est interné sans doute le jour même au camp de Royallieu, qui est alors le seul camp en France sous contrôle direct de l’armée allemande.
Un arrêté préfectoral en date du 29 septembre 1941 (paru au Recueil des actes administratifs de la Préfecture de la Seine en août 1942), fait mention du versement d’une pension annuelle à « Frichot Lucien, Albert aide d’usine de 2ème classe : 5.332 francs » prenant acte au 22 juillet 1941. A cette date, Lucien Frichot est déjà interné à Compiègne. Ce versement correspond peut-être à une mise à la retraite d’office.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Lucien Frichot est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942. En effet, le numéro «45560 ?» inscrit dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000) correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, très plausible, ne pouvait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Seule la reconnaissance, par un membre de sa famille, ami ou archives municipales de sa photo d’immatriculation pouvait alors en fournir la preuve.
La publication en 2018 d’une photo des archives de Maisons-Alfort dans le Maitron nous permet aujourd’hui de l’authentifier.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.
Lucien Frichot meurt à Auschwitz le 30 novembre 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2 page 313 et © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau, où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance et de décès, avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Lire dans le site : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
La mention Mort en déportation est apposée sur son acte de décès (arrêté du 8 septembre 2009 paru au Journal Officiel n° 242 du 18 octobre 2009). Cet arrêté porte néanmoins une mention erronée : décédé le 31 octobre 1942 à Birkenau (Pologne).Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau). Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death
books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
Le 21 août 1944, des représentants communistes des FFI prennent possession de la Mairie et se constituent en délégation spéciale : sous la présidence de Jean Marie Marceau, ancien conseiller municipal élu en 1935, ils nomment symboliquement au sein de cette délégation leurs camarades anciens élus municipaux, dont ils connaissent la déportation, mais ignorent s’ils sont vivants : Bernhard (conseiller municipal Radical Socialiste en 1935, déporté, sera conseiller municipal de 1944 à 1947), Bolze (maire-adjoint en 1935, déporté, sera conseiller municipal de 1944 à 1959), Lucien Frichot (déporté à Auschwitz), Henri Hureau (déporté à Auschwitz), Victor Jardin (déporté à Auschwitz), Marcel Névraumont (déporté à
Auschwitz), Raunet (Conseiller municipal en 1935, déporté), Fernand Saguet (deuxième adjoint au maire en 1935, déporté à Auschwitz, Verrier (conseiller municipal en 1935, déporté).
Le nom de Lucien Frichot est gravé sur la stèle située dans le cimetière de Maisons-Alfort : « à ses enfants – victimes des camps de concentration nazis – déportés internés fusillés et familles de disparus ».
Lucien Frichot a été déclaré « Mort pour la France », et homologué « Déporté politique ».
La carte a été remise à son épouse qui avait déménagé rue Hoche en 1956.
- Note 1 : Il a été longtemps confondu au Ministère des Anciens combattants avec un autre Frichot, Lucien, Albert, né le 9 avril 1906 à Liévin (Pas-de-Calais), également communiste, manœuvre, marié et père d’un enfant, qui fut arrêté dans la même période.
- Note 2 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
Sources
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en décembre 1992.
- Mairie de Brosville, 6 janvier 1993 (Extraits papier de naissance, de mariage, de décès).
- Archives en ligne de l’Eure, recensement de 1906 à Brosville.
- Archives en ligne du Val-de-Marne : recensements de 1926, 1931 et 1936 à Maisons-Alfort.
- Archives en ligne de Paris : élections.
- Le Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Notice informatique Claude Pennetier.
- © Cercle généalogique de Maisons-Alfort (extrait du tome II « Mille ans d’Histoire à Maisons-Alfort » pour la composition de la Délégation spéciale).
- Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Site Internet Legifrance.
- Photo d’immatriculation à Auschwitz : Musée d’état Auschwitz-Birkenau / © collection André Montagne.
- © Google Street view.
- Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Archives de la Préfecture de police de Paris. Renseignements généraux, Liste des militants communistes internés le 26 juin 1941.
Notice biographique rédigée en 2003, mise en ligne en 2012, complétée en 2015, 2019, 2020, 2022 et 2024 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com