Matricule «45 846» à Auschwitz

Signature de Victor Martin lors de son mariage
Victor Martin : né en 1918 à Paris 9è où il est domicilié ; Chauffeur livreur, livreur cycliste ; Communiste ; arrêté le 8 novembre 1940 ; condamné à 6 mois de prison avec sursis ; interné aux camps d’Aincourt et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 25 août 1942.

Victor, Albert, André Martin est né au 39, rue de Châteaudun le 6 mai 1918 à Paris 9è. au  domicile de ses parents.
Il est domicilié au 21, rue Turgot, dans le 9è arrondissement de Paris au moment de son arrestation.
Il est le fils d’Angèle, Alyse, Josephe Decaesbecker, 40 ans, couturière et d’Emile, Jules, Joseph  Martin, 40 ans, cordonnier, son époux alors mobilisé.

Le 21, rue Turgot

Son père est tué pendant la guerre 1914-1918. Victor Martin est « adopté par la nation » le 28 janvier 1925.
Victor Martin travaille comme chauffeur-livreur.
Il est militant des Jeunesses communistes.
En septembre 1937, il est embauché comme cycliste au service photographique du quotidien du soir « Ce Soir », créé par le Parti communiste en 1937 pour concurrencer Paris Soir. Les directeurs sont deux écrivains : Louis Aragon  et Jean-Richard Bloch.
Victor Martin est appelé au service militaire en octobre 1938, service qu’il effectue au 8è Zouaves à Mourmelon-le-Grand. Il est « maintenu en activité  » à la déclaration de guerre.

Il épouse Andrée, Yvonne Néré le 11 novembre 1939 à Paris 9è. Elle a 17 ans, travaille comme vendeuse, domiciliée au, 21 rue Turgot. Elle est née le 4 décembre 1921 à Fontenay-aux-Roses (Seine). Au moment du mariage Victor Martin qui indique plombier comme profession est « aux armées ».
Le couple a un enfant qui naît le 4 février 1941.
Victor Martin est « réformé temporaire » le 4 janvier 1940, « pour maladie de cœur et lésion pulmonaire ».
« Ce soir » ayant cessé de paraitre après l’interdiction des journaux communistes, il retrouve du travail en février comme chauffeur-livreur dans diverses entreprises parisiennes.

Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).

Sous l’occupation allemande il reprend ses activités militantes dès le mois d’août 1940 avec d’anciens militants de la Jeunesse communiste.
À partir de septembre, Victor Martin est inscrit au fonds de chômage du 9è arrondissement et le couple est hébergé chez les parents de son épouse, au 21, rue Turgot (Paris 9è).  Suspectés d’activité clandestine, six jeunes (dont Victor Martin) connus des services de police pour leur ancienne appartenance à la mouvance communiste sont filés (1) et finalement arrêtés en septembre.
Selon le PV d’inculpation de la police, Victor Martin a continué « la propagande clandestine dans le 9è arrondissement, servant d’agent de liaison et distribuant à d’autres militants des tracts ronéotypés et des papillons gommés ».

Victor Martin est arrêté le 8 novembre 1940 par trois inspecteurs en civil qui perquisitionnent son logement (où n’est trouvé qu’un ouvrage édité en 1938 : la conférence de Jacques Duclos sur « les droits de l’intelligence », allocution de Louis Aragon) : il est néanmoins inculpé d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 concernant la dissolution du Parti communiste.
Mis à la disposition du Procureur, il est incarcéré au Dépôt de la Santé le 9 novembre en attente de jugement. Celui-ci a lieu le jeudi 16 janvier 1941 devant la 15è chambre du Tribunal correctionnel de la Seine.
Victor Martin est condamné à 6 mois de prison avec sursis (il fait appel de la sentence, comme ses cinq camarades).
La sentence est confirmée en appel le 14 mars 1941. Malgré le sursis, il n’est pas pour autant libéré.

Le camp d’Aincourt in blog de Roger Colombier

Le Préfet de police de Paris (Camille Marchand) ordonne en effet son internement administratif en application de la Loi du 3 septembre 1940. Victor Martin est interné au camp d’Aincourt le 17 janvier 1941 en même temps que d’autres militants (lire dans le site : Le camp d’Aincourt).

Comme il a fait appel de la sentence, il est ramené au Dépôt de la Santé le 18 mars 1941 pour le jugement en appel. Le jugement est confirmé… Mais il n’y aura pas de libération, et Victor Martin, toujours sous le coup d’un arrêté d’internement, est à nouveau reconduit au camp d’Aincourt le 25 mars 1941.
Son épouse effectue en mars une demande de permission exceptionnelle pour la naissance de leur enfant (il ne semble pas y avoir eu de permission).

Le 9 mai 1942, à la demande des « autorités d’Occupation », Victor Martin est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) au sein d’un groupe d’une quinzaine d’internés venant d’Aincourt ou Mantes. Ce même jour plusieurs dizaines d’otages du Cher, Loir-et-Cher et du Calvados, arrêtés au début mai, y sont également internés.

Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».

Depuis le camp de Compiègne, Victor Martin est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942

Cf Article du site : Les wagons de la Déportation. 

Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks, responsables aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le Parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.

Victor Martin est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45 846» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.

Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ».
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est affecté à cette date.

Dessin de Franz Reisz, 1946

Victor Martin meurt à Auschwitz le 25 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 784 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec sa date de naissance et de décès, son lieu de domicile, avec l’indication « Katolisch » (catholique).
Lire dans le présent site l’article : 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois

Un arrêté ministériel du 10 novembre 1994, paru au Journal Officiel n°9 du 11 janvier 1995 page 517, porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais cet acte porte la mention « décédé en 1942 à Auschwitz (Pologne) ». Dans les années d’après-guerre, l’état civil français a fixé des dates de décès fictives à partir des témoignages de rescapés, afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des déportés. Il serait souhaitable que le ministère prenne désormais en compte, par un nouvel arrêté, les archives du camp d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont accessibles depuis 1995 et consultables sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau
Voir l’article : Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.

Victor Martin est homologué comme « Déporté politique » le 25 février 1963.
Son nom est honoré sur le monument aux morts du 9è arrondissement de Paris (cour de la Mairie – 6 rue Drouot).

  • Note 1 : A partir du 11 juillet 1940, le nouveau régime de  Vichy (l’Etat Français) s’acharne sur ceux qui appartiennent à l’« Anti-France » (les Juifs, les étrangers, les communistes, les Francs-maçons etc..) et va promulguer des textes de loi facilitant leur « internement administratif » sur simple décision du préfet (la loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif sans jugement de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes). La police arrête les militants bien connus de ses services (anciens élus et responsables syndicaux) et utilise des fiches de renseignements élaborées avant-guerre sur les agissements des militants communistes et syndicalistes – on le sait notamment grâce aux études réalisées par le Musée de la Résistance à partir des documents des commissariats d’Ivry et de Vitry – (lire Le rôle de la police française Ivry et Vitry, BS1).

Sources

  • Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
  • Archives départementales de Paris : jugements du tribunal correctionnel de la Seine.
  • Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
  • Archives de la police / BA 2374
  • Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
  • Archives de la Préfecture de police de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
  • Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
  • Death Books from Auschwitz(registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
  • © Site Internet Legifrance.
  • © Site Les plaques commémoratives, sources de Mémoire.
  • © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
  • Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial ©Pierre Cardon
  • © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).

Notice biographique par Claudine Cardon-Hamet, mise à jour avec Pierre Cardon en 2010, 2019, 2021 et 2025 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20è arrondissement. Claudine Cardon-Hamet est docteur en Histoire, auteure des ouvrages : Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Autrement, Paris 2005 et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou y proposer des corrections, vous pouvez nous faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com

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