Matricule « 46 090 » à Auschwitz
René Salé : né en 1917 à Wissous (Seine-et-Oise / Essonne) ; domicilié à Gentilly (Seine / Val-de-Marne) ; ajusteur mécanographe ; communiste ; arrêté le 11 février 1942 ; dépôt de la préfecture ; interné aux camps de Voves et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz, où il meurt le 15 août 1942.
René Salé est né le 11 juillet 1917 à Wissous (Seine-et-Oise / Essonne). Il habite au 4, avenue de la République à Gentilly (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation.
Il est le fils de Léa, Eugénie Gallier, née en 1896 en Seine-et-Oise, et de Maxime, Germain, Augustin Salé, né le 28 août 1888 à Santilly (Eure-et-Loir) chauffeur de taxi, son époux. René Salé a une sœur et deux frères cadets (Germaine, née en 1919, Robert, né en 1923 et Roger, né en 1928). La famille va habiter à Paris 14è à partir de 1929. D’abord au 6, boulevard Brune, puis au 10, boulevard Brune, au moins jusqu’en 1939.
Ayant une formation de mécanographe, René Salé est embauché le 26 février 1934 comme ajusteur-mécanographe aux établissements Sanders, 48-50, rue Benoît Malon à Gentilly (Seine / Val-de-Marne). Cette usine fabrique des caisses enregistreuses (« machines comptables »), sous licence américaine (NCR).
En 1936, son père est chauffeur chez Citroën.
René Salé participe alors activement aux actions de la section syndicale CGT, particulièrement active (au point d’être citée à deux reprises par le « Populaire » en 1938, au moment des protestations contre les atteintes aux 40 heures et contre les décrets lois Daladier-Reynaud : 6 septembre 1938 et 18 novembre 1938).
Les militants communistes y sont très présents et sont fichés par les Renseignements généraux. Cette usine de la métallurgie est d’ailleurs surnommée « la maison rouge » à Gentilly.
Mobilisé à la déclaration de guerre en 1939, il participe, en Norvège occupée par l’Allemagne, à l’expédition de Narvik (première confrontation directe entre les allées – Grande Bretagne, France, Pologne – et les forces navales et terrestres allemandes), entre avril et juin 1940 (témoignage de Jean Gauthier qui sera « consigné administratif » avec lui à la Santé).
Le 13 juin 1940 les troupes de la Wehrmacht occupent Créteil et Fresnes le 15 juin (elles investissent la prison). Le 14 juin elles sont entrées dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Les troupes allemandes occupent toute la banlieue parisienne et les départements voisins les jours suivants. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Avec l’occupation allemande, l’usine Sanders est devenue filiale d’un groupe franco-allemand (la National Gruppe) et travaille pour l’industrie de guerre allemande.
Démobilisé, René Salé retrouve son travail chez Sanders. Il rencontre Marguerite, Paulette Coquelin, âgée de 21 ans, une ouvrière native de Gentilly, qu’il épouse le 17 mai 1941. Il a 24 ans.
Le couple vit au domicile de celle-ci au 4, avenue de la République à Gentilly.
Militant de la CGT clandestine, René Salé est arrêté le 11 février 1942 par des inspecteurs de la Brigade Spéciale des Renseignements généraux, en même temps que 12 autres camarades de travail, à la suite d’une grève d’un quart d’heure. Lire dans le site : La grève de l’usine Sanders de Gentilly (9 février 1942).
Le motif inscrit sur sa fiche au DAVCC est « communiste ». René Salé est conduit à la Conciergerie le 12 février, puis « consigné administratif » à la Santé (en témoignent René Aondetto qui y est écroué depuis le 11 août 1941 et sera transféré avec lui et Jean Gauthier à Voves et Compiègne. Tous deux ont vu arriver « les 13 de la Sanders »). Ils y sont « entassés à 95, dans une salle d’environ 15 m2 dont les fenêtres donnent sur la place Dauphine » (13 avril 1942, lettre de Marceau Baudu).
Maintenu au Dépôt de la Préfecture de Paris plus de deux mois, René Salé va être interné administrativement au « Camp de séjour surveillé » de Voves (Eure-et-Loir), ouvert le 5 janvier 1942.
Lire dans le site : Le camp de Voves.
Le 16 mars 1942, à 5 h 50, il fait partie d’un groupe de 60 militants
« détenus par les Renseignements généraux » qui est transféré de la
permanence du Dépôt au camp de Voves (Eure-et-Loir), convoyé par les gendarmes
de la 61ème brigade. Il ne va rester dans ce camp que quelques jours.
En effet, dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves « à transférer au camp d’internement de Compiègne » à la demande du Militärbefehlshabers
Frankreich, le MBF, commandement militaire en France.
Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai 1942, le chef de la Verwaltungsgruppe de la Feldkommandantur d’Orléans envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à la demande du commandement militaire en France. René Salé figure sur la première liste. Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit : « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique que « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ». Le directeur du camp a fait supprimer auparavant toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». Sur les deux listes d’un total de cent neuf internés, arrivés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) les 10 et 22 juin 1942, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
A Compiègne, le 20 juin, il annonce le proche départ « pour l’Allemagne » à son épouse.
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, René Salé est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
René Salé est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «46090» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation (1) à Auschwitz a été retrouvée parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Compte-tenu de son métier d’ajusteur, il est ramené à Auschwitz I. Entré au Block 20 à l’hôpital d’Auschwitz le 12 août pour une dysenterie, René Salé meurt le 15 août 1942, d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 1060 et le site internet © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau).
Ce certificat porte comme cause du décès vraisemblablement fictive « Herzschwäche bei Darmkatarrh » (crise cardiaque suite à gastroentérite). L’historienne polonaise Héléna Kubica explique comment les médecins SS du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à gaz».
Lire dans le site : Des causes de décès fictives et 80 % des « 45 000 » meurent dans les six premiers mois
Ses camarades rescapés d’Auschwitz, Francis Joly (2) et Maurice Martin ont témoigné de sa mort dans cette période.
René Salé est déclaré « Mort pour la France » le 18 avril 1946 et homologué comme « Déporté politique ».
Un arrêté ministériel du 10 décembre 1997 paru au Journal Officiel du 18 avril 1998 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur son acte de naissance et jugement déclaratif de décès. Cet arrêté porte une date erronée : décédé le 15 septembre à Auschwitz (Pologne).
Il serait souhaitable que le Ministère prenne en compte, par un nouvel arrêté, la date portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 et consultable sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau. Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français): Les dates de décès des « 45 000 » à Auschwitz.
Après la libération le Comité d’épuration de l’usine Sanders est à l’origine d’un procès qui se termine par l’acquittement des deux membres de la direction auteurs de la dénonciation (audience du 10 mai 1946).
Le nom de René Salé figure sur la plaque commémorative apposée par le personnel de la Sanders dans le hall de l’usine Sanders, avant son transfert en 1961 à Massy (elle y devient « La Nationale » sous le sigle N.C.R. « National Cash Register »). Cette plaque figure désormais dans le hall du restaurant d’entreprise, où elle est honorée chaque année.
Un monument a été érigé au cimetière par la Municipalité de Gentilly à la mémoire des « Neuf de la Sanders ». Un texte est gravé sur le monument et une stèle a été déposée à sa base par des anciens des Etablissements Sanders.
70 ans après, jour pour jour, un hommage solennel est rendu à « ceux de la Sanders » le 11 février 2012(3). Manifestation annoncée dans le bulletin municipal et dont un article du Parisien rend compte : « Georges Abramovici, mort pour la France », « Marcel Baudu, mort pour la France », « René Salé, mort pour la France » (…). Le représentant des anciens combattants égrène l’un après l’autre les noms des ouvriers syndicalistes déportés dans les camps nazis. Samedi, 80 personnes environ ont participé à Gentilly à une cérémonie pour les 70 ans de ceux qu’on a appelé « les résistants de la Sanders » (…). Après une cérémonie devant le monument aux résistants déportés du cimetière de Gentilly, les familles, les amis et les élus se sont rendus sur l’ancien site de la Sanders, où une plaque a été installée, avant une lecture de texte devant le monument aux morts place Henri-Barbusse (on notera que, par erreur, le nom de Roger
Chaize y a été inclus)..
- Note 1 : 522 photos d’immatriculation des « 45 000 » à Auschwitz ont été retrouvées parmi celles que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation du camp d’Auschwitz. A la Libération elles ont été conservées dans les archives du musée d’Etat d’Auschwitz. Des tirages de ces photos ont été remis par Kazimierz Smolen (ancien détenu dans les bureaux du camp d’Auschwitz, puis devenu après-guerre directeur du Musée d’Etat d’Auschwitz–Birkenau) à André Montagne, alors vice-président de l’Amicale d’Auschwitz, qui me les a confiés.
- Note 2 : Citation in « Triangles rouges à Auschwitz », chapitre « Les causes d’arrestations ». Francis Joly, submergé d’amertume pour avoir vainement tenté d’obtenir la condamnation de celui qu’il considère comme responsable de son arrestation, allant de dépression en cure de sommeil, sans travail, désespéré, met fin à 45 ans à des souffrances qu’il ne peut plus maîtriser.
- Note 3 : A l’initiative de la municipalité, des associations « Mémoire vive des 45.000 et 31.000 », la « Compagnie de la Feuille d’or », « Lire et faire lire » et les élèves de 3ème du collège Rosa Parks de Gentilly.
Sources
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 – mai 1944, mémoire de maîtrise, Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
- Témoignages de René Aondetto et Jean Gauthier (déporté à Sachshausen le 24 janvier 1943, évadé lors de l’évacuation du camp) en date du 30 novembre 1992.
- Brochures de la Mairie de Gentilly : 16 janv. 1990 / 26 mars 1992 / 9 juillet 1993
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Death Books from Auschwitz (registres des morts d’Auschwitz), Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Témoignages de Francis Joly et Maurice Martin, 18 septembre 1945.
- Photographies des 8 de la Sanders communiquées par courrier le 9 juillet 1993 par le service Archives-Documentation de Gentilly.
- Photo de la section syndicale Sanders (non datée), in © Bulletin municipal « Vivre à Gentilly », janvier 2012, p.19.
- Photo brochure « Machines comptables » Sanders © Delcampe.
- Archives en ligne de Paris, recensement 1931 et 1936.
Notice biographique mise à jour en juillet 2015 (complétée en 2020, 2022 et 2024) à partir de la notice succincte que j’avais préparée à l’occasion du 60ème anniversaire du départ du convoi (publiée dans la brochure éditée par le Musée d’histoire vivante de Montreuil). Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées du site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice biographique.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com