Entre 1940 et 1942, la « Brigade spéciale » des Renseignements généraux traque et arrête des centaines de militants communistes clandestins, qui seront fusillés ou déportés par les Allemands. Des dizaines d’entre eux seront déportés à Auschwitz le 6 juillet 1942. lire dans le site : La Brigade Spéciale des Renseignements généraux
Une de l’Œuvre du 14 oct. 1941

Parmi les 24 militants arrêtés fin septembre 1941, cinq d’entre eux sont fusillés, six autres déportés, dont quatre à Auschwitz (Raoul Bertrand, Maurice Coulin, René Espargillière, et Constant Le Maitre).
Les autres militants sont condamnés à des peines de prison, et pour certains à des internements administratifs.

Le récapitulatif des activités de la Brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux pour le mois de septembre 1941 indique, le 20 septembre: « Au terme de nombreuses enquêtes et surveillances, les services de la Préfecture de Police viennent de mettre fin à l’activité des principaux éléments d’un centre clandestin de détention et de diffusion de tracts communistes dans la région parisienne ».

La main courante du 19 septembre 1941 mentionne l’arrestation de 13 militantes et militants (1). Une deuxième vague d’arrestations va suivre, après la mise en place de filatures et souricières.
Soient au total 24 militantes et militants qui sont arrêtés et déférés au tribunal pour jugement dans la même affaire qui débute ainsi avec l’arrestation de Marie Dubois le 13 septembre 1941.

Main courante de la BS1 des RG
Récapitulatif des activités de la Brigade spéciale des RG

Le 13 septembre 1941, une jeune militante communiste, Marie Dubois est arrêtée dans des circonstances pour le moins troublantes : selon le journal collaborationniste « l’Œuvre » (2) elle est en effet accusée de « vol à l’étalage », ce dont nous n’avons pas trouvé trace dans les PV de la Brigade spéciale.
Or il se trouve qu’elle transporte des fonds pour le Parti communiste clandestin. « Elle était en possession d’une somme de 13.000 francs, dont elle refusa d’indiquer la provenance, d’une correspondance suspecte et d’un carnet de rendez-vous portant les noms de nombreux membres du Parti communiste ».

Déférée au Service des Renseignements généraux, Marie Dubois se refuse à toute explication selon le journal. Mais les services de la Brigade Spéciale des RG découvrent lors de la perquisition de son domicile « une liste de militants communistes qui tenaient habituellement réunion dans un local, au 12 bis rue de la Goutte d’or (Paris 18ème) ».

Par la notice biographique en ligne de Marie Dubois réalisée par le regretté Jean-Pierre Besse (Le Maitron : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article23062  nous savons que Marie Dubois fait partie des militants de confiance auxquels ont été confiés des fonds à dissimuler et à tenir à la disposition du Parti dès la mise en place de l’appareil clandestin.
Après l’interdiction du P.c., elle est en contact en décembre 1939 avec Mounette Dutilleul (la fille du trésorier clandestin du PCF) à qui elle remet une somme importante de 20.000 francs (soit l’équivalent de 23 millions d’anciens francs de 1967 écrit Mounette Dutilleul).
En juin 1940, les deux femmes font équipe pour transférer des fonds vers la zone sud, où elles retrouvent Charles Tillon. Elles reviennent ensuite en zone occupée. « Après la démobilisation de son mari qui redevint l’un des bras droits du « National Cadres », Marie Dubois assura ses liaisons » (3).

Perquisitions et souricières

l’Œuvre du 14 oct. 1941

Remarquant sur sa carte d’alimentation que Marie Dubois était inscrite chez des commerçants de Viroflay, les inspecteurs des RG découvrent bientôt le logement clandestin du couple Dubois, au 12, rue Michel Letellier à Chaville (3).
Nouvelle perquisition, nouvelles saisies qui conduisirent à localiser un troisième logement clandestin au 12, rue Gouthière à Paris. Une souricière y est installée, et permet l’arrestation de Pierre Le Corre.
Ce que « l’Œuvre » du 14 octobre – qui cite quasiment mot-à-mot le PV d’interrogatoire qui a dû lui être obligeamment fourni – rapporte ainsi « interrogé, il déclara qu’il venait ici, selon les instructions d’un certain Jules, sur lequel il ne put donner aucune autre précision. Conduit à son domicile (…), où une perquisition fut effectuée en sa présence, Le Corre dût reconnaître devant l’importance des tracts, documents, brochures retrouvés, ainsi que de nombreuses boites de conserves et denrées alimentaires, qu’il assurait le ravitaillement des militants recherchés par la police. Pour ce faire, et pour les héberger et au besoin les soustraire aux recherches de la police, Le Corre qui jouissait de la confiance de l’organisation, recevait des sommes importantes ».

Selon les conclusions du PV d’arrestation (peu lisibles en bas du document ci-joint): « Dubois et sa femme, en collaboration avec leur sœur et belle-sœur Treux Suzanne, disposent de fonds, de pièces
d’identité, de locaux et de vivres, permettant d’assurer le travail clandestin de militants importants vivant dans l’illégalité. La découverte au domicile de la femme Dubois, de biographies d’anciens militants communistes dont certains sont par ailleurs arrêtés, établit que les époux Dubois jouissent de la
confiance des dirigeants actuels de l’action communiste clandestine et disposent d’une documentation qui ne se trouve, à l’heure actuelle, qu’entre les mains de hauts dirigeants de cette organisation
».

PV d’arrestations du 19 septembre 1940

Et « l’Œuvre » renchérissait le 14 octobre sous l’intertitre « Un nouveau centre de propagande » :
« Au cours de perquisitions effectuées chez un de ces individus, on a découvert des documents ne laissant aucun doute sur leur activité. En outre, les perquisitions permirent d’établir que l’organisation avait un autre centre de ravitaillement et de propagande, 99, rue de la Glaciaire, à Paris. Une descente de police y fut aussitôt effectuée, et, là encore les enquêteurs découvrirent un nombre important de documents divers. Tous ces individus ont été mis à la disposition du Parquet de la  Seine ».

Les communistes arrêtés

Les informations qui suivent sur ces 24 militant.e.s ne sont pas exhaustives. Elles résultent de nos premières recherches dans les archives de la Préfecture de police (main courante du 16 septembre 1941 et PV d’interrogatoires), listes du camp de Voves où certains des militants arrêtés ont été internés (documents CDJC), notices biographiques du « Maitron », dictionnaire du mouvement ouvrier, base de « Mémoire des hommes » concernant les fusillés, et le site « Rail et mémoire ».

Claudine Cardon-Hamet et Pierre Cardon

Bertrand Raoul, 28 ans, ajusteur-outilleur à Colombes. lire dans ce blog : https://politique-auschwitz.blogspot.com/search?q=Bertrand+
déporté et mort à Auschwitz.
Bourdin Gaston : 36 ans, plombier à Saint-Denis.
Brabant André, 45 ans, menuisier à Soisy-sous-Montmorency
Dubois Marie : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article23062  Condamnée à mort le 22 décembre 1941 par un tribunal militaire
allemand, Marie Dubois vit son dossier remis à la justice française. Déportée le 17 novembre 1942 vers l’Allemagne, classée « NN », elle fut internée à Lubeck avant d’être conduite au camp de Ravensbrück, puis à Mauthausen où elle mourut le 8 avril 1945.
Clérambourg Lucien, 31 ans, musicien, de Saint-Germain-en-Laye. Éditeur de musique et compositeur (V’la l’champion : one-step / de Lucien Clérambourg. « Une chanson… c’est Paris ! » (1948).
Chrétien Emile  https://railetmemoire.blog4ever.com/chretien-emile  30 ans, manœuvre à la Compagnie Française des Métaux à Saint-Denis, syndicaliste et communiste. Arrêté le 23 septembre 1941 et incarcéré à la prison de la Santé, livré aux allemands, il est condamné à mort par le tribunal allemand de Saint Cloud,  le 25 décembre 1941. Il est fusillé le 5 Janvier 1942 au Mont Valérien.
Coulin Maurice : lire sa notice dans ce site : https://politique-auschwitz.blogspot.com/search?q=Coulin. 30 ans. Déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, il y est mort le 21 septembre 1942.
Delalande René, 47 ans (né le 27 janvier 1893 à Massy), tréfileur. Habite 29 rue Ernest Renan à Saint Denis. Ecroué à la Santé, il est transféré depuis la Santé au camp de Voves le 6 février 1942.
Drape Roger, 43 ans, menuisier, de Saint-Denis
Espargillière Marcel, 33 ans, monteur en téléphone, de Paris 14ème , lire dans le site https://politique-auschwitz.blogspot.com/search?q=Espargilli%C3%A8re. Déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942.
Le Corre Pierre, né le 7 août 1904 à Le Cmoïtre Pleyben (Finistère). Mécanicien à Paray-Vieille Poste (Seine et Oise / Essonne), fusillé le 5 janvier 1942 au Mont Valérien.
Ledru Lucien, 39 ans, contrôleur, de Bezons
Leca Marie-Antoinette, 37 ans institutrice à Enghien-les-Bains.
Lemaitre Constant : lire sa notice biographique dans ce site : https://politique-auschwitz.blogspot.com/search?q=Le+maitre.
40 ans, chaudronnier, syndicaliste et communiste. Il est un des organisateurs de la Résistance dans les usines Renault (diffusion de tracts
de la CGT clandestine et recrutement pour l’OS). Déporté à Auschwitz le 6 juillet 1942, où il meurt le 2 septembre 1942.
Le Morillon Catherine http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article136566  Née Peraudin. 47 ans, Confectionneuse, membre du Parti communiste depuis 1928, elle est arrêtée le 23 septembre 1941. Un rapport de police précisait qu’elle jouait « un rôle de premier plan dans l’organisation ». Déportée le 31 janvier 1944 vers le camp de Ravensbrück puis transférée à celui de Mauthausen, et enfin libérée en 1945.
Son mari, Emile, conseiller municipal de Montreuil, meurt à Fresnes en 1944, des suites des coups reçus.
Martin André, 36 ans, jardinier, de Colombes
Petit Gaston, 37 ans, de Boulogne
Petit Marcel, 43 ans, fraiseur, de Versailles
Pointet Marcel : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article19979 , 26 ans. Comptable, chef de service à France Navigation ; militant communiste. Fiché comme ami de l’ancien député d’Aubervilliers, Charles Tillon et du secrétaire général du PCF, Maurice Thorez. Condamné à
mort le 23 décembre 1941 à Saint-Cloud par un tribunal militaire de la Wehrmacht (FK 758), il est fusillé le 5 janvier 1942.
Prual Pierre, http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article127524, 46 ans, tôlier chez Floirat à Saint-Denis, ancien trésorier de la section communiste d’Aubervilliers. Condamné à mort le 22 décembre 1941 pour « intelligence avec l’ennemi » par le tribunal de la Feldkommandantur 758 de Saint-Cloud . Pierre Prual est fusillé le 5 janvier 1942 au Mont-Valérien.
Saint-Mézard Robert:  28 ans, soudeur, de St Denis.
Toulza Clément http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article132888 31 ans. Ajusteur-monteur, agent hospitalier ; militant syndicaliste ; militant communiste ; ancien membre de la direction des JC de Garches. Il est fusillé comme otage le 31 mars 1942 au Mont-Valérien.
Treux Suzanne, 21 ans, elle est la sœur de Marie Dubois. Elle habite au 14, rue Jessaint. Elle assurait les liaisons de l’organisation communiste clandestine avec son beau-frère Roger Dubois.
Turpin Maurice, 33 ans, manœuvre, de Montesson.

En cas d’utilisation ou publication de cet article, prière de citer : « Article publié dans le site  « Déportés politiques à Auschwitz : le convoi dit des 45.000 » site : deporte-politiques-auschwitz.fr

Note 1 : Bertrand Raoul, Clérambourg Lucien, Coulin Maurice, Dubois Marie, Espargillière René, Le Maitre Constant, Ledru Lucien, Martin André, Petit Gaston, Petit Marcel, Treux Suzanne, Toulza Clément, Turpin Maurice.
Note 2 : Quotidien du RNP de Marcel Déat (130000 exemplaires par jour entre septembre 1940 et août 1944).
Note 3 : « Robert Dubois, charpentier en fer. Il fut l’un des responsables des tout premiers groupes de l’Organisation Spéciale armée (l’O.S.), d’abord conçue pour la protection des propagandistes illégaux, et qui fournit par la suite les premiers noyaux de francs-tireurs et partisans quand il fallut passer à la guérilla contre l’occupant ». in Souvenirs de Mounette Dutilleul.
Note 4 : Dans ses souvenirs in http://trcamps.free.fr/Mounette%201939.html, (Chap. XII), Mounette Dutilleul explique les 3 types de « planques »
mises en place. « La recherche de « planques », la répartition des dépôts d’argent, de papier pour imprimer ou ronéoter, de machines à écrire, à imprimer, à polycopier, etc. est toujours fertile en incidents de parcours, tantôt insipides de routine, tantôt tout échevelés de romantisme, parfois gênants.   On travaillait à trois degrés. En vérité, nous étions partagés sur trois conceptions différentes de ce que devait être une mise en illégalité. La première était
celle de Mourre, de son vrai nom René Maurier, secrétaire administratif du Comité Central. Lui, avec d’autres camarades de l’équipe constituée par Tréand, installaient leurs planques dans des pavillons, voire de petites fermes, disséminées et rapprochées à la fois dans la grande banlieue du sud-ouest parisien, sur un rayon de quelque 100 Km. (…).
La seconde conception était celle d’une catégorie nettement supérieure. Il s’agissait de maisons cossues s’échelonnant vers le nord de la France, en Belgique, en Hollande, au Danemark et jusqu’en Suède. Je l’appelais « la chaîne des châteaux » (…). Elle s’étayait – je l’ai pensé alors – sur des relations prises en dehors du pays, établies pour la plupart dans le grand mouvement d’aide à l’Espagne.
Quand à la troisième conception, c’était celle que Dallidet défendait. Pour Dallidet, rien de tel que s’ancrer dans les petits pavillons ouvriers de la
banlieue, dans des logements des Habitations à Bon Marché (les H.B.M. d’avant-guerre) à plusieurs issues, et dans les logements plus « classes
moyennes » construits de fraîche date sur les boulevards extérieurs de Paris, qu’on appelle maintenant les « maréchaux ». Dallidet pensait que
plus on s’enfonçait dans la population quotidienne, plus on avait de chance de passer inaperçu. Il tenait beaucoup à cette conception ».

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