Lucien Saintive : né en 1910 à Paris 5ème ; domicilié à Paris 13ème ; soudeur ; communiste ; arrêté le 31 août 1940, puis le 9 novembre 1940 ; interné aux camps d'Aincourt, de Rouillé et de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt.
Lucien Saintive est né le 18 novembre 1910 à Paris (5ème). Il habite au 98 bis, rue Bobillot à Paris (13ème) dans le quartier « Maison Blanche » au moment de son arrestation.
Il est le fils de Zéline, Eugénie Buignet 33 ans, et de Charles, Auguste Saintive, 29 ans, ajusteur, son époux. Il a une sœur aînée, Irène née en 1908.
Lucien Saintive épouse Adrienne, Eugénie Mignot le 26 novembre 1932 à Paris 13ème. Elle a 18 ans, née le 8 juin 1914 à Gentilly (Seine). Elle travaille comme bobineuse, et elle est domiciliée au 18, rue Brillat-Savarin à Paris (13ème) . Lucien Saintive est alors domicilié chez ses parents au 14, boulevard Edgar Quinet à Paris 14ème.
Il est appelé au service militaire en 1930.
Le couple a un fils qui naît en 1934. La famille habite alors au 113, rue Nationale à Paris 13ème.
En 1936, Lucien Saintive travaille comme soudeur aux ateliers Chaise et Cie – acquis par l’Omnium Industrielle Métallurgique en 1927 (1) au 53, rue Lançon et rue Brillat-Savarin à Paris (13ème).
Lucien Saintive est membre du Parti communiste.
Chez Chaise, il milite avec René Anjolvy, qui quoiqu’habitant Gentilly, est secrétaire à l’organisation du P.C. dans le 13ème arrondissement.
Le 24 août 1939, Lucien Saintive est mobilisé. Le 25 octobre 1939, il est requis comme « affecté spécial » (3) dans son entreprise qui construit des moteurs industriels et agricoles et des motocyclettes, vraisemblablement reconvertis dans la production de guerre.
Le 14 juin 1940, les troupes de la Wehrmacht entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire allemand en France. Le 22 juin, l’armistice est signé. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français » et lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
Après l’armistice, dès juillet 1940 dans le13ème, Louis Chaput (sous la responsabilité de Denise Ginolin) entreprend la réorganisation du Parti Communiste dans l’arrondissement. Avec la démobilisation de Louis Le Corre et de René Anjolvy, le secrétariat de section d’avant-guerre est presque au complet.
Une soixantaine de militants sont contactés et acceptent l’action clandestine dans Paris occupé. René Anjolvy a repris contact avec Lucien Saintive. Celui-ci a accepté de diffuser L’Humanité clandestine dans son quartier et des tracts provenant de « l’échelon supérieur » (écrit Louis Chaput), le PC du 13ème n’ayant pas encore de matériel pour éditer ses propres tracts.
Lucien Saintive est arrêté le 31 août 1940 par des gardiens de la Paix du commissariat
du quartier Maison Blanche pour avoir distribué l’Humanité clandestine dans la rue Auguste Lançon. Il est enfermé au Dépôt de la Santé jusqu’au 23 octobre 1940 et relâché comme un certain nombre de militants.
Vraisemblablement filé, il est arrêté à nouveau le 8 novembre 1940, pour avoir continué ses activités (tout comme Pierre Bourneix, arrêté le même jour que lui le 31 août, et lui aussi relaxé).
Le 9 novembre, le Préfet de Paris ordonne l’internement administratif de 66 suspects d’activité communiste. Lucien Saintive fait partie de ces militants arrêtés par la Police française. Il est transféré au camp de « Séjour surveillé » d’Aincourt, ouvert le 5 octobre 1940 par le gouvernement de Vichy pour y enfermer les communistes du département de la Seine.
Lire dans le site Le camp d’Aincourt.
Il est interné au Dortoir des jeunes (le « DJ »), où il va rencontrer Fernand Devaux interné le même jour, et plus tard Georges Dudal, du 13ème arrondissement comme lui.
Le 24 décembre 1941, dans un courrier titré « Déportation de 500 communistes pour mise au travail vers l’Est », le commandement militaire de la zone A écrit que selon la Feldkommandantur de Saint-Germain « il y a au camp d’Aincourt 125 communistes nés entre 1911 et 1922 dont on peut disposer en application des mesures de représailles décidées par le commandement militaire en France le 14 décembre 1941.
Ces détenus seront d’abord soumis à un court examen médical par le médecin du camp qui jugera s’ils sont aptes physiquement à travailler. Parmi les recrues, la Feldkommandantur de St Cloud en choisira immédiatement 110 et les enregistrera sur une liste (…) Les détenus ainsi enregistrés resteront dans le camp où ils se trouvent jusqu’à ce qu’on les appelle. A l’intérieur du camp, il faudra les isoler, de même que pendant l’enregistrement, il faudra éviter toutes mesures qui pourraient provoquer une agitation parmi les détenus du camp (…) » (Document CDJC IV 198).
La « DJ » à Aincourt. Témoignage de Georges Dudal
Sur la liste des « militants communistes internés administrativement le 9 novembre 1940 » reçue des Renseignement généraux par le directeur du camp, figurent des mentions caractérisant les motifs de leur internement (C 331/7). Pour Lucien Saintive on lit : « 30 ans. A été arrêté pour distribution de tracts. Continue son activité » .
Lors de la « révision trimestrielle » de son dossier, le commissaire Andrey, directeur du camp, émet un avis négatif sur une éventuelle libération
« suit les directives du parti communiste» écrit-il. Les « internés administratifs » à Aincourt de 1940 et début 1941 n’ont en effet pas été
condamnés : la révision trimestrielle de leurs dossiers est censée pouvoir les remettre en liberté, s’ils se sont « amendés »… Andrey, dont
l’anticommunisme est connu, a émis très peu d’avis favorables, même s’il reconnait la plupart du temps la bonne tenue de l’interné, comme pour Lucien Saintive.
Le 4 avril, puis le 31 mai, son épouse écrit au préfet de Seine-et-Oise, Marc Chevalier, afin d’obtenir une autorisation de visite pour elle et son fils.
Le 6 septembre 1941, Lucien Saintive et 148 autres internés d’Aincourt sont transférés au « CSS » de Rouillé dans la Vienne (le camp est ouvert à cette date pour désengorger Aincourt, surpeuplé). Le camp d’internement administratif de Rouillé est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940.
Le 14 octobre 1941 le commandant du Centre d’Internement Administratif de Rouillé s’adresse au Préfet de la Seine pour obtenir des informations concernant les 149 internés provenant du camp d’Aincourt arrivés à Rouillé le 6 septembre 1941. La réponse du premier bureau des Renseignements généraux (circulaire n°13.571.D) lui arrive le 30 octobre (doc C-331.24).
Pour Lucien Saintive (écrit également Saint-Yves) on lit, avec ses dates et lieu de naissance, adresse et date d’arrestation, comme cause de l’arrestation «communiste actif, distributeur de tracts ». Début mai 1942, les autorités allemandes adressent au commandant du camp de Rouillé(1) une liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne (le Frontstallag 122).
Le nom de Lucien Saintive (n° 164 de la liste) y figure. Le 22 mai 1942 c’est au sein d’un groupe de 168 internés (5) qu’il est transféré au Frontstalag 122. La plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz. Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Depuis le camp de Compiègne, Lucien Saintive est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Son numéro d’immatriculation lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro « 46087 ? » figurant dans mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à ma tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence des quatre listes alphabétiques successives que j’ai reconstituées, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Affecté à Birkenau, il est pris dans une sélection des « inaptes au travail ». Georges Dudal, rescapé du convoi qui habitait le 13ème, a écrit l’avoir vu partir pour la chambre à gaz.
Ce témoignage est certainement l’un des tout premiers sur Auschwitz, puisque Georges Dudal écrit à ses parents et camarades le 8 mai 1945 depuis le camp de Dachau, qui sert de centre de rapatriement.
Il évoque ses camarades disparus « Où est ce pauvre Saintive, qui lors de son départ pour la chambre à gaz me disait : « Jo, je suis sûr que tu rentreras, tu es jeune. Tu raconteras comment et combien j’ai souffert ».
Auguste Monjauvis également du 13ème et Fernand Devaux de Saint-Denis ont à leur tour témoigné de son décès à Birkenau.
On ignore sa date de décès, qui est néanmoins antérieure au 18 mars 1943. A cette date on connaît en effet les noms
des 24 survivants de Birkenau, dont 17 reviennent à Auschwitz I et Lucien Saintive n’est pas parmi eux. Une date de décès fictive a été fixée par l’état civil français au 31 mars 1943. Un arrêté ministériel du 10 décembre 1987 paru au Journal Officiel du 18 avril 1988 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès et indique la date fictive de « février 1943 à Auschwitz ».
Il est homologué (GR 16 P 531042) au titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des mouvements de Résistance (Front national) dont les services justifient d’une pension pour ses ayants droit (service historique de la Défense, Vincennes, mention « Front national »).
Par un arrêté de 1950 paru au Journal Officiel du 22 juillet 1950, Lucien Saintive est homologué comme « Soldat » à titre posthume au titre de la Résistance intérieure française, avec prise de rang au 8 novembre 1940.
Une plaque commémorative a été apposée à la Libération sur les murs de l’entreprise Chaise, rue Brillat-Savarin où travaillaient René Anjolvy, fusillé en 1941 et Lucien Saintive, mort au camp d’extermination d’Auschwitz.
Une plaque, disparue lors de la rénovation du quartier, avait été apposée au 113, rue Nationale où il avait habité. Avec son nom était indiqué « Mort au camp d’extermination d’Auschwitz » (M. Cottard, président de la société d’histoire et archéologique du 13ème).
- Note 1 : Société fondée en 1925 sous la dénomination Omnium agricole et industriel, ayant acquis les Etablissements Chaise et Cie en 1927 puis la Société anonyme des établissements Delachenal en 1930, cette société eut pour objet la participation et la prise d’intérêts dans des entreprises métallurgiques, ainsi que la fabrication de moteurs industriels et agricoles et de motocyclettes. Ses usines et son siège étaient situées à Paris, 34-38 et 53 rue Auguste Lançon, et à Joinville, quai de la Marne. In Archives de la Banque nationale de crédit.
- Note 2 : L’internement administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939, qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé, « des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le gouvernement de Vichy en 1941. La loi du 3 septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit l’internement administratif de « tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Les premiers visés sont les communistes
- Note 3 : Affectés spéciaux : Lorsque des ouvriers travaillent dans une industrie jugée stratégique par les autorités militaires, celles-ci peuvent
décider qu’ils seront AS (affectés spéciaux), c’est-à-dire requis sur leur lieu de travail au moment du conflit-mobilisation. - Note 5 : Dix-neuf internés de la liste de 187 noms sont manquants le 22 mai. Cinq d’entre eux ont été fusillés (Pierre Dejardin, René François, Bernard Grimbaum, Isidore Pertier, Maurice Weldzland). Trois se sont évadés (Albert Belli, Emilien Cateau et Henri Dupont). Les autres ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps ou étaient hospitalisés.
Sources
- Fichier national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1992, dossier « statut » en 1993.
- © Généanet. Arbre généalogique de Serge Ravon.
- Le 13ème arrondissement de Paris, du Front populaire à la Libération (EFR 1977) ouvrage collectif de Louis Chaput, Germaine Willard, Roland Cardeur, Auguste Monjauvisv et son frère Lucien, pages 99 à 112.
- Archives du CSS d’Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Mémoire de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d’internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des Humanités.
- Archives de la Préfecture de police / BA 2374
- Liste du 22 mai 1942, liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne (Centre de Documentation Juive Contemporaine XLI-42).
- Témoignage d’André Deslandes.
- Photo de groupe du camp de Rouillé, collection Georges Dudal
- Témoignage de Georges Dudal.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- © Le CSS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement Déportation.
- Montage photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique mise à jour en 2010, 2013, 2019 et 2021 à partir d’une notice succincte rédigée en janvier 2001 pour l’exposition organisée par l’association « Mémoire Vive » à la mairie du 20ème arrondissement, par Claudine Cardon-Hamet (docteur en Histoire, auteur des ouvrages :Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Autrement, Paris 2005) et de Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé), qui reproduit ma thèse de doctorat (1995). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
Pour la compléter ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Bonjour
Je vous remercie pour cet article qui m’éclaire sur l’histoire familiale, Iréne Martinez (née Saintive) était ma grand mère. Je connaissais l’existence de son frère Lucien mais pas les circonstances de sa déportation et de sa mort. Encore Merci.
François MARTINEZ
Merci pour votre commentaire. Le témoignage de notre ami Georges Dudal nous avait bouleversé, lui qui au landemain de sa libération pensait à ses copains disparus, dont Lucien Saintive.
Claudine Cardon-Hamet et Pierre Cardon