Matricule « 46 167 » à Auschwitz
Marius Vallée : né en 1898 au Torcy-le-Grand (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; domicilié à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) ; boulanger, cheminot, chaudronnier ; administrateur de la maison du peuple ; militant CGT et communiste ; arrêté le 25 octobre 1941 ; écroué à Rouen ; interné au camp de Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 26 septembre 1943.
Marius Vallée est né le 5 avril 1898 au Torcy-le-Grand (Seine-Inférieure / Seine-Maritime).
Il habite 27, rue Edison à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) au moment de son arrestation.Il est le fils de Marie, Honorine Pochon, 41 ans, née le 31 janvier 1857 à Saint-Pierre-Bénouville (Seine-Inférieure), et de Louis, Isidore Vallée, 42 ans son époux (né le 7 août 1856 à Grigneuseville, Seine-Inférieure). Ses parents sont journaliers et habitent Saint-Crespin, canton de Longueville-sur-Scie. Il a une demi-sœur, Marie, Alphonsine Pochon, née en 1887. Son père décède le 25 janvier 1911.
Ouvrier boulanger au moment de sa mobilisation (conscrit de la classe 1918, matricule 2434), Marius Vallée est incorporé par anticipation d’un an, comme tous les jeunes hommes de sa classe, le 17 avril 1917.
Il est mobilisé au 130è Régiment d’Infanterie pendant la campagne de Reims. Puis il « passe » au 142è en avril 1918 : son nom est inscrit parmi les 23 blessés de la 9ème compagnie lors des combats pour la conquête du mont Moronvilliers. Il est cité à l’ordre du Régiment.
Le 14 juin 1919 il est affecté à la deuxième section du 22è COA chargé de l’approvisionnement des armées depuis la capitale. Il est démobilisé le 23 mai 1920, avec un certificat de « bonne conduite ».
En 1920 (JO du 15 septembre 1920) il est embauché comme « agent à l’essai » des Chemins de fer de l’Etat.
Il est de ce fait versé – en cas de conflit armé – dans la « Réserve militaire » au titre « d’affecté spécial » à la 4è section des Chemins de fer de campagne, à compter du 18 octobre 1920, affectations confirmées en 1935 et 1936.
Il habite au 8, rue Blanqui à Sotteville en février 1921.
Le 17 mars 1923, à Sotteville, Marius Vallée épouse Marie Thérèse Hache (1899-1987). Ouvrière, elle est née le 8 avril 1899 à Eletot (Seine-Inférieure).
Il est ensuite embauché permanent à la Compagnie des chemins de fer de l’Etat en qualité d’aide-chaudronnier (soudure autogène) à Sotteville (J.O. du 31 mars 1924 en vertu de la loi du 30 janvier 1923), matricule SNCF n° « 44462 ».
En 1927, le couple emménage au 159, rue de Paris, toujours à Sotteville.
Marius Vallée est particulièrement investi dans la Maison du peuple de Sotteville-lès-Rouen, au 323, rue de la République, entièrement construite par les ouvriers, principalement cheminots (1). Il en est le secrétaire de 1926 à 1931, comme le fut avant lui André Poirier.
En 1931, son épouse est ouvrière de filature chez Bertel, rue Victor-Hugo.
Le 22 mars 1932, le commissaire spécial de police de Rouen établit une notice individuelle le concernant « militant et propagandiste du parti communiste et du syndicalisme unitaire (CGTU), ne semble pas être dangereux au point de vue national et ne paraît pas devoir être inscrit au carnet B ». Ce qui est à peu près la même formule que pour André Poirier.
En 1933 (2), Pierre Sémard prononce un important discours dans cette maison du peuple. Trois membres du conseil d’administration de la maison du Peuple élu en 1938, tous cheminots à Buddicom et à Quatre-Mares, seront déportés : André Poirier, Antoine Bruneau, et Auguste Bérault (étude de Guy Descamps).
Selon les fiches de police, Marius Valée serait adhérent à la cellule communiste de Saint-Étienne-du-Rouvray-Madrillet en 1938 et 1939 (pour louis Eudier, il est effectivement membre du Parti communiste et adhérent à la CGT).
En 1940, le commissaire de police de Sotteville-les-Rouen, considérant que Marius Vallée est un des principaux « meneurs » au sein des Ateliers SNCF des Quatre-Mares, avec Jodet et Roger Grelet, secrétaire de la cellule du PC des cheminots de Sotteville, il préconise son internement administratif.
Les troupes allemandes entrent dans Sotteville et Rouen le dimanche 9 juin 1940 pendant que brûlent les bacs à pétrole de la Shell à Petit-Couronne.
Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, la Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen.
Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…). Dès le 31 août 1940 les Allemands arrêtent des otages au Trait et à Duclair à la suite de sabotages de lignes téléphoniques. A partir de janvier 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes.
Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Le 15 novembre 1940, une perquisition à son domicile amène la découverte des paroles de L’Avant-Garde et de L’Internationale, ainsi qu’un portrait encadré de Paul Vaillant-Couturier sur le buffet (les cheminots des Quatre Mares avaient été particulièrement touchés par la mort du dirigeant
communiste : le 15 octobre 1937, l’Humanité relatant les obsèques de Paul Vaillant Couturier, publiait des listes de militants ayant envoyé des
condoléances. Le nom André Poirier, un des cheminots déportés des ateliers Quatre Mares y figure).
Le 7 octobre 1940, le commissaire spécial de Rouen envoie à tous les commissaires de Seine-Inférieure une circulaire demandant de lui « fournir, dès que possible, la liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de (leur) ville ou circonscription » en indiquant, nom, prénoms, âge si possible, profession, domicile et « situation actuelle (présent ou mobilisé) ». Le nom de Marius Vallée est sur cette liste.
Marius Vallée est arrêté le 25 octobre 1941. Son arrestation s’inscrit vraisemblablement dans le cadre de la rafle ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly)
Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.
Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941.
Trente neuf d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages».
Lire également dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Le 6 juillet 1942, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, Marius Vallée est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941.
Lire dans le site le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942.
Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45 157 » et « 46 326 », d’où le nom de « convoi des 45 000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité.
Lire dans le site : Le KL Auschwitz-Birkenau.
Marius Vallée est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro matricule «46167» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz.
Sa photo d’immatriculation à Auschwitz n’a pas été retrouvée parmi les 522 que des membres de la Résistance intérieure du camp avaient camouflées pour les sauver de la destruction, ordonnée par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz.
Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale ». Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau (Brzezinka), situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks. Lire dans le site, La journée-type d’un déporté d’Auschwitz
A la suite d’une blessure au pied, il aurait subi une amputation. Il est admis au Block 20 (le block des contagieux), chambrée n° 6 du Revier (hôpital) d’Auschwitz-I.
Marius Vallée meurt à Auschwitz le 26 septembre 1943 (liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz).
Un arrêté ministériel du 29 mars 2001 paru au Journal Officiel du 23 juin 2001 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de décès. Mais il comporte une date erronée : « décédé en septembre 1943 à Auschwitz (Pologne) ». Il serait souhaitable que le Ministère prenne en compte, par un nouvel arrêté, la date
portée sur son certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 et consultable sur le site internet du © Mémorial et Musée d’Etat d’ Auschwitz-Birkenau.
Lire dans le site l’article expliquant les différences de dates entre celle inscrite dans les «Death books» (Sterbebücher von Auschwitz )et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès des « 45000 » à Auschwitz.
Marius Vallée a été déclaré « Mort pour la France».
Le titre de «Déporté politique» lui a été attribué (carte délivrée à Marie-Thérèse Vallée).
Sur proposition du Maire, Roland Tafforeau, ancien cheminot, une rue de Sotteville-Lès-Rouen porte son nom.
Il est aussi inscrit sur le monument aux morts de la commune.
Marius Vallée est cité sur le site Internet du Groupe Archives Quatre Mares comme étant inscrit sur les monuments aux fusillés ou victimes de la déportation des établissements S.N.C.F. de Sotteville-lès-Rouen (stèle de la fédération du Parti communiste de Seine-Maritime). Son nom est gravé sur la plaque commémorative SNCF de la gare d’Argentan (Orne).
Son nom est également honoré sur le monument installé dans la cour de la fédération du PCF de Seine Maritime (33, place Général de Gaulle, Rouen) : avec ce poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) qui accompagne les noms de 218 martyrs « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’ESPOIR et le Désespoir ».
En 1947, son nom et celui deux autres cheminots déportés ou morts par faits de guerre : Genin (peut-être Marcel Genvrin) et Marcel Quemin sont donnés à un chalenge de compétition bouliste parrainé par le quotidien communiste l’Avenir Normand.
- Note 1 : «A la fin de la guerre de 1914-1918, il y eut une prise de conscience des travailleurs sur la nécessité de s’occuper eux-mêmes, de leur devenir citoyen et social. Ils étaient organisés au sein de partis, syndicats, associations. Un terrain a été acheté rue de la République. Les cheminots
principalement, et les autres travailleurs ont fait tomber leur veste. Je me souviens que mon père, après sa journée de travail et ses 4 tonnes de charbon, allait remuer le béton à l’aide de crocs, car la bétonnière n’existait pas. Ils ont monté les murs avec des parpaings. Je n’ai, hélas, pas de photos de cette aventure, le monde ouvrier était courageux, mais pauvre (il n’avait pas d’appareil photo). L’idée était de créer un endroit où se réunir. D’autres ont travaillé à la menuiserie. Je peux dire que la Maison du Peuple a été construite, de bas en haut, par les travailleurs, avec des imperfections évidemment». Léon Leroy, cheminot retraité, président de l’association «Mémoire de la ville», auteur de deux livres sur sa ville natale. - Note 2 : Pierre Sémard est fusillé comme otage le 7 mars 1942 à la prison d’Évreux (Eure) ; secrétaire général de la Fédération des cheminots CGTU puis CGT ; secrétaire général du Parti communiste (1924-1928).
Sources
- Liste de déportés de Seine-Maritime établies à son retour de déportation par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche individuelle consultée en octobre 1993.
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Division des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère de la Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- © Photo ateliers Quatre-Mares in Site Internet du Groupe Archives Quatre Mares, L’Histoire des Ateliers de Quatre Mares
- © Site Internet «Mémorial-GenWeb». Relevé Sotteville-lès-Rouen, Jean Mamez. Relévé Argentan, Laurent Corbin.
- © Site Internet «Légifrance.gouv.fr»
- Photo barbelés d’Auschwitz, © Claudine Cardon-Hamet
- © Archives en ligne de Seine Maritime. Etat civil et Registre matricule militaire.
- Historique de la Maison du Peuple de Sotteville – Le fil rouge Historique, par Guy Décamps. In © Site internet «Le Fil rouge», Institut CGT
d’Histoire sociale de Seine Maritime. - Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dans la Résistance établie par la CGT de Seine Maritime.
- Ministère de la défense, © Mémoire des hommes, journal de marche et d’opération du 142 R.I.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire Vive » consacrée aux déportés “45000” et “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2012, 2017, 2018 et 2022. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice.
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