Matricule « 45298 » à Auschwitz
André Bréançon : né en 1910 à Rouen (Seine-Inférieure) ; domicilié au Petit-Quevilly (Seine-Inférieure) ; arrêté comme otage communiste le 21 octobre 1941 ; interné à Compiègne ; déporté le 6 juillet 1942 à Auschwitz où il meurt le 7 août 1942
André Bréançon est né le 1er janvier 1910 à Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) et habite au 3 rue Galilée au Petit-Quevilly (Seine-Inférieure / Seine-Maritime) depuis janvier 1938.
Il est le fils de Lucie Norbert-Nord et de Julien, Louis Bréançon.
Ouvrier décolleteur de formation, il travaille ensuite dans une raffinerie de pétrole. Il a les yeux noirs, les cheveux noirs et mesure 1 m 63 (registre matricule militaire). Il habite 34, rue des Chartreux à Grand-Couronne.
Il effectue son service militaire du 15 avril 1931 au 15 avril 1932 dans un régiment d’artillerie, puis au 401° Régiment de défense contre aéronefs. Il est renvoyé dans ses foyers « certificat de bonne conduite accordé ».
Le 23 décembre 1933 au Petit-Quevilly, André Bréançon épouse Isabelle Coisy, née le 28 octobre 1915 à Rosendal (Nord), elle est employée de pharmacie.
Le couple a deux filles : Liliane, née le 24 octobre 1935, et Françoise, née le 26 octobre 1940.
En janvier 1935, ils habitent au 12, rue du Petit-Quevilly à Rouen, puis rue Lenôtre en janvier 1936.
Versé dans la réserve de l’armée active, il est « rappelé à l’activité » le 28 septembre 1938 (loi du 29 septembre 1938 mettant en alerte les armées au moment de la conférence de Munich les 29 et 30 septembre) et renvoyé dans ses foyers le 7 octobre 1938.
Après la déclaration de guerre André Bréançon est mobilisé au dépôt d’artillerie 401. Il rejoint ensuite le 406ème régiment de DCA, créé en 1938 affecté sur « zone des armées sur le pied de guerre« .
Le 9 juin 1940, l’armée allemande occupe la rive droite de Rouen et entrent dans Rouen le dimanche 9 juin 1940. Après la capitulation et l’armistice du 22 juin, La Feldkommandantur 517 est installée à l’hôtel de ville de Rouen et des Kreiskommandanturen à Dieppe, Forges-les-Eaux, Le Havre et Rouen. Le 10 juillet 1940 le maréchal Pétain, investi des pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale, abolit la République et s’octroie le lendemain le titre de « chef de l’Etat français ». Il lance la « révolution nationale » en rupture avec nombre de principes républicains (confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs ; rejet du multipartisme, suppression des syndicats et du droit de grève, antisémitisme d’état…).
A partir de l’année 1941, les distributions de tracts et opérations de sabotage par la Résistance se multipliant, la répression s’intensifie à l’encontre des communistes et syndicalistes. Dès le 22 juillet 1941, le nouveau préfet régional, René Bouffet, réclame aux services de police spéciale de Rouen une liste de militants communistes. Une liste de 159 noms lui est communiquée le 4 août 1941 avec la mention : « tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et par tous les moyens ». Ces listes, comportent la plupart du temps – outre l’état civil, l’adresse et le métier – d’éventuelles arrestations et condamnations antérieures. Elles seront communiquées à la Feldkommandantur 517, qui les utilisera au fur et à mesure des arrestations décidées pour la répression des actions de Résistance.
Adhérent du Parti communiste et de la CGT, et à ce titre bien connu des services de police, André Bréançon est arrêté le 21 octobre 1941, à son domicile, par les polices française et allemande. Son arrestation est ordonnée par les autorités allemandes en représailles au sabotage (le 19 octobre) de la voie ferrée entre Rouen et Le Havre (tunnel de Pavilly) Lire dans le site Le « brûlot » de Rouen.
Une centaine de militants communistes ou présumés tels de Seine-Inférieure sont ainsi raflés entre le 21 et 23 octobre (1). Ecroués pour la plupart à la caserne Hatry de Rouen, tous les hommes appréhendés sont remis aux autorités allemandes à leur demande, qui les transfèrent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (le Frontstalag 122) entre le 25 et le 30 octobre 1941.
La moitié d’entre eux d’entre eux seront déportés à Auschwitz. André Bréançon est interné à Compiègne le 25 octobre 1941.
Au Frontstalag 122, il reçoit le n° matricule 2110.
Le 8 mai 1942, cela fait sept mois que son mari est interné à Compiègne. Son épouse a pu le voir, et les nouvelles sont inquiétantes.
Elle écrit au Préfet de Seine-Inférieure pour lui demander d’intervenir auprès des autorités allemandes afin d’obtenir sa libération. Elle insiste notamment sur sa situation familiale difficile « je ne touche que 13 francs par jour pour moi et mes deux petits enfants et nous ne mangeons pas à notre faim avec si peu » (in recherches de madame Chantal Cormont, historienne).
Grace à ses recherches, nous avons connaissance d’une lettre du commissaire de police du Petit-Quevilly qui a procédé à son arrestation, et qui à la demande du Préfet, émet un avis négatif le 22 juin 1942 en réponse à une éventuelle possibilité de libération d’André Bréançon.
Il écrit : « J’ai arrêté André Bréançon (…) le 22 octobre 1941 sur l’ordre des autorités allemandes. Son nom figurait sur la liste des responsables du Parti communiste, liste dressée par les autorités d’occupation, sans consultation avec moi. Mais la désignation de Bréançon comme suspect m’apparaît entièrement justifiée. C’était un militant communiste extrêmement actif, et même après la dissolution du parti, il m’avait été signalé qu’il faisait de la propagande, notamment de la distribution de tracts. Il fréquentait assidument les autres communistes notoires comme Clérêt et Legac, qui sont aujourd’hui, le premier en prison, le second en camp de concentration. A mon avis, une démarche auprès des autorités d’occupation en faveur de Bréançon ne s’impose pas« .
Le 28 juin 1942, le cabinet du Préfet qui a pris connaissance de la réponse négative du commissaire de police du Petit Quevilly concernant une démarche en faveur d’André Bréançon, sollicite par une note dactylographiée le Préfet pour connaître sa réponse. Celle-ci est notée au crayon « réponse verbale : répondre que nous intervenons et ne rien faire ».
Lire dans ce site : La solidarité au camp allemand de Compiègne et Le « Comité » du camp des politiques à Compiègne .
Depuis ce camp administré par la Wehrmacht, il va être déporté à destination d’Auschwitz. Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à sa déportation, on lira les deux articles du site qui exposent les raisons des internements, des fusillades et de la déportation : La politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une déportation d’otages». Le 6 juillet, à six heures du matin, il est conduit sous escorte allemande à la gare de Compiègne avec ses camarades, puis entassé dans un des wagons de marchandises qui forment son convoi. Le train s’ébranle à 9 heures trente.
Depuis le camp de Compiègne, André Bréançon est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942.
Cf Article du site : Les wagons de la Déportation.
Ce convoi est composé au départ de Compiègne, de 1175 hommes (1100 « otages communistes » – jeunes communistes, anciens responsables politiques et élus du Parti communiste, syndicalistes de la CGT et délégués du personnel d’avant-guerre, militants et syndicalistes clandestins, résistants – de cinquante « otages juifs » et de quelques « droits communs »). Il faisait partie des mesures de terreur allemandes destinées à combattre, en France, les judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6-8 juillet 1942. Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont présents à l’arrivée du train en gare d’Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d’Auschwitz (camp souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre les numéros « 45157 » et « 46326 », d’où le nom de « convoi des 45000 », sous lequel les déportés du camp désignaient ce convoi. Ce matricule – qu’il doit apprendre à dire en allemand et en polonais à toute demande des Kapos et des SS – sera désormais sa seule identité. Lire dans le blog : Le KL Aushwitz-Birkenau.
Il est enregistré à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 sous le numéro «45298» selon la liste par matricules du convoi établie en 1974 par les historiens polonais du Musée d’Etat d’Auschwitz (BAVCC – Ausch. 1/19, liste N°3). Lire dans le site le récit de leur premier jour à Auschwitz : L’arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, « visite médicale » . Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi).
Les autres déportés du convoi restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
André Bréançon meurt à Auschwitz le 7 août 1942 d’après le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz et destiné à l’état civil de la municipalité d’Auschwitz (Death Books from Auschwitz, tome 2 page 130).
Il est déclaré «Mort pour la France» le 7 mars 1948. La mention «Mort en déportation» est apposée sur son acte de décès paru au Journal Officiel du 25 octobre 1987 (son acte de décès du 14 janvier 1947 porte la date du 8 août 1942).
Son nom est inscrit sur le monument aux morts, dans le cimetière municipal du Petit-Quevilly. Une rue du Petit Quevilly porte son nom « André Béançon, victime du nazisme ».
- Note 1: Lucien Ducastel et Robert Gallard rapportent qu’ont été arrêtés ce même jour André Bréançon (45298), Michel Bouchard (45278), Jean Delattre (agent des PTT, fusillé le 10 mai 1942), Adrien Fontaine (45546), Adrien Gentil (45588), Louis Jouvin (45697), Charles Legac (45770), Ursin Sheid (fusillé le 10 mai 1942, lire le blog de sa famille U.SCHEID son destin), Maurice Voranget (un «45000» au n° inconnu).
Sources
- Mairie de Petit-Quevilly juin 1992 (acte de décès daté du 14 janvier 1947).
- Listes de déportés de Seine-Maritime établies à leur retour de déportation par Louis Jouvin et par Louis Eudier in «Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945» (annexes).
- Liste de militants de la CGT fusillés ou déportés pour leur action dan sla Résistance établie parla CGT de Seine Maritime.
- Liste «de noms de camarades du camp de Compiègne», collectés avant le départ du convoi et transmis à sa famille par Georges Prévoteau de Paris XVIIIème, mort à Auschwitz le 19 septembre 1942 (matricules 283 à 3800).
- Death Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les actes de décès (registres incomplets) destinés à l’état civil de la ville d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Liste (incomplète) par matricule du convoi du 6 juillet 1942 établie en 1974 par les historiens du Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau (Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère dela Défense, Caen) indiquant généralement la date de décès au camp.
- Décédés du convoi de Compiègne en date du 6//7/1942. Classeur Ausch. 1/19,liste N°3(Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Ministère dela Défense, Caen).
- © Site Internet «Mémorial-GenWeb». Le Petit Quevilly (relevé Jean Charles Quirion).
- © Site Internet «Légifrance.gouv.fr».
- Photos de famille confiées par Françoise Martin, une des filles d’André Bréançon, au Musée de la Résistance nationale à Champigny.
Recherches et courriels de Jean Paul Nicolas, syndicaliste, collaborateur du Maitron (Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français) - Registre matricule militaire d’André Bréançon.
- Mai 2021 : Courriels de madame Chantal Cormont, historienne : recherches sur André Bréançon pour le « Dictionnaire des victimes du nazisme » de Normandie (à partir de documents préfectoraux).
Notice biographique rédigée par Claudine Cardon-Hamet en 2000 pour l’exposition de Rouen de l’association « Mémoire vive » sur les “45000” et les “31000” de Seine-Maritime, complétée en 2006, 2011, 2018 et 2021. Docteur en Histoire, auteur des ouvrages : « Triangles rouges à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 », Editions Autrement, 2005 Paris et de «Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 », éditions Graphein, Paris 1997 et 2000. Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce site) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette notice. Pour la compléter ou corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com